mercredi 11 juin 2008

Le processus décisionnel de la politique nucléaire iranienne

Qui détient le pouvoir décisionnel du dossier nucléaire dans l’exécutif iranien ? Pour répondre à cette question, il faut analyser les capacités de négociation des responsables iraniens et étudier le fonctionnement du conseil de sécurité nationale, qui est depuis 2003, le principal interlocuteur de la communauté internationale sur l’épineux dossier du nucléaire.

Quoiqu’il en soit, le dossier nucléaire montre l’ambition de la république islamique à jouer un rôle considérable sur la scène régionale. Il résume à lui seul, les principales occupations de la communauté internationale vis-à-vis de l’Iran.

La stratégie adoptée par le tandem Ahmadinejad-Larijani, et depuis la démission de Larijani, par son successeur Saïd Jalili ne présente pas un changement avec celle de leurs prédécesseurs Khatami-Rohani, ni même une rupture liée à des aspects idéologiques, mais plutôt une continuité dont les modifications ont été dictées par la nouvelle donne stratégique dont a bénéficié la république islamique avec l’élimination de ses deux principaux ennemis : Saddam Hussein et les Talibans.

L’environnement stratégique de l’Iran a été le théâtre de changements politiques majeurs : Cinq états ont été créés à la frontière nord du pays avec la disparition de l’Union Soviétique au début des années 90. De plus, la guerre contre les Talibans déclenchée au lendemain du 11 septembre, suivi de la guerre d’Irak ont changé radicalement le dessein stratégique de l’environnement de la république islamique.

Malgré cette nouvelle donne, et la capacité de la diplomatie iranienne de profiter des contradictions géopolitiques, l’expérience de négociation du pouvoir en place reste limitée. En effet, l’histoire de la toute jeune république islamique dans les négociations internationales se limite à deux cas : les négociations indirectes avec Washington suite à la prise d’otage à l’ambassade américaine à Téhéran en 1980, et les pourparlers avec l’ancien régime irakien en 1988 après la fin de la guerre irano-irakienne.

Pour cela, les négociations entre l’Iran et l’UE3 (Royaume-Uni, Allemagne et France) peuvent être considérées comme l’expérience de négociation la plus importante de l’histoire de l’Iran révolutionnaire. Elles contraignent les dirigeants iraniens d’entamer une procédure de négociation plutôt complexe. C’est cette procédure qui intègre des aspects techniques, sécuritaires, politiques et stratégiques qui a provoqué des divergences entre le ministère des affaires étrangères et l’agence iranienne de l’énergie atomique. Trois aspects résument les divergences entre les deux institutions : l’autorité compétente de pilotage des négociations, la politique appliquée ainsi que les priorités de la politique nucléaire.

L’ancien négociateur en chef du dossier nucléaire, Hassan Rohani, a révélé que les divergences au sein de l’exécutif iranien se sont accrues au milieu de l’année 2003, après la demande de l’agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) d’inspecter les installations nucléaires. Alors que cette demande a été jugée par le ministère des affaires étrangères iranien comme une pression sur l’Iran de la part de la communauté internationale, l’agence iranienne de l’énergie atomique a minimisé l’impact de cette demande sur le programme nucléaire iranien. Cette différence d’interprétation a conduit à une restructuration de la procédure de négociation qui est devenue du ressort du conseil de sécurité nationale reléguant le ministère des affaires étrangères et l’agence internationale de l’énergie atomique au statut de simples acteurs.

Le conseil de sécurité national (CSN)

Le conseil de sécurité national est l’héritier du conseil suprême de la défense nationale, créé en 1979, en vertu de l’article 110 de la constitution de la république islamique. A l’époque, sept personnalités siégeaient dans cette institution :

Le président de la république
Le premier ministre
Le ministre de la défense
Le chef d’état major de l’armée
Le commandant des gardiens de la révolution
Deux conseillers du guide de la révolution

Après la mort de Khomeiny en 1989, non seulement le nom du conseil a été modifié, mais son pouvoir a été accru en intégrant douze autres personnalités. Actuellement, le CSN est constitué de dix-huit personnalités :

Le Président de la République Mahmoud Ahmadinejad
Le Président du Parlement Ali Larijani
Le Président de l’autorité judiciaire Mahmoud Hachemi Shahroudi
Le chef d’état major Atallah Salhi
Le Vice-président de la république et président de la commission du budget Farhad Rahber
Le Vice-président de la République Broïz Daoudi
Le Secrétaire Général Saïd Jalili
Le ministre des Affaires étrangères Manouchehr Mottaki
Le ministre de l’Intérieur Moustapha Bour Mohammadi
Le ministre des Renseignements Gholam Hussein Mohsenni Ijeii
Le Commandant de l’armée Mohammad Hussein Dardess
Le chef des gardiens de la révolution Mohammad Ali Jaafari
Le Président de l’assemblée des experts Hachemi Rafsanjani
Le ministre de la Défense Moustapha Mohammad Najjar
Le directeur de l’agence iranienne de l’énergie atomique Gholam Rida Agha Zadeh
Le ministre des Sciences et des Technologies Mohammad Mahdi Zahedi
Le ministre de l’Energie Broïz Fattah
Le représentant permanent de l’Iran auprès de l’ONU Jawad Zarif

Le guide de la révolution bénéficie d’un pouvoir absolu lui permettant de nommer le Secrétaire Général du conseil de sécurité national et de contrôler la désignation de la totalité des membres de ce conseil. De plus, la constitution iranienne impose l’accord du guide dans l’exécution des décisions émise par cette institution, responsable des décisions stratégiques du pays, dont le pouvoir dépasse de loin celui du parlement.

C’est ce groupe de personnalités qui gère d’une manière exclusive le dossier nucléaire en concertation avec le guide. En d’autres termes, le bureau du guide s’occupe de la planification stratégique qui sera appliquée par le conseil de sécurité nationale. Ce principe est resté le même durant les mandats de Khatami et d’Ahmadinejad, mais c’est le processus décisionnel qui a été modifié en fonction des changements de l’environnement régional du pays.

La politique nucléaire pendant le mandat Khatami :

L’analyse de cette période se base sur les déclarations de l’ancien Président Khatami et de son négociateur en chef, Hassan Rohani, ainsi que sur deux articles écrits par ce dernier sur cette question : le premier article a été publié en septembre 2005 dans le périodique iranien Rahbard , sous le titre « les défis de l’Iran et de la communauté internationale dans le dossier nucléaire », et le deuxième a été publié en hiver 2005 dans la revue américaine National Interest intitulé « nos activités nucléaires et notre relation constructive avec la communauté internationale ».

D’après les écrits et les déclarations du négociateur en chef iranien, le conseil de sécurité nationale a établit une procédure décisionnelle de quatre niveaux :

Niveau 1 : comité des affaires techniques et de négociations
Niveau 2 : comité des affaires sécuritaires et politiques
Niveau 3 : commission ministérielle chargée de la concertation avec le conseil
Niveau 4 : comité chargé de la validation de la politique nucléaire, dépendant directement du bureau du guide

Le conseil de sécurité national a chargé Hassan Rohani, homme de confiance du guide, de la concertation entre les quatre niveaux. Cette structure, qui a été créée pour répondre à la complexité des négociations avec les européens, montre bien l’affaiblissement du rôle du ministère iranien des affaires étrangères et de l’agence iranienne de l’énergie atomique dans la conduite de la politique nucléaire.

