samedi 12 janvier 2008

BCE : vers la réforme ?

Réformer la Banque Centrale Européenne est devenue la principale préoccupation de certains dirigeants européens, notamment le président français Nicolas Sarkozy. Une réforme financière est certes nécessaire, mais elle doit être entreprise dans le cadre d’une nouvelle approche d’intégration économique.
La formation d’un vrai-faux Conseil des gouverneurs de la Banque Centrale Européenne (ECB Shadow Council) à l’initiative du quotidien financier allemand Handelsblatt, qui a préconisé jeudi dernier le maintien du taux général à 4%, montre bien la perte de légitimité de la principale institution économique européenne. La faiblesse de la croissance économique du Vieux Continent comparée au reste du monde explique en partie ce manque de légitimité. Pour autant, la crise qui secoue les principales institutions européennes reste la conséquence du non français et néerlandais au référendum sur le Traité Constitutionnel Européen.

Le traité simplifié signé lors du Conseil Européen de Lisbonne le 20 octobre 2007, instituant un Président du Conseil Européen à la majorité qualifiée et un Haut Représentant pour les affaires étrangères sous le contrôle du Parlement Européen fait cependant naître un espoir. Il jette les bases d’une entité politique qui pourrait faire émerger une structure supranationale capable de contrôler une institution financière comme la Banque Centrale Européenne.

Certains économistes reprochent à la BCE de limiter sa politique au seul objectif de la maîtrise de l’inflation. L’économiste français Nicolas Bavarez réclame une concertation entre une politique financière de stabilité des prix et une politique budgétaire d’investissement pour relancer la croissance dans la zone euro.

Interrogé sur le nouveau record de l’euro qui a dépassé la barre de 1.41 dollars, le Ministre des Finances belge, Didier Reynders, a déclaré : « je veux que la BCE reste indépendante et qu’elle accepte le débat ». Les dirigeants européens ne contestent pas le statut d’indépendance de la BCE issue d’un accord historique franco-allemand contribuant à sa création, mais ils réclament une cohérence entre la stratégie financière de la banque centrale et les contraintes budgétaires des états membres.

Chargé de réfléchir sur une restructuration des marchés financiers européens, le « Comité Lamfalussy », présidé par Alexandre Lamfalussy, ancien Président de l’Institut Monétaire Européen, s’est penché sur la réforme de la BCE. Le rapport qu’il a publié en 2001 préconise une politique européenne d’investissements sans tomber dans le dirigisme économique, une définition claire de la stabilité des prix ainsi qu’une réelle ouverture à la concurrence des marchés financiers.

La volonté des pays membres de relancer l’entreprise européenne laisse penser que ces mesures finiront par être prises en compte. Reste à savoir si les Etats de l’Union vont poursuivre cette réforme politique et économique. La réponse sera probablement donnée avant le 1er janvier 2009, date fixée par les vingt-sept pour la ratification du nouveau traité.

dimanche 6 janvier 2008

Pour une troisième république au Liban

Le Liban connait, depuis l’assassinat de l’ancien Premier ministre Rafic Hariri, une instabilité chronique qui dépasse les enjeux de l'élection présidentielle, du gouvernement d’union nationale ou du tribunal à caractère international sur l’assassinat de l’ex-Premier ministre.

D'un point de vue géopolitique et historique, le Liban n’est pas un Etat et n'a pas été conçu en tant que tel. Pourtant, l'identité libanaise existe, du moins sociologiquement. La formation de l’Etat libanais moderne, en 1920, était le résultat d’une compétition entre le patriarcat maronite, promoteur d’un Liban chrétien, et les nouvelles élites modernisatrices, qui oeuvraient au développement d’une culture commune transcommunautaire. Un duel gagné par le premier. La recherche d’un consensus et l’élaboration d’une politique nationale se sont faites pour et contre, au cœur et autour de cette prééminence chrétienne; pour et contre cette entité étatique spécifique dans son environnement régional.

L’Etat communautaire de l’après-guerre se caractérise au contraire à la fois par l’absence d’une autorité supérieure, et par le refus d’une prééminence communautaire. Aucune autorité libanaise n’est plus en mesure de réguler la compétition communautaire. Plutôt que la volonté de vivre ensemble, qui fonde la démocratie de consensus helvétique, les communautés libanaises partagent un devoir de vivre ensemble.

Ce devoir de vivre ensemble, que les pères fondateurs libanais appellent démocratie consensuelle, ou confessionnelle, montre plusieurs limites, surtout en périodes de crise. Depuis l’instauration de la deuxième république, on assiste à un processus d’édification de l’Etat mené sous deux contraintes impératives, qui sont aussi deux tabous: les communautés identitaires renforcées et les mobilisations centrifuges. L’esprit localiste s’impose, l’habitude du développement séparé reste prégnante et les frontières imaginaires puissantes. L’Etat persiste à nier les aspirations centrifuges en refusant de mettre en place un système de décentralisation pourtant adopté par le document d’entente de Taëf.

