dimanche 6 janvier 2008

Réflexions sur le salafisme : le cas des camps palestiniens au Liban

Introduction
L’apparition du mouvement Fath-Al-Islam et son installation dans le camp palestinien stratégique de Nahr-Al-Bared au détriment du mouvement Fath-Al-Intifada depuis cinq mois, pose plusieurs questions sur le développement d’une mouvance salafiste dans les camps de refugiés ainsi que l’hypothèse d’une présence massive d’Al-Qaïda.

L’une des questions qui ont été posées sur ce mouvement est sa relation avec les services secrets syriens toujours actifs dans le pays de cèdres malgré le retrait des troupes syriennes en 2005, ou son instrumentalisation par des services sécuritaires américains et saoudiens comme l’a souligné Seymour Hersh [2] du journal américain, The New Yorker, une thèse qui a pris une certaine crédibilité sur certains médias arabes sans toutefois devenir fiable.

De plus, l’attentat contre le contingent espagnol de la FINUL au sud du Liban a relancé la polémique sur la présence accrue des groupes salafistes [1] au Liban notamment dans des zones relativement de non-droit comme les camps des réfugiés palestiniens.

Après avoir été délogé du camp de Nahr-Al-Bared par l’armée libanaise, plusieurs questions restent en suspens sur la mouvance salafiste dans le pays de cèdres ; une analyse systémique des camps et de leurs environnement est nécessaire pour comprendre la situation actuelle et par conséquent mettre en perspective l’avenir du Liban.

Quelques réflexions
Plusieurs réflexions peuvent êtres émises sur le développement des mouvements salafistes dans les camps palestiniens au Liban :
La perte de légitimité du mouvement Fath serait à la base du développement du fondamentalisme dans les camps des réfugiés au Liban.
La plupart des mouvements djihadistes sont issues du mouvement Fath, qui, avant la victoire de Hamas en janvier 2006, dominait la scène palestinienne dans les camps de réfugiés ainsi que dans les territoires occupés. En effet, le mouvement Fath-Al-Islam est une scission du Fath-Al-Intifada qui est lui-même issu du mouvement Fath. Ce phénomène rappelle la scission du mouvement « Armée de l’islam » de la « Résistance populaire » elle-même issue du mouvement Fath.
La plupart de ces groupes développent une idéologie similaire à celle d’Al-Qaïda. C’est le cas de « l’Armée de l’Islam », qui a annoncé sa responsabilité dans l’assassinat de plusieurs personnalités politiques palestiniennes. D’un autre côté, on trouve certaines divergences entre ces mouvements et Al-Qaïda dont la plus notable était le refus de tuer le soldat israélien capturé, Gilad Shalit, pour des raisons théologiques en contradiction totale avec les méthodes de l’organisation terroriste [3].
Quoi qu’il en soit, le lien entre ces mouvements avec Al-Qaïda reste à établir. Certains observateurs considèrent que pour des raisons techniques, ces mouvements optent pour un mode de séparation relatif avec la nébuleuse, sans pour autant être totalement indépendant.
En général, la prolifération de ce genre de mouvements montre bien l’instabilité chronique qui frappe autant la classe politique palestinienne que la population. L’échec du projet nationaliste du Fath et les difficultés de Hamas à imposer un islam pragmatique, ouvrent la voie à toutes les options extrémistes. D’autant plus que cet extrémisme est facilité par la précarité de la population, la persistance de l’occupation israélienne et une instrumentalisation de certains services secrets régionaux et internationaux.
L’environnement socio-économique des camps est propice aux thèses fondamentalistes.
Le Liban reste le terrain idéal de la prolifération des milices armées de tout genre. Dans un pays multiconfessionnel, où chaque communauté au fil des années de la guerre civile, a développé sa propre milice, la communauté sunnite est restée la plus faible en matière d’armement milicien. Quand les chrétiens se sont tournés vers Israël et les chiites vers l’Iran chiite, les sunnites libanais ont trouvé dans les Palestiniens des frères d’armes comme l’a souligné le Mufti Sunnite Hassan Khaled le 19 mai 1989, en déclarant que « la résistance palestinienne est l’armée des sunnites au Liban » [4].