Selon Rohani, l’objectif principal de la politique nucléaire iranienne était de retarder le transfert du dossier nucléaire au conseil de sécurité de l’ONU. Cet objectif montre bien que l’Iran connaissait depuis longtemps que le dossier sera tôt ou tard repris par le conseil de sécurité de l’ONU et a articulé sa stratégie en jouant sur les contradictions entre les puissances protagonistes pour gagner du temps et obtenir des avancés sur le terrain technique.

En effet, les responsables iraniens connaissaient parfaitement les divergences d’intérêt entre les quatre acteurs majeurs du dossier nucléaire : les Etats-Unis, qui, à travers la demande du transfert de la question du nucléaire iranien, visait à affaiblir le régime iranien, se démarquait radicalement des européens qui souhaitaient bénéficier du marché iranien et des ressources pétrolières du pays. L’une des offres européennes consistait à l’arrêt de l’enrichissement de l’uranium en contre partie de l’intégration rapide de l’Iran à l’OMC (organisation mondiale du commerce). Cette offre a été jugée insuffisante principalement pour deux raisons : l’Iran considérait que, compte tenu des longues négociations du processus d’entrée à l’OMC, elle ne peut pas tirer des avantages en acceptant cette offre. De plus, l’Iran avait la volonté de continuer le processus d’enrichissement de l’uranium pour améliorer ses positions dans les négociations. Quant à la Russie, malgré son soutien relatif à l’Iran, elle a essayé de partager le marché iranien avec les européens en proposant de fournir l’uranium enrichi à la république islamique.

Parallèlement, pour essayer de semer la division au sein du conseil de sécurité de l’ONU, la république islamique a conclu des accords économiques et politiques avec la Chine dans la perspective de convaincre Pékin d’utiliser son droit de véto contre toute résolution contraignante à l’égard de l’Iran. De plus, le négociateur iranien a proposé aux européens d’associer aux négociations l’Afrique du sud et le Brésil pour affaiblir la pression diplomatique contre la république islamique. En effet, les deux pays ont toujours été intéressés par le développement d’une énergie nucléaire sur leur territoire et auront probablement intérêt de ne pas sanctionner l’Iran d’autant que la république islamique ne présente aucune menace stratégique à leur encontre.

Quoiqu’il en soit, L’Iran a accepté, à l’époque, de geler « temporairement » ses activités d’enrichissement en contre partie d’une promesse européenne de continuer les négociations jusqu'à trouver un accord permettant de satisfaire les intérêts économiques et technologiques de la république islamique. L’Iran a certes arrêté ses activités, mais seulement dans les domaines où elle a réalisé des progrès techniques. Par contre, elle a refusé d’arrêter ses activités dans les secteurs où elle a prouvé des faiblesses technologiques. Au début des négociations, l’Iran possédait 164 centrifugeuses. Ce chiffre n’a cessé de progresser avec le temps, il est passé à 500 en 2004 et à 1000 à la fin du mandat Khatami en 2005. En décembre 2007, 3000 centrifugeuses fonctionnaient à plein régime dans la république islamique.

Une seule phrase, prononcée par Rohani résume l’ambigüité de la communication du régime iranien sur le dossier nucléaire : « notre objectif était de donner une image globale de nos activités nucléaires pour empêcher le transfert du dossier au conseil de sécurité de l’ONU. Nous n’avons pas menti, mais on a communiqué tardivement nos informations ». Les tactiques iraniennes étaient bénéfiques pour le programme nucléaire. La république islamique a parfaitement évalué, pendant le mandat Khatami, la réaction de la communauté internationale sur cette question. L’Iran a lié sa relance de son activité d’enrichissement à l’échec des négociations avec les européens. L’objectif final de cette période, était d’atteindre un seuil d’enrichissement (3.5%) imposant un fait accompli : celui de la capacité du pays à maîtriser le cycle du combustible nucléaire.

La politique nucléaire pendant le mandat d’Ahmadinejad :

On peut estimer que les priorités iraniennes ont été modifiées au début du mandat du nouveau président en 2005, et cela grâce aux changements qui ont joué en faveur de la république islamique. Le sourire de Khatami et son dialogue des civilisations a été remplacé par les discours nationalistes d’Ahmadinejad.

L’exécutif iranien avait la certitude que le dossier nucléaire sera transmis devant le conseil de sécurité de l’ONU. Les responsables iraniens, convaincus du faible impact des sanctions internationales à leur encontre, ont choisi la confrontation en relançant l’activité de l’enrichissement. Un autre élément a motivé ce choix radical : posséder le cycle du combustible nucléaire est devenu une priorité stratégique pour la république islamique, qui, après les guerres d’Irak et d’Afghanistan suivies de sa relation tendue avec l’Arabie saoudite, s’est retrouvée encerclée par des puissances hostiles.

Le processus décisionnel de la politique nucléaire iranienne, qui est devenue le pivot de la politique étrangère du pays, a été modifié pour répondre aux nouvelles configurations stratégiques. Dans un article paru le 14 octobre 2007 dans le journal panarabe Al-Hayat, Moustapha Al-Labbad, chercheur égyptien spécialiste de l’Iran, a imaginé le schéma suivant pour décrire la nouvelle procédure de gestion du dossier nucléaire.

Six comités seraient en charge de la gestion de la question nucléaire iranienne :

Le comité des affaires techniques et de négociation : il comprend le ministre des affaires étrangères Manouchehr Mottaki, le coordinateur du conseil de sécurité national vice-ministre des affaires étrangères chargé des questions internationales Abbas Arakji, le président de l’agence iranienne de l’énergie atomique Ghoulam Rida Agha Zadeh, le représentant permanent de l’Iran aux nations unis Jawad Zarif, l’ambassadeur de l’Iran auprès de l’agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) Asghar Sultaniyeh, et le ministre de l’énergie Broïz Fattah.

Le comité des affaires sécuritaires et politiques : il comprend le secrétaire général du conseil de sécurité national Saïd Jalili, le chef d’état majeur de l’armée Atallah Salhi, le ministre de l’intérieur Moustapha Bour Mohammadi, le commandant de l’armée Mohammad Hussein Dadress, le ministre de la défense Moustapha Mohammad Najjar, et le responsable de sécurité du bureau du guide Asghar Hijazi.

Le comité de concertation et de suivi : présidé par le secrétaire général du conseil de sécurité nationale Saïd Jalili, il coordonne le travail des ministères concernés par le dossier nucléaire : le ministère des Renseignements, le ministère des Affaires étrangères et le ministère des Sciences et de Technologies.

Le comité présidentiel : il comprend le président de la république Mahmoud Ahmadinejad, le vice-président de la république Broïz Daoudi, le président de la commission du budget Farhad Rahber. Ce comité est strictement consultatif et son rôle se limite à des opérations de communication dont le but étant d’adresser des messages à la communauté internationale.

Le comité des affaires régionales : ce comité serait chargé d’étudier les évolutions régionales, notamment en Irak, Syrie, Liban et les Territoires palestiniens et analyser leur impact sur le dossier nucléaire iranien : Il comprend le chef des renseignements des gardiens de la révolution, le chef de la brigade Quds (les gardiens de la révolution), le vice-ministre des affaires étrangères en charge de l’Irak, les ambassadeurs de l’Iran dans les pays arabes ainsi qu’un ensemble de chercheurs spécialistes des questions de la région.

Le comité de validation du processus décisionnel : il comprend le guide de la révolution Ali Khamenei, le directeur du bureau du guide Mohammadi Gholbaikani, le responsable de sécurité du bureau du guide Asghar Hijazi, le chef des Gardiens de la Révolution Mohammad Ali Jaafari, le président du parlement Ali Larijani, le président de l’autorité judiciaire Mahmoud Hachemi Shahroudi, le secrétaire général du conseil de sécurité national Saïd Jalili, et le président de l’assemblée des experts Hachemi Rafsandjani.