Le blocage de la vie politique, sociale et économique atteint aujourd'hui un point de non-retour. Le Liban connait une communautarisation très forte et un risque de plus en plus probable d’embrasement, la crise économique aidant à mettre en péril la paix sociale. Malgré un environnement régional instable et une crise interne mêlant le politique, la religion et la géopolitique, les Libanais doivent, plus que jamais, réfléchir à une modernisation de leur système politique.

Face aux blocages institutionnels, une troisième république s'impose, et par conséquent, une nouvelle constitution qui fasse entrer le pays dans la modernité. En développant la notion de la guerre des autres sur notre territoire, nous oublions notre responsabilité dans la guerre qui a secoué le pays pendant plus de quinze ans. Libérés de l’occupant israélien et du tuteur syrien, nous devons réfléchir à une méthode de vivre ensemble qui passe obligatoirement par une réforme institutionnelle.

Tout d’abord, une nouvelle loi électorale est nécessaire, respectueuse de toutes les tendances politiques et sociologiques. Un découpage basé sur le canton semble le plus approprié pour la structure libanaise, avec une dose de proportionnelle, garante de la représentativité de toutes les fractions qui forment le pays.

Ensuite, la société civile doit avoir le courage d’imposer un code civil, à commencer par le mariage civil optionnel. C’est un premier pas vers la modernisation de la vie sociale, qui permettrait progressivement une séparation entre les institutions religieuses et l’Etat et permettrait à ce dernier d’assoir sa légitimité et son lien avec les citoyens.

De plus, une politique d’aménagement du territoire et d’urbanisation bien conçue est la réponse idéale aux phénomènes de communautarisation. Une politique de mixité sociale et communautaire dans le travail et l’éducation, et à long terme dans l’habitat, diminue le sentiment de rejet de l’autre et prépare le terrain d’une cohésion nationale.

Enfin, une politique éducative intégrant toutes les religions du pays pour tous les étudiants est une façon de forger une histoire commune. Il est clair que l’Etat et les institutions religieuses jouent un jeu à somme nulle, pourtant l’augmentation du pouvoir de l’Etat ne signifie pas nécessairement l’affaiblissement de la religion.

Un Liban moderne ne signifie pas un système politique non respectueux de la religion; bien au contraire, c’est le développement d’une laïcité laïcisée qui permet de développer une approche universelle et moderne de la compréhension de la religion.

Banque centrale européenne : quelles pistes de réformes ?

Fin mai 2005, deux pays de la zone euro rejetaient le traité constitutionnel européen par voie référendaire. L’une des raisons majeures de ce rejet est très certainement la situation économique de la zone euro, une analyse approfondie du système économique et par conséquent des pistes de réformes s’imposent aujourd’hui d’autant que la BCE est critiquée par plusieurs pays notamment la France.
L’introduction de l’euro, le principal produit de la banque centrale européenne est de loin l’une des réussites les plus marquantes de l’entreprise européenne. Mais cette réussite financière cache des problèmes d’ordre économique et idéologique. La zone euro n’arrive pas a décoller sa croissance qui reste en dessous de la moyenne mondiale, et le taux de chômage reste très haut menaçant la stabilité sociale du continent, à tout cela s’ajoute le débat sur l’identité européenne entre les post-nationaux favorables à un Etat fédéral considérant l’Etat nation trop petit dans un système mondial dominé par la logique des blocs et les nationaux souverainistes attachés à l’Etat nation comme la forme légitime de la garantie des libertés du citoyen.

La question économique étant de plus en plus présente dans les débats, la BCE et les institutions économiques de l’Europe doivent se réformer pour répondre aux attentes des citoyens de l’Union et pour assurer une stabilité sociale et politique de l’Europe. Plusieurs pistes de réformes peuvent être évoquées :

Développer un lien idéologique entre la BCE et les Etats nations

La révolution industrielle en Europe a contribué à l’émergence de puissances qui ont dominé le monde et qui par la suite ont adopté un projet d’intégration économique régionale. L’intégration a été faite dans le respect de la liberté de chaque peuple de se disposer de ses propres moyens pour développer une activité économique qui a été gérée par une politique économique et monétaire basée sur une institution qui pilote les divers actions économiques, qui est la banque centrale nationale. Cette banque centrale correspond à une identité politique qui reflète le choix d’un gouvernement censé appliquer les choix de sa population qu’elle a élu démocratiquement.
En développant le lien entre la nation et sa banque centrale, on peut considérer la BCE avec son fonctionnement indépendant un exemple flagrant du déficit démocratique, principale raison de l’échec de la Constitution européenne.