La polarisation du pays depuis l’assassinat du Premier ministre Hariri, en février 2005, a accru la tension entre les communautés. Ce manque de confiance entre communautés a suscité un sentiment de suspicion à l’égard des camps de réfugiés qui regroupent un ensemble de problèmes qui vont de la simple précarité économique au développement d’un islam salafiste, voire terroriste.

Les gouvernements libanais successifs ont été assez hésitants dans leur gestion de la question des camps. En effet, ces endroits sont des espaces dans lesquels existent plusieurs centres de décisions allant des factions palestiniennes jusqu’aux services secrets étrangers en passant par les services de sécurité libanais. Un tel milieu est facilement manipulable, et certains croient que le maintien de ces groupes dans une zone limitée est plus gérable que leur dispersion sur le territoire libanais.

De plus, les camps palestiniens, à dominance sunnite, présentent toujours en cas de naturalisation le risque d’un déséquilibre démographique. Par conséquent, les groupes qui forment ces camps sont facilement instrumentalisés pour des causes nationalistes, religieuses ou stratégiques.

D’un autre côté, malgré la précarité et l’instrumentalisation des Palestiniens du Liban, on observe une certaine neutralité à l’égard de la politique intérieure libanaise de la part des responsables des camps. Le principal objectif de ces responsables est devenu d’éviter à la population des camps d’être entraînée dans un jeu libanais de plus en plus complexe.
La pérennité des mouvements fondamentalistes est assurée par un financement lui permettant une installation durable.

La principale raison du développement du fondamentalisme réside dans la précarité dans laquelle vivent les Palestiniens, une situation provoquée entre autre par les mesures discriminatoires de l’Etat libanais. On peut évoquer une autre raison plus importante dans le contexte actuel, il s’agit de l’affaiblissement du principal mouvement palestinien, le Fath.
En effet, la principale source financière des familles palestiniennes était l’aide de l’OLP, à travers le mouvement Fath, qui jusqu’à janvier 2006, date de la victoire du Hamas, contrôlait les principaux camps. Depuis la victoire du Hamas, on assiste à une pénurie financière dans les camps, une situation à l’avantage des groupes fondamentalistes qui occupent un terrain propice aux thèses fondamentalistes.

Selon plusieurs observateurs, ces groupes disposent de moyens financiers de plus en plus importants et visibles, ce qui pose la question de leur financement, surtout dans le contexte d’une instabilité libanaise et d’un arrêt presque total du paiement des salaires des fonctionnaires de l’autorité palestinienne.

De plus en plus, on assiste à des achats de terrains et d’immeubles proche des mosquées, c’est ce qu’a essayé de faire le mouvement Fath-Al-Islam dans le camp de Nahr-Al-Bared. D’autres organisations ont eu le même mode opératoire dans d’autres camps comme le mouvement « Asbat Al-Ansar » au camp d’Aïn-El-Helwi et Jound-El-Cham dans le quartier de Taamir à Saida, où l’on parle déjà d’un afflux de combattants de Nahr-El-Bared venant trouver refuge à la suite de leur éviction du camp stratégique par l’armée libanaise [5].

Le discours des principales organisations reste conservateur et ne prends pas en compte les attentes sociales et nationales de la population des camps. Si le discours de ces organisations était basé sur la lutte contre l’occupation et dans une moindre mesure la défense des musulmans et la cause musulmane en Tchétchénie et en Afghanistan, il a pris une tournure fondamentaliste après la guerre d’Irak. Cette déviation idéologique laisse croire à un affaiblissement des formations palestiniennes et, par conséquent, à une absence de toute perspective de reprise des négociations, l’une des principales occupations de la population des camps palestiniens au Liban.

[1] Salafisme : idéologie fondamentaliste sunnite revendiquant un retour à l’islam des origines, il provient du mot salaf qui signifie, prédécesseur ou ancêtre, et qui désigne les compagnons du prophète Mahomet et les deux générations qui leur succédèrent.
[2] The Redirection, Is the Administration’s new policy benefitting our enemies in the war on terrorism ?, Seymour M. Hersh , March 5 , 2007.
[3] La majorité des informations développées dans cet article ont été repris d’une étude stratégique élaborée par un centre de recherche jordanien téléchargeable sur le lien suivant.
[4] Citation en arabe dans le rapport téléchargeable sur ce lien.
[5] Voir l’article d’Alain Rodier du Centre français de recherche sur le renseignement.

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