La politique nucléaire iranienne s’avère cohérente par rapport aux objectifs fixés par le gouvernement de la république islamique, à savoir : maîtriser le cycle de combustion nucléaire. Les changements survenus entre les deux mandats de Khatami et d’Ahmadinejad dans le fonctionnement et la méthode, sont plus un ajustement lié au changement de l’environnement stratégique du pays qu’une rupture idéologique entre deux stratégies différentes. La seule différence réside dans l’imprécision des calculs de l’actuel gouvernement en comparaison avec les calculs exacts de son prédécesseur.

D’un autre côté, la nomination d’un nouveau secrétaire du conseil de sécurité national n’a pas eu d’impact sur la conduite des négociations entre l’Iran et les européens. Ce changement s’explique par une campagne présidentielle prématurée sur fonds de crise économique et de tensions entre Ali Larijani et le président Mahmoud Ahmadinejad. En effet, Ali Larijani, qui vient d’être élu à la tête du parlement iranien bénéficie, en plus de la confiance du guide Ali Khamenei, d’une assise électorale dans ville de Qom, et du soutien de son clergé qui a toujours beaucoup d’influence sur la conduite de la politique du pays. De plus, face à un Ahmadinejad affaibli par l’échec de sa politique économique, on assiste à l’émergence de Mohammad Qalibaf, le maire de Téhéran, un conservateur pragmatique qui pourrait s’allier à Larijani et briguer un mandat présidentiel lors des élections de 2009. Ce changement à la tête de l’exécutif iranien pourrait mettre les bases d’un compromis avec les européens sur la question du nucléaire.

vendredi 16 mai 2008

Le début de la fin de la classe politique libanaise

Le pays du Cèdre sombre depuis le 7 mai dans une guerre civile qui rappelle les moments les plus sombres de son histoire. Comme d’habitude, la classe politique libanaise est assez habile dans la qualification de ces actes: en atteste l’occultation du mot guerre dans les bouches des acteurs de ce conflit qui a coûté la vie à 80 libanais et blessé 250 autres.
Après une semaine de conflit, il est certes difficile de préciser les responsabilités, mais une analyse systémique de la crise permet de dessiner une perspective de la situation future de l’Etat libanais.
L'affontement politique actuel ne peut se résumer à duel entre pro et antisyriens
Il est impératif de détruire certaines idées reçues qui ont animé les analyses de la situation libanaise: les deux acteurs du conflit ont toujours été présentés dans les médias comme des partisans et des opposants à la Syrie.
C’est loin d’être une vérité absolue pour la simple raison que l’opposition (la coalition du 8 mars) réunit en son sein des partisans de la Syrie et un opposant traditionnel au régime syrien, le général Michel Aoun. D’un autre côté, la coalition au pouvoir qui se dit anti-syrienne a toujours été l’un des alliés de la Syrie avant 2004.
Il est plus judicieux de présenter les camps au Liban par rapport à leur divergence sur la résolution 1559 du Conseil de sécurité, qui a stipulé le retrait de toutes les forces étrangères du pays (comprendre la Syrie) et le désarmement des milices (les formations palestiniennes et le Hezbollah).
Une autre idée qui doit être revisitée est celle du concept de "majorité" libanaise: la coalition du 14 mars a pu obtenir une majorité lors des législatives 2005 grâce à son alliance avec le Hezbollah qui a opté pour une stratégie plutôt ambigüe: il a conclu un accord avec le leader druze Walid Joumblatt et les forces libanaises dans la circonscription de Baabda (au sud de Mont-Liban), et un autre accord avec Michel Aoun dans la circonscription du (au nord du Mont-Liban).
Par la suite, l’entente entre le Hezbollah et le Courant patriotique libre a fait basculer le Hezbollah dans l’opposition, ce qui met en cause le concept même de la majorité qui s’est retrouvée confrontée à une crise institutionnelle avec la démission des ministres chiites, provoquant la paralysie du gouvernement.
Les raisons libano-libanaises du blocage politique sont anciennes
La crise libanaise a certes des intersections régionales et internationales, mais cela ne doit pas occulter les raisons libano-libanaises de ce blocage. La classe politique dans son ensemble a toujours affaibli l’Etat, déjà depuis la création de l’entité libanaise par un émir druze au XVe siècle, l’histoire libanaise a été l’histoire des communautés libanaises, qui ont acquis chacune leurs droits civiques et politiques au fur et à mesure de leur évolution.
La communauté druze s’est imposée avec la politique de l’émir Fakhr Eddine II, qui a pu obtenir de l’empire ottoman l’autonomie du Mont-Liban. Les maronites, à travers le patriarche Al-Howayek ont obtenu, lors du traité de Versailles, la création du grand Liban, et les sunnites, à travers le pacte national ont obtenu le partage du pouvoir après l’indépendance.
Ce cheminement historique nous conduit à la communauté chiite, qui n’a cessé d’évoluer depuis 1991 sur l’échiquier politique libanais, en réclamant un partage du pouvoir qui correspond à la nouvelle donne stratégique, politique et démographique du pays.
La crise libanaise et sa perpétuation doit être lue dans l’incapacité des acteurs politiques à s’entendre, ou plutôt accepter cette nouvelle structuration qui nécessite, ni plus ni moins, une nouvelle constitution.
Cette crise interne a été amplifiée par l’instabilité de l’environnement régional libanais marqué par le conflit israélo-palestinien, la guerre d’Irak et la question du nucléaire iranien. La politique étrangère libanaise (si elle existe), s’est retrouvée confrontée à un ensemble de crises qui ont provoqué la scission entre la coalition de 14 mars et l’opposition sur la question des armes du Hezbollah.
Mais cette question qui a suscité tant de divisions n’est que la partie émergente d’un iceberg: la politique régionale post-guerre d’Irak 2003.
En effet, le Liban est le miroir de son environnement, et la crise libanaise n’est autre que la confrontation de deux projets régionaux, dont dépend le dessein stratégique de la zone.
Il s’agit de l’avenir de la relation entre les pays arabes et Israël et le sort des refugiés palestiniens: c’est cette question qui est au cœur des divergences régionales qui s’expriment dans un état tampon libanais. Lequel a aussi ses propres problèmes, comme sa politique étrangère et la question de son identité.
L’encerclement intérieur et extérieur du Hezbollah
Le Liban vivait depuis plusieurs mois une sorte de guerre civile silencieuse rythmée par des accusations de tout genre qui ont attisé la tension entre les communautés, et poussé la population à se réarmer massivement. Les scènes de combats de rue étaient prévisibles, mais c’est l’élément déclencheur qui était la principale inconnue.
En effet, le Hezbollah s’est retrouvé encerclé de l’intérieur et de l’extérieur. Et c’est pour cette raison qu’il a décidé de protéger son armement par la force: la focalisation de la majorité sur l’arsenal de Hezbollah a été sentie par le Parti de Dieu comme une violation de la déclaration du gouvernement qui a légitimé la résistance, ce qui a déclenché la crise qui a amené le Parti de Dieu a demandé, tantôt des législatives anticipées, tantôt un gouvernement d’union nationale avant l’élection d’un nouveau Président.
Au niveau international, plusieurs facteurs montrent l’affaiblissement et l’encerclement du Hezbollah: l’affaiblissement du gouvernement Olmert pourrait provoquer des élections anticipées qui pourraient bénéficier à Benjamin Netanyahou, qui pourrait lancer une offensive contre le Hezbollah et le Hamas.
D’un autre côté, les législatives iraniennes ont montré des fractures au sein des conservateurs, et l’apparition de deux figures pragmatiques, Larijani et Kalibaf, qui pourraient être tentés de négocier sérieusement avec les Etats-Unis.
Enfin, les révélations sur un présumé programme nucléaire syrien et les négociations secrètes israélo-syriennes mettent le Parti de Dieu dans une position délicate au niveau régional. L’ensemble de tous ces éléments seront à l’origine de la tentative du Hezbollah de protéger à tout prix son armement, et négocier le cas échéant une nouvelle donne politique dans le pays.
L’action militaire du Hezbollah: suicide ou dérapage contrôlé?
La stratégie militaire du Hezbollah depuis les incidents du 7 mai, qui a consisté à occuper une position et la donner à l’armée libanaise, montre une certaine logique du Parti de Dieu. Ce dernier voulait imposer par la force une nouvelle donne, sans pour autant contrôler militairement les territoires acquis.
Les combats à Beyrouth ou à Tripoli confirment cette stratégie qui, au premier abord, s’avère être une action concertée avec l’armée qui essaye, tant bien que mal, de protéger son unité.
Pourtant certains faits montrent un dérapage qui n’est pas totalement contrôlé, ce qui pose beaucoup des questions sur un mouvement très organisé comme le Hezbollah.
L’attaque des locaux de la télévision Future TV, le quotidien Al-Mustaqbal et Radio Orient, propriété du chef de la majorité, Saad Hariri, pourrait être un facteur de dérapage et une première dans un conflit interlibanais. On peut même dire que cet incident pourrait changer la perception de la rue arabe sur le Parti de Dieu, qui sera probablement présenté, non sans raison, comme un parti qui essaye de faire taire les médias de ses adversaires.
De plus, les opérations militaires dans les zones de populations druzes, fief historique du leader druze Walid Joumblatt, ont été présentées, surtout par la presse de l’opposition, comme un message adressé a Joumblatt sur la capacité de Hezbollah d’affaiblir l’emprise du leader druze sur sa communauté.
Les avis divergent quant au résultat de ces opérations militaires, et Joumblatt, en fin stratège, a pu déléguer la gestion de ce dossier à son rival historique Talal Arselan, qui ne peut pas tirer un grand profit de sa situation et pour cause, la communauté druze est très soudée en temps de crise.
En effet, Talal Arselan ne peut pas assumer devant l’histoire sa responsabilité dans la division de la communauté qui est régie par des codes religieux et féodaux qui caractérisent sa structuration et qui empêchent les druzes de s’émanciper de leurs leaders traditionnels.
Cet état de fait montre la faute impardonnable de Nasrallah qui, malgré son intelligence politique, n’a pas pu analyser l’histoire de la communauté druze, en croyant qu’il peut affaiblir Joumblatt, ce qui n’est pas le cas.
De plus, toute la classe politique, notamment les sunnites et les chiites, seront les responsables de la rupture qui va s’accroître entre les sunnites et les chiites, une rupture initiée par la guerre d’Irak de 2003, et qui atteint son paroxysme dans le dernier bastion du vivre ensemble dans la région, Le Liban.
C’est là que réside le principal échec de la classe politique libanaise, ce qui pourrait conduire à son affaiblissement progressif voir sa disparition.
Une troisième république laïque seule solution au conflit libanais
Tous les indices du terrain et des négociations entre les acteurs libanais et leurs alliés régionaux et internationaux montrent qu’on s’achemine vers un nouvel accord de Taëf sous l’égide du Qatar qui va présider le comité de la Ligue arabe, qui sera en charge de la concertation entre la coalition de 14 mars et l’opposition.
On peut avancer qu’il y aura une solution qui pourrait résoudre temporairement la crise libanaise en instituant des nouvelles règles de partage de pouvoir, mais cette solution ne sera jamais définitive.
Aucune personnalité politique ne sortira indemne de cette expérience: la coalition du 14 mars, notamment le Courant du futur et le Parti socialiste progressiste de Walid Joumblatt sont affaiblis et décrédibilisés au yeux de leurs opinions.
Les responsables chiites porteront la responsabilité de la division entre les chiites et les sunnites, malgré une responsabilité sunnite dans cette rupture.
Le communautarisme risque de s’amplifier avec une rupture presque irrémédiable entre communautés. La communauté chrétienne, elle est déjà affaiblie, et malgré le calme précaire qui règne dans les régions chrétiennes, elle est profondément divisée.
Ce constat pessimiste nous ramène à parier sur un phénomène de destruction constructive : Si les libanais prennent conscience de cette nouvelle donne inédite dans l’histoire du pays (affaiblissement de la totalité de la classe politique), ils pourront alors imposer un changement radical de la constitution et bâtir un Etat laïc seul capable de faire oublier les blessures communautaires, car qu’on le veuille ou non, à défaut de vouloir vivre ensemble, les Libanais sont condamnés à vivre ensemble.