Ce déficit démocratique est lié au statut d’indépendance de la BCE qui n’a aucun compte à rendre, pas même devant le Parlement européen ; l’exercice de comparaison avec la FED, contrôlée par le Congrès, nous permet de penser à des reformes alternatives qui passent par une construction politique de l’Union européenne.

Dépasser l’objectif de la maîtrise d’inflation
Le rôle de la BCE est de gérer la monnaie européenne, d’assurer la stabilité des prix avec une hausse limitée de façon arbitraire à 2 %. Au lieu de favoriser des grands projets économiques, la BCE privilégie un capitalisme du type financier, la priorité étant accordée à la lutte contre l’inflation. L’action rigoureuse de lutte contre l’inflation de la BCE est légitime, mais dans la réalité des faits l’inflation de la zone euro dépasse le taux de 2 % qui atteint dans certains pays 3,4 % à cause des différences structurelles. Pour cette raison, il faut une refonte complète de la politique monétaire basée sur une coordination étroite entre la BCE et les acteurs politiques et économiques.
La question de l’indépendance de la BCE
L’indépendance de la BCE est liée à la construction européenne et plus particulièrement au couple franco-allemand qui a permis cette construction. La spéculation sur les monnaies européennes est alors telle qu’elle empêche toute politique monétaire cohérente et efficace. En 1988, la monnaie la plus forte était le mark allemand, qui était la principale variable d’ajustement monétaire. La création de l’euro était une double concession franco-allemande, les Allemands abandonnent leur monnaie nationale contre une concession française qui est l’indépendance de la BCE. Aujourd’hui, force est de constater que l’euro a rempli son rôle : il est une monnaie stable, forte et présente dans toutes les banques centrales du monde.
Le principal problème est qu’il n’a pas face à lui une gouvernance économique coordonnée de la zone euro. Cette gouvernance est en formation au sein de ce qu’on appelle l’Eurogroupe qui réunit les ministères de Finance de la zone euro. L’une des dispositions qui peuvent contribuer à l’émergence de cette gouvernance est inscrite dans le traité simplifié qui donne à l’Eurogroupe le droit de disposer d’un président stable et fort qui peut faire un contrepoids à la BCE dans l’élaboration des politiques monétaires et économiques de la zone euro.
Intégrer de nouveaux critères dans la politique monétaire
Une intégration de nouveaux indices dans la politique monétaire s’avère nécessaire surtout que le critère unique de stabilité des prix même s’il a apporté une maîtrise de l’inflation n’a pas donné à l’Europe une croissance tant recherchée capable de relancer l’activité économique et résoudre le problème du chômage. D’abord, la politique monétaire, l’un de ses rôles essentiels est de maintenir, à moyen terme, une inflation faible. Mais elle a un deuxième rôle, celui de stabiliser la demande et l’activité. Ensuite, la politique budgétaire, une politique budgétaire cyclique plus agressive - des déficits plus larges en récession et des surplus plus larges en expansion - serait probablement plus efficace. A l’heure actuelle, elle n’est ni discutée ni même étudiée. Il est également temps de s’y mettre et de réfléchir aux meilleurs instruments fiscaux pour l’accomplir.

Enfin, la BCE doit se démocratiser en renforçant son objectif de transparence et en menant une politique de coordination avec les autres acteurs économiques sur la base d’une concertation avec le Parlement européen (principale institution en terme de légitimité) et qui est le seul capable de mener une réforme juste et équitable qui fait émerger l’Union comme un acteur politique et économique mondial.

Réflexions sur le salafisme : le cas des camps palestiniens au Liban

Introduction
L’apparition du mouvement Fath-Al-Islam et son installation dans le camp palestinien stratégique de Nahr-Al-Bared au détriment du mouvement Fath-Al-Intifada depuis cinq mois, pose plusieurs questions sur le développement d’une mouvance salafiste dans les camps de refugiés ainsi que l’hypothèse d’une présence massive d’Al-Qaïda.

L’une des questions qui ont été posées sur ce mouvement est sa relation avec les services secrets syriens toujours actifs dans le pays de cèdres malgré le retrait des troupes syriennes en 2005, ou son instrumentalisation par des services sécuritaires américains et saoudiens comme l’a souligné Seymour Hersh [2] du journal américain, The New Yorker, une thèse qui a pris une certaine crédibilité sur certains médias arabes sans toutefois devenir fiable.

De plus, l’attentat contre le contingent espagnol de la FINUL au sud du Liban a relancé la polémique sur la présence accrue des groupes salafistes [1] au Liban notamment dans des zones relativement de non-droit comme les camps des réfugiés palestiniens.

Après avoir été délogé du camp de Nahr-Al-Bared par l’armée libanaise, plusieurs questions restent en suspens sur la mouvance salafiste dans le pays de cèdres ; une analyse systémique des camps et de leurs environnement est nécessaire pour comprendre la situation actuelle et par conséquent mettre en perspective l’avenir du Liban.

Quelques réflexions
Plusieurs réflexions peuvent êtres émises sur le développement des mouvements salafistes dans les camps palestiniens au Liban :
La perte de légitimité du mouvement Fath serait à la base du développement du fondamentalisme dans les camps des réfugiés au Liban.
La plupart des mouvements djihadistes sont issues du mouvement Fath, qui, avant la victoire de Hamas en janvier 2006, dominait la scène palestinienne dans les camps de réfugiés ainsi que dans les territoires occupés. En effet, le mouvement Fath-Al-Islam est une scission du Fath-Al-Intifada qui est lui-même issu du mouvement Fath. Ce phénomène rappelle la scission du mouvement « Armée de l’islam » de la « Résistance populaire » elle-même issue du mouvement Fath.
La plupart de ces groupes développent une idéologie similaire à celle d’Al-Qaïda. C’est le cas de « l’Armée de l’Islam », qui a annoncé sa responsabilité dans l’assassinat de plusieurs personnalités politiques palestiniennes. D’un autre côté, on trouve certaines divergences entre ces mouvements et Al-Qaïda dont la plus notable était le refus de tuer le soldat israélien capturé, Gilad Shalit, pour des raisons théologiques en contradiction totale avec les méthodes de l’organisation terroriste [3].
Quoi qu’il en soit, le lien entre ces mouvements avec Al-Qaïda reste à établir. Certains observateurs considèrent que pour des raisons techniques, ces mouvements optent pour un mode de séparation relatif avec la nébuleuse, sans pour autant être totalement indépendant.
En général, la prolifération de ce genre de mouvements montre bien l’instabilité chronique qui frappe autant la classe politique palestinienne que la population. L’échec du projet nationaliste du Fath et les difficultés de Hamas à imposer un islam pragmatique, ouvrent la voie à toutes les options extrémistes. D’autant plus que cet extrémisme est facilité par la précarité de la population, la persistance de l’occupation israélienne et une instrumentalisation de certains services secrets régionaux et internationaux.
L’environnement socio-économique des camps est propice aux thèses fondamentalistes.
Le Liban reste le terrain idéal de la prolifération des milices armées de tout genre. Dans un pays multiconfessionnel, où chaque communauté au fil des années de la guerre civile, a développé sa propre milice, la communauté sunnite est restée la plus faible en matière d’armement milicien. Quand les chrétiens se sont tournés vers Israël et les chiites vers l’Iran chiite, les sunnites libanais ont trouvé dans les Palestiniens des frères d’armes comme l’a souligné le Mufti Sunnite Hassan Khaled le 19 mai 1989, en déclarant que « la résistance palestinienne est l’armée des sunnites au Liban » [4].

La polarisation du pays depuis l’assassinat du Premier ministre Hariri, en février 2005, a accru la tension entre les communautés. Ce manque de confiance entre communautés a suscité un sentiment de suspicion à l’égard des camps de réfugiés qui regroupent un ensemble de problèmes qui vont de la simple précarité économique au développement d’un islam salafiste, voire terroriste.

Les gouvernements libanais successifs ont été assez hésitants dans leur gestion de la question des camps. En effet, ces endroits sont des espaces dans lesquels existent plusieurs centres de décisions allant des factions palestiniennes jusqu’aux services secrets étrangers en passant par les services de sécurité libanais. Un tel milieu est facilement manipulable, et certains croient que le maintien de ces groupes dans une zone limitée est plus gérable que leur dispersion sur le territoire libanais.

De plus, les camps palestiniens, à dominance sunnite, présentent toujours en cas de naturalisation le risque d’un déséquilibre démographique. Par conséquent, les groupes qui forment ces camps sont facilement instrumentalisés pour des causes nationalistes, religieuses ou stratégiques.

D’un autre côté, malgré la précarité et l’instrumentalisation des Palestiniens du Liban, on observe une certaine neutralité à l’égard de la politique intérieure libanaise de la part des responsables des camps. Le principal objectif de ces responsables est devenu d’éviter à la population des camps d’être entraînée dans un jeu libanais de plus en plus complexe.
La pérennité des mouvements fondamentalistes est assurée par un financement lui permettant une installation durable.