mardi 29 avril 2008

La dynamique chiite en Irak

Déclarée dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, la guerre d’Irak de 2003 a bouleversé la donne stratégique dans la région du proche orient. En effet, en écartant Saddam Hussein sous prétexte de l’utilisation des armes de destruction massive, les Etats-Unis ont rendu service à L’Iran lui donnant la libre voie pour s’émerger comme une puissance régionale.

D’autre part, les Américains, en écartant les sunnites et favorisant les chiites, majoritaires en Irak, ont augmenté les tensions entre la communauté sunnite et la communauté chiite au niveau régional ce qui a inquiété les monarchies pétrolières sunnites du golfe, pourtant alliées des Etats-Unis. Mais loin de favoriser un arc chiite, comme certains dirigeants arabes et analystes occidentaux ont essayé de le démontrer, cette guerre a profité au premier lieu aux chiites irakiens qui se sont trouvés libérés de l’hégémonie du régime baasiste irakien, et ont commencé à bâtir un nouveau Irak en essayant de respecter le choix de toutes les communautés qui forme le pays.

Du côté iranien, la chute de Saddam Hussein est perçue comme une opportunité et un défi : dans le meilleur cas, un gouvernement ami s’installera au pouvoir, islamisera la société irakienne, stabilisera le pays et aplanira les tensions avec les Etats-Unis ; au pire, le nouveau gouvernement irakien gardera ses distances vis-à-vis de Téhéran pour ne pas apparaître comme le vassal des Iraniens, sa situation continuera à se détériorer et les tensions avec les Etats-Unis iront grandissantes.

A présent, depuis la victoire de l’Alliance irakienne unifiée dominée par les chiites –frustrante pour les Américains et encourageante pour l’Iran -Téhéran voit sa position réconfortée. Au moins trois des principaux partis (PUK, SCIRI, El-Daawa) sont proches de Téhéran, et l’un d’eux, le SCIRI noue des relations intenses avec le pouvoir politique et militaire de la théocratie iranienne. En même temps, Téhéran n’a pas intérêt à adopter une position provocatrice vis-à-vis des Etats-Unis dont il s’est résigné, à contre cœur, à ne pas exiger le départ dans les plus brefs délais.

Les chiites irakiens ne constituent pas un groupe homogène. La plupart d’entre eux sont arabes mais il y a également des Kurdes de Fayli, des Turkmènes, des Perses et d’autres encore. Même parmi les Arabes, les liens tribaux et locaux jouent encore un rôle important.