La principale raison du développement du fondamentalisme réside dans la précarité dans laquelle vivent les Palestiniens, une situation provoquée entre autre par les mesures discriminatoires de l’Etat libanais. On peut évoquer une autre raison plus importante dans le contexte actuel, il s’agit de l’affaiblissement du principal mouvement palestinien, le Fath.
En effet, la principale source financière des familles palestiniennes était l’aide de l’OLP, à travers le mouvement Fath, qui jusqu’à janvier 2006, date de la victoire du Hamas, contrôlait les principaux camps. Depuis la victoire du Hamas, on assiste à une pénurie financière dans les camps, une situation à l’avantage des groupes fondamentalistes qui occupent un terrain propice aux thèses fondamentalistes.

Selon plusieurs observateurs, ces groupes disposent de moyens financiers de plus en plus importants et visibles, ce qui pose la question de leur financement, surtout dans le contexte d’une instabilité libanaise et d’un arrêt presque total du paiement des salaires des fonctionnaires de l’autorité palestinienne.

De plus en plus, on assiste à des achats de terrains et d’immeubles proche des mosquées, c’est ce qu’a essayé de faire le mouvement Fath-Al-Islam dans le camp de Nahr-Al-Bared. D’autres organisations ont eu le même mode opératoire dans d’autres camps comme le mouvement « Asbat Al-Ansar » au camp d’Aïn-El-Helwi et Jound-El-Cham dans le quartier de Taamir à Saida, où l’on parle déjà d’un afflux de combattants de Nahr-El-Bared venant trouver refuge à la suite de leur éviction du camp stratégique par l’armée libanaise [5].

Le discours des principales organisations reste conservateur et ne prends pas en compte les attentes sociales et nationales de la population des camps. Si le discours de ces organisations était basé sur la lutte contre l’occupation et dans une moindre mesure la défense des musulmans et la cause musulmane en Tchétchénie et en Afghanistan, il a pris une tournure fondamentaliste après la guerre d’Irak. Cette déviation idéologique laisse croire à un affaiblissement des formations palestiniennes et, par conséquent, à une absence de toute perspective de reprise des négociations, l’une des principales occupations de la population des camps palestiniens au Liban.

[1] Salafisme : idéologie fondamentaliste sunnite revendiquant un retour à l’islam des origines, il provient du mot salaf qui signifie, prédécesseur ou ancêtre, et qui désigne les compagnons du prophète Mahomet et les deux générations qui leur succédèrent.
[2] The Redirection, Is the Administration’s new policy benefitting our enemies in the war on terrorism ?, Seymour M. Hersh , March 5 , 2007.
[3] La majorité des informations développées dans cet article ont été repris d’une étude stratégique élaborée par un centre de recherche jordanien téléchargeable sur le lien suivant.
[4] Citation en arabe dans le rapport téléchargeable sur ce lien.
[5] Voir l’article d’Alain Rodier du Centre français de recherche sur le renseignement.

samedi 5 janvier 2008

La formation des religieux au Liban : diversité culturelle, féodalité traditionnelle ou tour de Babel moderne ?

Qui forme les religieux au Liban? Comment ces personnes deviennent des personnages-clés dans la vie politique et sociale libanaise?

Plusieurs questions se posent sur les institutions et les écoles qui forment ces personnages-clés du paysage sociopolitique oriental. Bien entendu, ces institutions et leurs fonctionnements ne sont pas un secret pour la communauté qu’ils représentent, mais pour les autres c’est un monde secret et fermé d’autant plus qu’il existe au Liban dix-sept communautés religieuses qui possèdent chacune ses propres institutions. Comment ces institutions ont été formées et quels sont les pré-requis pour qu’une personne appartenant à une certaine communauté devienne un élève de ces institutions et qui par la suite se propulsa comme un des représentants religieux de sa communauté.

L’homme religieux occupe une place importante dans la vie des Libanais : en l’absence d’un droit civil, il est le législateur et l’exécuteur de toutes les activités qui touchent à la vie des individus comme le mariage, le divorce ou l’héritage. Mais le paradoxe libanais n’est pas dans cette forme archaïque de gestion dans un pays qui prétend être le précurseur de la modernité dans la région, il est dans la nature et le fonctionnement des institutions religieuses privées qui mêle le religieux et le laïc et qui diffère largement du système officiel laïc.

La première observation de ses institutions tient à leurs diversités : certaines institutions sont considérées comme des universités et, par conséquent, elles sont liées à la direction de l’enseignement supérieur du ministère de l’Education nationale, d’autres peuvent êtres assimilés à des écoles ou des instituts universitaires dont la plupart ont été créés par des partis politico-confessionnels qui n’ont pas jugé nécessaire de les intégrer au système éducatif légal.
La deuxième observation se résume dans le caractère traditionnel de gestion des institutions où il n’existe aucune règle objective de sélection des candidats et aucune concertation avec les institutions communautaires représentatives de chaque groupe religieux.