Pour des raisons historiques, le qualificatif chiite a prévalu parmi les classes inférieures comme les paysans et les habitants des marais, la plupart d’entre eux quittèrent la zone rurale pour se réfugier dans les bidonvilles autour des grandes villes, mais ceci n’indique naturellement pas qu’il n’existe pas de chiites dans d’autres segments de la société.

Les chiites d’Irak n’ont jamais constitué un groupe monolithique unifié et n’ont pas été non plus isolés du reste de la société : les mariages intercommunautaires entre Chiites et sunnites dans la région de Bagdad sont plutôt la règle et pour les couches les plus séculaires de la société irakienne l’appartenance communautaire joue un rôle primordial dans l’ascension sociale. Le concept d’un Irak tripartite : sunnite, chiite et Kurde est profondément fragile, certains classifient le peuple en termes religieux chiites et Sunnites ou en termes ethniques - Kurdes et Arabes, ou - pourquoi pas en employant une terminologie de classe. Cette dernière approche semble la plus utilisée.

L’Irak ne pourrait pas être divisé en trois gros groupes de sunnites, de chiites et de Kurdes mais en entreprises familiales économiquement puissantes et quasi mafieuses dotées de canaux d’expression politique (partis ou mouvements) : l’islamisation rampante de la société s’explique par la colère montante contre cette situation.

En analysant l’Irak de cette façon, on comprend facilement le mouvement de Muqtada El Sadr. Néanmoins, l’islamisation de la société irakienne pendant les dernières années de Saddam Hussein et la méfiance des clans dominants de Tikrit contre la majorité chiite, contribua à consolider la prise de conscience chiite. Mais cette prise de conscience n’était nullement contradictoire avec le nationalisme ou le patriotisme irakien comme cela a été démontré pendant la longue guerre contre l’Iran (les Iraniens sont conscients de ce sentiment et tentent d’adopter un profil bas ou au moins ne pas faire valoir la carte de la fraternité confessionnelle).

Les partis chiites irakiens et leurs politiques

L’Irak a donné naissance à plusieurs mouvements politiques chiites en réaction au communisme et à l’athéisme des années 60 et contre la dictature baasiste des années 1970. La guerre entre l’Iran et l’Irak a éloigné de plus en plus les différents groupes d’opposition en exil des affaires intérieures irakiennes et a favorisé la dépendance envers Téhéran. Avant 1980 seulement quelques petites cellules du parti de Daawa, et des autres groupuscules politiques ont survécu en Irak. A la chute de Saddam Hussein, seulement deux authentiques et influentes organisations chiites ont survécu : La Mardjaîya et le mouvement de Sadr el-Thani.

Politiquement, l’unité des chiites dépend actuellement du degré de coopération entre Sistani et Muqtada ; les autres partis chiites, islamistes et séculaires, sont de moindre importance, bien qu’ils fournissent des cadres expérimentés et entretiennent des structures partisanes. Les plus importants parmi ces derniers sont le Parti de l’Appel islamique (Daawa) et le Conseil Suprême de la Révolution islamique en Irak (CSRII), tous deux entretiennent des relations avec l’Iran. Le CSRII formait dès sa naissance un projet iranien et avait fonctionné comme un front d’organisations et de groupes islamistes, y compris des sunnites. Mais à la fin, il est devenu une entreprise exclusivement chiite dominée par l’influente famille irakienne d’Al-Hakim. Ce Conseil avait accès au noyau du pouvoir politique iranien. Deux membres de la direction de ce même Conseil – Ali Al-Taskhiri et Mahmud Al-Hashimi Al-Shahroudi – travaillent pour le bureau des dirigeants suprêmes de la République islamique d’Iran; le réfugié irakien Shahroudi a même été nommé par Khamenei au poste de ministre de la justice iranienne. D’autres organisations d’importance plus limitée existent dont l’Organisation de l’Action islamique (Munazzamat Al-Amal Al-Islami), corps politique représentant des familles cléricales des Modarresi, Chirazis et le Hizbullah Irakien. Ce groupe dirigé par Abdalkarim Abu l-Hatim Al- Muhammadawi a été le dernier mouvement de résistance des marécages du sud irakien.

Une autre organisation locale, Al Fadhilah (La Vertu) basé a Basra a réussi à imposer l’application stricte des lois islamiques parmi la population. Muhammad Ya’qubi de Najaf, un partisan de Muqtada-père, dont la popularité a chuté à cause de sa persistance à se placer en successeur choisi de Muhammad Sadiq, a fondé ce parti.

Le parti de la Daawa (Appel islamique) est le plus ancien parti islamiste chiite irakien qui a éclaté en plusieurs branches dans les années 1980-90, depuis que plusieurs figures influentes ont divergé avec les Iraniens sur des questions théologiques et politiques. La Daawa a subi de fortes pressions iraniennes pour rejoindre le Conseil Suprême de la Révolution Islamique en Irak (CSRII), mais la plupart des branches ont résisté. Ses branches au Liban et au Koweït ont été impliquées dans des activités terroristes contre le régime de Saddam dans les années 80.

La décennie suivante, certaines branches installées en Europe furent séduites par les principes démocratiques, mais le parti garde son cap islamiste et d’éminents membres comme Al-Jaafari insistent sur le rôle de l’islam dans la vie publique. Ces organisations en exil ne semblent pas encore unies avec ce qui subsiste de la Daawa, ils roulent chacun pour leurs propres intérêts au sein de l’Alliance irakienne unifiée.

L’Alliance irakienne unifiée (liste 169) est une vague structure, impulsée par la Daawa et le Conseil Suprême de la Révolution Islamique en Iran, regroupant des partis séculiers et chiites islamistes. La liste se réfère souvent à Sistani même si le guide essaie de garder son impartialité (de toute façon, il ne pourra pas voter puisque il ne jouit pas de la citoyenneté Irakienne).

A la base de la formation de cette liste, l’opposant de longue date Ahmad Chalabi qui a réussi à forger une alliance entre tous les partis impliqués, y compris le tonitruant Muqtada Al-Sadr opposé à toutes élections tant que l’occupation continue, mais qui ne s’est pas opposé à ce que ses partisans puissent former leur propre liste et participer au vote. Le 23 février 2005 la répartition des sièges des chiites islamistes au sein de l’Alliance irakienne unifiée était comme suit : le Conseil Suprême de la Révolution Islamique en Irak : 18, le Parti de la Daawa islamique : 15, le Parti de la Daawa islamique/Irak : 9, le Parti de la Vertu islamique : 9, le Conseil islamique chiite : 13, les Kurdes de Fayli : 4, le courant Al-Sadr a obtenu 21 sièges. Ce qui offre à l’Alliance un score de 89 sur 140 sièges. Cela ne leur donne pas une majorité mais en fait un bloc très puissant qui pourra, grâce à une alliance, diriger l’Assemblée nationale irakienne.

Comme on peut le constater clairement la question principale est de savoir dans quelle mesure ces groupes peuvent cohabiter ensemble et comment peuvent-ils faire converger leurs points de vues sur certains problèmes fondamentaux telle que la Constitution.

Le risque le plus probable c’est l’apparition de divergences entre ces différents groupes ou à l’intérieur des parties entre radicaux et pragmatiques. Les protagonistes en sont conscients. C’est là que Sistani apparaît dans son rôle d’arbitre et de modérateur pour aplanir les dissensions et imposer le compromis. Mais les pragmatistes au sein de la Daawa et du Conseil Suprême comme Ahmad Chalabi joueront le rôle de fédérateur et qui avec l’appui de Sistani pourront diriger ensemble l’Alliance irakienne unifiée. En cas de succès, l’Alliance serait la seule force capable d’impliquer les trois courants de l’islamisme chiite: le courant irakien incarné dans le parti de la Daawa/Irak et les deux courants en exil: le courant pro-occidental (Jafari, Ahmad Chalabi) et le courant pro-iranien (le Conseil Suprême de la Révolution Islamique en Irak). En d’autres termes, l’Alliance pourra entretenir de bonnes relations avec les deux principaux adversaires de la région: les Etats-Unis et l’Iran. Tous deux, en effet, et pour différentes raisons sont indisposés face à l’imprévisible pouvoir de l’Ayatollah Seyyed Ali Hussaini Sistani, un des plus importants leaders du chiisme mondial sinon le plus important.