La troisième observation analyse la question des petites communautés, qui, faute de moyens financiers et démographiques n’ont pas pu faire émerger une classe religieuse moderne laissant le monopole théologique à une minorité traditionnelle détachée de l’évolution de la communauté, c’est le cas des religieux druzes dont les pratiques ressemblent aux méthodes soufistes du VIIIe siècle.

L’une des observations les plus marquantes est le nombre des religieux de certaines communautés par rapport au poids démographique de la communauté : dans certaines communautés, il existe une prolifération des institutions religieuses qui, parfois, tient une idéologie différente de la ligne officielle de la communauté ce qui crée une sorte de sectes au sein même de la communauté d’origine, d’autres au contraire souffrent d’un manque d’institutions ce qui se répercute sur la gestion sociale et religieuse de la vie qui reste dépendante du religieux en l’absence d’un droit civil.

De plus, il existe des disparités flagrantes entre les différentes institutions dans leur rapport à la modernité, certaines institutions deviennent des véritables centre d’enseignement qui donnent un enseignement religieux et scientifique, cette forme a le mérite de rapprocher le citoyen du religieux, car elle donne au religieux une fonction sociale, d’autres institutions restent dans le giron religieux par absence de moyen ou de visibilité ou par simple refus idéologique de la modernité.

On peut se poser la question de la légitimité de cette diversité religieuse surtout que sa finalité n’est pas religieuse, mais politique et je dirais même communautariste, c’est pour cela qu’on est tenté de dire que cette structure est une tour de Babel moderne qui ne contribue pas nécessairement à un dialogue entre les différentes communautés qui forment le pays de cèdres.

mardi 1 janvier 2008

Eclairage sur la désignation présidentielle au Liban


L’histoire des élections présidentielles libanaises :

Le 23 octobre 2007, le parlement libanais devrait se réunir pour élire un nouveau président de la république pour succéder au président sortant Emile Lahoud dont le mandat se termine le 23 novembre 2007. L’histoire des élections présidentielles au Liban montre une certaine instabilité dans le processus de la continuité constitutionnelle :

En septembre 1958, une mini-guerre civile s’est éclatée entre le président sortant Camille Chamoun et l’opposition qui a accusé le président d’avoir mené une politique pro-occidentale. La crise s’est soldée par l’élection du chef de l’état major Fouad Chehab. Plus tard, en 1982, le président sortant Elias Sarkis, après plusieurs tractations nationales, régionales et internationales, à laissé sa place à Bachir Gemayel qui a été assassiné quelques jours après son élection, il a été remplacé par son frère Amine Gemayel.

En 1989, le pays à été divisé entre deux gouvernements dont un militaire formé à la suite d’un vide constitutionnel laissé par le président sortant Amine Gemayel. La crise s’est terminée par un accord interlibanais dans la ville de Taëf en Arabie Saoudite qui a permis au parlement de choisir René Mouawad comme nouveau président de la république. Le président élu a été assassiné le jour de la fête nationale le 22 novembre et a été remplacé par Elias Hraoui.

Enfin, le président Hraoui a été succédé par le chef de l’armée Emile Lahoud à la suite d’un amendement constitutionnel. Son mandat a été prorogé en 2004 pour trois ans en dépit d’une crise politique, dont la principale conséquence était l’assassinat en février 2005 de l’ancien premier ministre Rafic Hariri.

La constitution libanaise : Un président élu par le parlement

Le Liban est une république parlementaire dont les règles de fonctionnement sont développées dans une constitution qui a été construite sur la base de la constitution de la troisième république française. Plusieurs articles constitutionnels traitent les modalités de la désignation du président de la république, on distingue :

Article 49 : Le Président de la République est élu, au premier tour, au scrutin secret à la majorité des deux tiers des suffrages par la Chambre des députés. Aux tours de scrutins suivants, la majorité absolue suffit. La durée de la magistrature du Président est de six ans.

Article 51 : Le Président de la République promulgue les lois dans les délais fixés par la Constitution après leur approbation par la Chambre des députés, et en demande la publication. Il ne peut les modifier ni dispenser de se conformer à leurs dispositions.