Le rapport des chiites irakiens à l’Iran et leurs relation avec les Etats-Unis

Une des plus étonnantes coalitions scellées après l’invasion de l’Irak était celle liant les Américains au CSRII. Elle a été facilitée par l’acte de libération de l’Irak de 1998 et le climat plus libéral suivant l’élection du Président Khatami en 1997.

Néanmoins elle remonte au début des années 1990 avec les contacts du CSRII et du Congrès national irakien (CNI) d’Ahmad Chalabi. Khamenei, le leader de la révolution iranienne avait personnellement accepté la participation du CSRII au (CNI) d’Ahmed Chalabi parrainé par les Etats-Unis et la coopération croissante entre le CSRII et les Américains. En fin de compte, le CSRII est parvenu à se frayer une petite voie entre les Américains et les Iraniens en manœuvrant prudemment et de plus en plus indépendamment de Téhéran.

Un processus similaire de distanciation vis-à-vis de Téhéran s’est mis en place au Liban dans les organisations politiques chiites où des ONG iraniennes se sont totalement « libanisées » au fil des années.

Les relations de Téhéran avec le grand Ayatollah Fadhlallah en sont une parfaite illustration. Cette distanciation a été observée même parmi les alliés les plus étroits de Téhéran comme le Hezbollah libanais. Téhéran est consciente qu’elle ne possède plus qu’une faible marge de manœuvre sur le CSRII même si elle peut compter sur ses réseaux et les relations tissées entre les services de sécurité dirigés par Khamenei et des dirigeants du CSRII dont les services de renseignement et de sécurité étaient jusqu’à très récemment dirigés par un personnel iranien.

Son aile militaire, la brigade Badr (Faylaq Badr) a été entraînée, équipée et dirigée par les gardiens de la révolution iranienne (les pasdarans). Les membres de la brigade Badr sont déjà volontaires dans les forces irakiennes de sécurité et certains avancent même l’idée d’une intégration totale de la brigade Badr dans l’armée irakienne.

Selon le chercheur Walter Posch, une emprise des cadres du CSRII et de la brigade Badr aura comme conséquence l’irakisation de ces organismes plutôt qu’une iranisation des institutions irakiennes.

Ceci ne correspond pas totalement à la vision américaine quant au futur appareil de sécurité irakien. Les Américains semblent plutôt compter sur les ex-baasistes que sur les chiites radicaux. En juillet 2003, Ahmad Chalabi, suivant les directives américaines, s’est rapproché des membres des départements «Turquie» et «Iran» des Mokhabarats ; le notoire appareil de sécurité du parti Baas.

Les mois suivants Iyad Allawi recrutait d’ex-officiers Baasistes dans l’armée et les autres services de sécurité. Même au plus haut de l’embrasement de la crise de Nadjaf, le gouvernement irakien a plutôt préféré attaquer l’Iran pour ses immixtions sournoises dans les affaires irakiennes et le CSRII accusé d’être à la solde de l’Iran que l’armée du Mahdi de Muqtada. Depuis, Sha’lan, le ministre de la défense et Shahwani le directeur des Mukhabarat ont accentué leurs critiques de la politique de Téhéran, alors que leur objectif était de diminuer les chances de succès du CSRII aux élections à venir.

Vu la situation actuelle en Irak, les Etats-Unis et l’Iran sont confrontés à deux réalités. Quelque soit la future armée, celle-ci serait fortement constituée de conscrits et d’officiers d’origine chiite dont une partie proviendrait de la brigade Badr, une des rares organisations ayant acquis une expérience militaire. Etant donné les résultats des élections, les Etats-Unis devront se résigner à accepter un rôle accru des cadres du CSRII et de la Daawa dans les ministères.

L’Iran dépourvu de ses leviers, au sein des plus hauts cadres de l’une ou l’autre partie, continuera à apporter son aide matérielle et financière aux services sociaux chiites ce qui lui permettra de restaurer son image et créer de nouveaux liens avec les chiites irakiens sur des bases nouvelles.

D’une manière générale, sur une projection à long terme, les chiites continueront à jouer un rôle important dans la politique irakienne en gardant une certaine autonomie vis-à-vis de l’Iran en raison des divergences des priorités des deux peuples où le facteur national prime sur la fraternité religieuse. De plus, la divergence théologique entre Sistani et le clergé iranien rend difficile une certaine alliance chiite à grande échelle.

lundi 28 avril 2008

Retour sur le processus de Barcelone : Limites et perspectives de la coopération Euro-arabe

Article écrit en 2005 dans le cadre du séminaire "construction européenne : questions régionales", à l'Institut d'Etudes Européennes de L'Université Paris VIII.
L’économie est un langage universel qui intègre déjà les chefs d’entreprises et les acteurs de l’économie des deux rives de la méditerranée. La politique divise, la culture différencie, mais l’économie rapproche.

En 1995, le processus de Barcelone a été créé dans le but de rapprocher les deux rives de la méditerranée en utilisant comme critère de rapprochement l’économie, mais plus de dix ans après le processus, on observe des baisses des échanges commerciaux et des politiques de subventions qui, selon Amanda Daefoe, empêche une compétition équitable.

En effet, l’évaluation du processus EUROMED par les journalistes, lobbyistes et universitaires est sceptique. Les principales critiques du Partenariat EUROMED (PEM) portent sur le fait que la libéralisation économique encadrée a peu aidé les pays du sud dont les PIB atteignent à peine 18% de ceux des états de l’Union Européenne.

L’organisation des Amis de la Terre au Moyen-Orient (FoEME) met elle l’accent sur l’importance de l’agriculture, qui n’est pas régie dans ces pays par les mêmes accords commerciaux que ceux présidant à l’échange de biens manufacturés. La plupart des produits agricoles en provenance de la zone méditerranéenne, lorsqu’ils sont moins chers que les produits de l’UE, sont sujets aux restrictions de la PAC. Les barrières tarifaires des fruits et légumes varient selon les produits et les saisons, avec un prix plus élevé imposé durant les périodes où les importations communautaires sont susceptibles d’entrer en compétition avec les produits locaux.

Mais le Partenariat n’a pas simplement échoué dans le volet agricole de ses objectifs économiques. En matière de commerce et d’investissements étrangers directs (IDE), le processus de Barcelone n’a eu que peu de conséquences. Entre 1995 et 2003, la part globale de l’UE dans les importations et exportations en direction de ses partenaires méditerranéens a chuté.

Ces statistiques conduisent à une autre critique du processus de Barcelone, émise cette fois par les dirigeants des pays du sud eux-mêmes. Ceux-ci ont l’impression que l’Union européenne a laissé les pays du PEM sur le bas-côté afin de consacrer tous leurs efforts à l’élargissement vers l’est. Une remarque qui se justifie à beaucoup d’égards : l’UE a ainsi consacré une grande majorité de son aide technique et financière à aider ces futurs Etats membres. En 2003, Bruxelles attribuait environ 545 € par citoyen à chaque pays entrant alors qu’elle ne donnait que 14 € à ceux de la zone EUROMED.

Face à ce pessimisme, certains croient que la solution est bien dans la nouvelle politique européenne de voisinage (PEV). Il l’a considère comme un moyen de faire revivre le processus de Barcelone. En 2004, l’UE a offert à ses voisins l’opportunité de signer les accords de la PEV en augmentant la coopération bilatérale entre pays concernés et UE. Tous les Etats d’Euromed, excepté la Turquie désormais état candidat, ont signé les plans d’action de la PEV. La Commission espère ainsi que ces politiques bilatérales fonctionneront de concert avec le partenariat multilatéral de Barcelone pour construire une forte relation régionale.

vendredi 25 avril 2008

Refléxions sur les médias libanais

Voici quelques reflexions que j'ai écris en réponse à une série de questions qui m'ont été posées en anglais sur la l'état des médias libanais. fournisseurs d'information ou diffuseurs de propagande? Malheureusement la distance entre les deux est tellement fine surtout dans un pays dominé par des médias communautaires. Petit tour d'horizon qui pourrait engager le débat pour une réforme en profondeur.
1.) Why did you decide to engage in this area of media analysis?

Mon travail de recherche se base sur l’étude de la construction étatique libanaise entre instabilités géopolitiques et changements socio-économiques. Je pense que j’ai pu établir un lien entre le blocage politique qui s’est accentué depuis 2004 provoquant une confessionnalisation accrue de la vie politique et le système médiatique structuré autour des médias largement confessionnels. Cela m’a amené à émettre l’hypothèse que la réforme du paysage médiatique est un passage obligé pour moderniser l’état.

2.) Can you give a brief history of the development of sectarian media in Lebanon? I'm thinking particularly about LBC and its development but perhaps describe the media in general as well...

Je ne crois pas qu’on peut donner une date précise de confessionnalisation des medias. Certains analystes de la région considèrent que le Liban n’a pas été conçu en tant qu’état, mais comme une mosaïque de groupes qui ont toujours essayé de protéger leurs acquis par une aide extérieure. Le développement des moyens de communication a permis aux divers groupes de créer leurs organes de presse qui sont devenus des groupes médiatiques importants. Si on prend la principale chaîne du Pays (en termes de valeur financière), la LBC, on s’aperçoit que loin de son discours qui prône l’objectivité, a toujours appartenu à une catégorie confessionnelle distincte, à savoir la communauté maronite et plus particulièrement les forces libanaises. La fusion de la chaîne avec le groupe Rotana, ne change pas trop la donne, puisque le clientélisme qui caractérise la structure socio-économique libanaise permets un renouvellement des effectifs sur une base confessionnelle, sans que toute fois remettre en question le fonctionnement du média. Cette analyse est également valable pour les médias appartenant au chef de la majorité parlementaire Saad Hariri : le quotidien Al-Mustaqbal et la chaîne Future TV défendent presque exclusivement les intérêts d’une partie de la communauté sunnite, à savoir les sympathisants du Courant de Futur. De même, la chaîne Al-Manar, propriété du Hezbollah, ne fait pas d’ambigüité sur sa mission de défendre les intérêts du parti de Dieu et plus largement de la communauté chiite.

3.) Describe the way that sectarianism undermines journalism in Lebanon?

Le confessionnalisme fait partie de la vie politique, sociale et économique du pays. On peut même parler des territoires libanais, où chaque territoire est dominé économiquement par un groupe ou une confession. Cette structure archaïque d’un pays qui se réclame à l’avant garde de la modernité dans la région, institutionnalise le clientélisme comme un mode de gestion des ressources humaines. Cela s’applique au journalisme, qui est au-delà d’être un métier come un autre, est un outil de Soft Power, qui permet de pérenniser le système. L’absence d’un code moderne capable de réguler le secteur de l’audiovisuel, et la quasi liquidation de la télévision publique sont des preuves irréfutables du sectarisme de l’audiovisuel libanais. La solution est à chercher dans une nouvelle loi qui impose une transparence dans l’attribution des chaînes et des médias en général et qui impose une diversification communautaire dans le conseil d’administration de chaque média. Bien entendu, cette conception est difficile à mettre en œuvre, elle nécessite le développement d’une société civile responsable, qui devrait imposer à l’exécutif des réformes draconiennes.

4.) With the headlines of civil war dominating Lebanese press, is the Lebanese press conscious of their role in driving potential warfare?

Je ne crois pas que la presse libanaise traditionnelle est consciente de sa manière de traiter l’information. D’ailleurs, je ne sais pas si on peut qualifier le contenu de la presse d’information ou de propagande. Je vous donne un exemple : parfois on entend un soit disant expert ou analyste venu décrypter une situation quelquonque, il s’avère être un militant d’un tel ou tel parti. Alexis de Tocqueville disait « les nations fatigués acceptent qu’on les dupent, pourvus qu’on les reposent ». Je crains que la classe politique libanaise, du moins à court terme, a réussi à diviser la société libanaise avec la bénédiction de la presse, qui ne fait aucun effort d’explication rationnelle. Les seules tentatives objectives sont celles du journalisme dit citoyen qui prolifère sur Internet, mais la faiblesse du réseau de télécommunication est une entrave à son développement.

5.) Have you interviewed or talked to various media-makers, and editors that are honest about trying to combat the perception of the bias in Lebanese press?

A ce stade de ma recherche, je n’ai pas encore contacté les acteurs de la presse libanaise, que ce soit les décideurs ou les journalistes. Mais en tant qu’observateur assidu de la presse et de la politique du pays de cèdres, je n’ai pas remarqué aucun effort de conciliation. Bien au contraire, tout est fait pour booster les stéréotypes : la presse qui soutient la majorité brandisse la menace d’un croissant chiite en oubliant que la communauté chiite est profondément ancrée dans l’histoire libanaise et ne peut en aucun cas être accusée de suivre aveuglement une prétendue géopolitique iranienne. D’un autre côté, la presse dite de l’opposition qualifie une partie des citoyens libanais comme acquis à l’idée d’un projet de remodelage du Moyen-Orient. Pour sortir de cette impasse, il est urgent de véhiculer un discours de cohésion nationale qui unissent les libanais. Les idées ne manquent pas, mais c’est la volonté des acteurs qui est la grande absente.

6.) Do journalists working for obvious sectarian-backed media outlets ever express guilt over what media critics call "biased" or "non-credible/objective" reporting? Why?

Je serais un peu dur avec mes concitoyens en affirmant qu’on a toujours refusé au Liban de faire une autocritique de notre propre histoire. L’exemple le plus marquant est l’occultation de dix-sept ans de guerre civile dont on a rejeté la responsabilité sur les autres. Pour répondre à votre question, les journalistes libanais trouvent toujours des justifications pour leurs analyses en utilisant des arguments puisée dans une littérature stratégique qui privilégie une analyse ethnocentrique, en oubliant au passage, un fait historique, celui de l’harmonie qui régnait entre les communautés libanaises pendant plusieurs siècles.

7.) How can media shape the role of national identity?

La télévision publique libanaise, seul media censé véhiculer une culture nationale, a été démantelée par les gouvernements successifs. Il est totalement improbable d’envisager que des médias communautaires puisse faire émerger une conscience nationale. Or, l’identité nationale libanaise existe, du moins sociologiquement. Les acteurs du paysage médiatique, s’ils ont la volonté, pourraient développer les ingrédients de cette identité collective. Avec le développement d’Internet, un grand espace a été récemment occupé par un journalisme dit citoyen, qui, de plus en plus, met en échec les médias traditionnels. Ce phénomène très visible en occident, commence à se développer au Moyen-Orient et particulièrement au Liban. On peut espérer que cette nouvelle forme du journalisme pourrait sérieusement modifier le caractère confessionnel du paysage médiatique libanais. De plus, la rupture qui s’opère entre les dirigeants et la population aura comme conséquence, à long terme, la création d’une société civile seule capable de moderniser l’état.