Article 73 : Un mois au moins et deux mois au plus avant l'expiration des pouvoirs du Président de la République, la Chambre se réunit sur la convocation de son Président pour l'élection du nouveau Président. A défaut de convocation cette réunion aura lieu de plein droit le dixième jour avant le terme de la magistrature présidentielle.
Article 74 : En cas de vacance de la présidence par décès, démission ou pour toute autre cause, l'Assemblée se réunit immédiatement et de plein droit pour élire un nouveau Président. Si au moment où se produit la vacance la Chambre se trouve dissoute, les collèges électoraux sont convoqués sans retard, et aussitôt les élections faites, la Chambre se réunit de plein droit.
Article 75 : La Chambre réunie pour élire le Président de la République constitue un collège électoral et non une assemblée délibérante. Elle doit procéder uniquement, sans délai ni débat, à l'élection du Chef de l'Etat.
Article 76 : La Constitution peut être révisée sur l'initiative du Président de la République. Dans ce cas, le Gouvernement saisira l'Assemblée d'un projet de loi constitutionnelle,
Article 77 : La Constitution peut également être révisée sur l'initiative de la Chambre des députés. Cette révision a lieu de la façon suivante:
La Chambre des députés peut, au cours d'une session ordinaire et sur la proposition de dix de ses membres au moins, émettre, à la majorité des deux tiers des membres qui la composent légalement, une proposition de révision de la constitution. Les articles et les questions visés dans la proposition doivent être clairement précisés et énumérés. Le Président de la Chambre transmet la proposition au Gouvernement en lui demandant d'établir un projet de loi constitutionnelle.
Article 78 : La Chambre saisie d'un projet de loi constitutionnelle, ne doit, jusqu'au vote définitif, s'occuper que de la révision. Elle ne peut délibérer et voter que sur les articles et questions limitativement énumérés et précisés au projet qui lui a été transmis.
Article 79 : La Chambre des députés saisie d'un projet de loi constitutionnelle ne peut valablement délibérer et procéder au vote à son sujet que lorsqu'une majorité des deux tiers des membres qui la composent légalement se trouve réunie et le vote doit intervenir à la même majorité.

Législatives 2005 : Résultats et rapports de force

Les élections législatives qui ont eu lieu en avril-mai 2005 ont déroulé sur la base de la loi parlementaire 2000. Pourtant, avant l’assassinat du Premier Ministre Hariri, une nouvelle loi électorale était à l’étude, reprenant les dispositions de la loi électorale de 1960 qui divise le pays en 26 circonscriptions correspondant aux cazas. Cette réforme a été abandonnée à la suite de la crise politique quia secoué le pays, et c’est la loi de 2000 qui a été retenue.

Le découpage de cette loi était fondé sur le dessin de circonscriptions confessionnelles mixtes. Elle divise le pays en 14 circonscriptions : 3 à Beyrouth, 4 à mont Liban, trois dans la Bekaa, deux dans le nord du pays et deux dans le sud. L’une de spécifités de cette loi était que chaque électeur était invité à élire les députés de toutes confessions confondues de sa circonscription.

Malgré un découpage qui en 2000 était favorable aux opposants de Hariri, le mouvement du 14 mars qui regroupait les formations hostiles à la Syrie a emporté les élections grâce au soutien du principal parti dit loyaliste, le Hezbollah. En effet, le parti de dieu avait une politique relativement ambiguë pendant ces élections : dans la première circonscription du mont Liban(Le Metn) il a soutenu les candidats du courant patriotique libre du Général Aoun, tandis que dans la deuxième circonscription du mont Liban (Baabda) et dans la capitale il a développé une alliance avec le PSP de Walid Joumblatt et le Courant de Futur de Saad Hariri. Le résultat de ces élections était la formation d’une nouvelle majorité menée par Saad Hariri qui devient le chef de la majorité parlementaire.


Rapport actuel des forces :

La situation en 2007 à radicalement changé, la stratégie ambiguë du Hezbollah a radicalement changé et a été remplacé par une entente avec le Courant Patriotique Libre de Michel Aoun, cette entente a montré sa cohérence pendant la guerre de juillet 2006 durant laquelle le parti de dieu a été soutenu par le CPL ce qui lui a permis d’asseoir sa légitimité sur le plan national.

La coalition du 14 mars a été affaiblie, le mouvement qui avait lors de sa création un objectif commun, celui de dénoncer la présence syrienne, a été confronté au paradoxe de son hétérogénéité et la faiblesse des hommes politiques issu du block de Kernet Chahwan. La défaite de Amine Gemayel lors des législatives partielles étant la preuve de cette faiblesse.

Enfin, l’apparition du mouvement Fath –al-islam nous éclaire sur la décomposition de la communauté sunnite. L’apparition des mouvements salafistes dans le pays montre une division de la communauté et son affaiblissement dans l’absence d’une personne fédératrice.
Des divergences commencent à être observée entre le Courant de Futur et l’Union Tripolitaine de Mohammed Al-Safadi qui, si elle se confirme pourrait changer radicalement les alliances dans le pays.

Les principaux acteurs :

Saad Hariri : Chef de la majorité parlementaire, il est à la tête du courant du Futur, le principal parti de la majorité. Sa principale occupation était, depuis 2005, la mise en place du tribunal à caractère international afin de juger les assassins de son père qui était victime d’un attentat en février 2005. Son discours est caractérisé par une hostilité à l’encontre de la Syrie qu’il accuse d’être à l’origine de l’instabilité politique. Depuis Septembre2007, il est mandaté par le mouvement du 14 mars afin de trouver un compromis sur l’élection présidentielle.

Walid Joumblatt : Président du parti socialiste progressiste, et chef incontesté de la communauté druze, il est considéré comme l’un des principaux acteurs de la scène politique libanaise. Depuis l’assassinat de Rafic Hariri, il a joué un rôle important dans la coalition du 14 mars prônant un discours d’hostilité à l’égard de la Syrie qu’il accuse d’ingérence dans les affaires libanaises. Il a exprimé clairement sa préférence pour un président issu de la majorité parlementaire et réclame sans cesse le désarmement du Hezbollah.

Hassan Nasrallah : le chef du Hezbollah est devenu la personne clé dans le paysage politique libanais. Il a réussi l’intégration du parti de dieu dans le jeu politique libanais en privilégiant des alliances qui préservent les acquis du parti notamment en ce qui concerne sa résistance face à Israël et le maintien de son arsenal militaire. Depuis la crise gouvernementale de novembre 2006, il réclame un partage de pouvoir et un rééquilibrage des relations avec la Syrie en dénonçant le projet américain dans la région.

Nabih Berry : Président du parlement et chef du mouvement Amal, il a réussi par son pragmatisme de maintenir une certaine importance malgré l’hégémonie croissante du Hezbollah. A l’approche des élections présidentielles, il est devenu le principal acteur politique en raison de sa fonction comme président du parlement, son objectif étant de maintenir le système politique actuel tout en gardant une bonne relation avec les acteurs régionaux.

Michel Aoun : Président du courant patriotique libre, il s’est imposé sur la scène chrétienne en évinçant les formations traditionnelles. Son entente avec le Hezbollah lui a permis développer un discours nationaliste qui attire la nouvelle génération. Candidat de longue date à la présidentielle libanaise, il est contesté par la majorité et risque de perdre son avantage d’être élu dans le cas d’un consensus entre la majorité et l’opposition.
Patriarche Sfeir : Chef religieux de la communauté maronite, il a joué un rôle de rassembleur de la communauté chrétienne de plus en plus divisée. Mais ce rôle ne lui donne pas un pouvoir absolu, sa principale marge de manœuvre étant de donner son accord sur un président.


Les principaux partis:
Le courant du Futur : Principal parti de la majorité, il représente la majorité de la communauté sunnite au Liban. Hostile à la Syrie depuis 2005, il est l’un des acteurs du mouvement de 14 mars.
Le parti Socialiste progressiste : Présidé par Walid Joumblatt, il est formé principalement par des membres de la communauté druze, il est considéré comme un acteur majeur de l’alliance du 14 mars, et réclame l’élection d’un président issu de la majorité.
Le Hezbollah : Il est considéré comme le principal parti de l’opposition, organisé autour d’une idéologie religieuse, depuis 2005, il développe un discours nationaliste en tissant des alliances avec d’autres groupes comme le mouvement du Général Aoun.
Le mouvement Amal : Il est considéré comme l’aile laïque de la communauté chiite, présidé par Nabih Berry, le président du parlement libanais, il représente avec le Hezbollah la majorité absolue de la communauté chiite.
Le courant patriotique libre : Présidé par Michel Aoun, il a pu s’imposer sur la scène politique en remplaçant les formations chrétiennes traditionnelles, son entente avec le Hezbollah, lui permet de développer un discours nationaliste cohérent.
Les forces libanaises : Affaibli dans les années 90, il a émergé sur la scène chrétienne grâce à la libération de son chef Samir Gaagaa qui a intégré les forces du 14 mars et qui a fait du parti le principal opposant a son rival de toujours Michel Aoun.
Le Tachnaq : Principal parti de la communauté arménienne, il profite d’une assise importante dans le Mont Liban grâce à son alliance de longue date avec Michel El-Murr, depuis 2005 il soutient le Général Aoun et il est favorable à son éléction à la présidence de la république.


Scénarios :

Les réunions Hariri-Berri sur la présidentielle la semaine dernière ont montré un certain consensus sur la personne de Michel Sleimane, le chef d'état-major de l'armée. Dans le cas où ce scénario ne se produit pas, on peut envisager plusieurs hypothèses :

- Eléction de Nassib Lahoud par la majorité parlementaire sans concertation avec l’opposition, ce qui conduit le pays au scénario de 1989 avec deux gouvernement, un dirigé par Siniora et un autre soit par un militaire en concertation entre Lahoud et Aoun ou un gouvernement dirigé par Mohammed Al-Safadi qui rejoint l’opposition.

- Le deuxième scénario est lié à un événement régional, celui d’une frappe américaine sur l’Iran et entraine une tension dans le sud du Liban qui provoque un scénario à l’irakienne et une désintégration du pays.