8.) Can "pan-Arab" media play the role of pushing local media to be more responsible with their local reporting?

Les chaînes satellitaires panarabes ont révolutionné le paysage médiatique de la région et ont bousculé plusieurs pratiques de journalisme, en exportant parfois des méthodes occidentales. Je pense particulièrement à certains journalistes d’Al-Jazeera qui ont commencé leurs carrières à la chaîne britannique BBC. Plusieurs journalistes libanais travaillent actuellement dans ces chaînes, certains d’entre eux avait déjà travaillé dans des médias libanais. On n’a pas assez d’éléments pour juger l’objectivité de ces journalistes, mais on peut constater une diversité d’opinion présente dans ces médias. Sociologiquement parlant, si ont se retrouve dans un milieu pluriculturel, on fait un effort d’adaptation et on accepte l’autre. Appliqué aux médias, cette conception pourra être bénéfique et contribuer à un changement dans le traitement de l’information. L’absorption des médias libanais par des groupes panarabes pourrait être une solution logique, à condition d’être accompagnée par une régulation de l’espace médiatique de la région garantissant l’expression libre de tous les groupes de population.

9.) What are the bright spots with regards to Lebanese media offerings?

La liberté de l’expression dont jouit la presse libanaise est une bonne chose pour la démocratie. Par contre, selon une phrase prononcée par un ancien Premier ministre, il y a au Liban trop de liberté et pas assez de démocratie. Quoiqu’il en soit, le Liban reste parmi les pays les plus ouverts de la région, en atteste la richesse de la presse écrite et audiovisuelle. Un autre trait significatif est la liberté de ton de plusieurs journalistes et acteurs médiatiques. Je pense particulièrement aux programmes humoristiques qui se moquent des politiques. Cette programmation unique dans son genre au niveau régional contribue relativement à la désacralisation de la classe politique. Enfin, la prolifération des sites Internet d’information confirme la volonté de l’émergence d’une laïcité laïcisée (selon les termes de l’historien Georges Corm) capable de faire entrer le pays dans la modernité.

10.) How will your research help to redefine the media landscape in Lebanon?

Mon travail de recherche est une tentative modeste pour sortir le pays de l’impasse. Un travail universitaire indépendant est nécessaire pour éliminer les stéréotypes communautaristes qui se développent dans le pays de cèdres. Le paysage médiatique libanais est directement lié à la question de l’identité nationale : faire évoluer les mentalités est un devoir de tout citoyen désirant la construction d’un état de droit digne de ce nom. Je ne promets pas de recettes miracles, mais le fait d’analyser objectivement l’histoire de mon pays et se remettre en question est un effort personnel qui contribue à l’édification d’une société démocratique. Reste à espérer qu’une majorité des libanais commence cet exercice pour sauver, avant qu’il soit trop tard, le pays de la désintégration.

mercredi 23 avril 2008

la communication politique ; enjeux et perspectives

- L’histoire de la communication politique
- La notion d’espace public et sa relation avec la communication politique
- Les acteurs de l'opinion publique
- Le fait politique : de l’information à la communication
- Les risques de la communication politique : le transfert de légitimité du politique au médiatique
- L’avenir de la communication politique
Le concept de communication politique
Une première conception réduisait la communication politique à la propagande ou à la communication électorale des partis politiques. Dans cette perspective, la communication politique se perçoit plus en termes de messages et d'attitudes que les politiques déploient en direction des citoyens.

Toutefois, avec le dépassement de la théorie de la « seringue hypodermique », le développement des moyens de communication de masse, de techniques de mesures de l'opinion, une plus grande part est accordée, non pas seulement aux messages délivrés, mais aussi et surtout à leur réception, en terme d'appropriation, d'indifférence ou de rejet. Dès lors, à côté de l'acteur politique, s'affirment de plus en plus, d'autres acteurs, comme les médias et le citoyen, à travers le concept d'opinion publique, mais aussi les spécialistes de disciplines diverses dont le rôle est, soit de mesurer l'opinion, à travers des sondages, soit d'orienter l'opinion publique dans un sens bien défini (spécialistes de la communication et du marketing politique).

Nous tenterons, sur la base d'une analyse sommaire du concept d'espace public auquel la communication politique est redevable, d'éléments d`explication des termes « communication » et « politique », de définir la communication politique.

La notion d’espace public et sa relation avec la communication politique

La notion d'espace public a été formalisée dans les années 60 par le philosophe allemand Jürgen Habermas (1978). L'espace public serait le cadre au sein duquel coexistent et interagissent les concepts d'Etat-social, de principe de publicité, d'opinion publique. Pour une explication détaillée de la communication politique, nous nous appuierons essentiellement sur les deux derniers, à savoir le principe de publicité et l'opinion publique.
a- Le principe de publicité
S'appuyant sur les travaux de Habermas, Alain Girod définit le principe de publicité comme le devoir qu'a l'état de rendre public, de faire connaître au public, ses actes, ses décisions, ses projets, ses délibérations, etc.…, soit directement, soit par l'intermédiaire de la presse, de façon à ce que les citoyens, dûment informés, puissent organiser un débat public dans lequel ils puissent faire publiquement usage de leur Raison.

En France, comme dans toute démocratie, le droit, pour les citoyens, d’accéder à l'information est une réalité. Elle est garantie par la Constitution. D'ailleurs, toutes les assemblées élues (Assemblée nationale, Conseil municipal, Conseil régional) garantissent le caractère public de la plupart de leurs séances.
b- L'opinion publique
La notion d'opinion publique est très complexe. Certains, comme Pierre Bourdieu considèrent qu'elle n'est qu'un « artefact » et qu'elle « n'existe pas ». D'autres, comme Habermas, pour l'avoir théorisée, ne sauraient la nier. Ce dernier, de l'opinion publique nous dit qu'elle revêt un sens différent selon qu'on la revendique en tant qu'instance critique face à la « publicité » imposée, corrélative de l'exercice du pouvoir politique et social.

Les acteurs de l'opinion publique
Les principales composantes de l'opinion publique sont : la société civile, comprenant les leaders d'opinion et les simples citoyens, les hommes politiques, les hommes des médias, les professionnels des sondages et les spécialistes en marketing et communication politique. Chacune de ces composantes a ses modes de pression, et d'expression.

a- Les hommes politiques
Les hommes politiques et leurs appareils structurés (les partis politiques) constituent l'une des composantes les plus importantes de l’opinion publique.
b- La société civile
La société civile regroupe l'ensemble des acteurs non engagés activement dans les logiques de conquête ou de conservation du pouvoir. Elle regroupe des organisations intervenant dans plusieurs domaines (développement, défense des droits de l'homme, défense des consommateurs), les citoyens apolitiques, les leaders d'opinion (dans les domaines associatifs, intellectuels, religieux etc.).
Les modes de communication de ces acteurs de la société civile sont divers et variés. Les organisations structurées (ONG, associations) développent une approche communicationnelle proche, en termes de supports de communication, de celle des partis politiques. En effet, elles utilisent les médias, les réunions, des campagnes d'information et de sensibilisation.
c- Les leaders d`opinion
Les leaders d’opinion sont constitués par les intellectuels, les responsables d'organisations associatives, les religieux etc.
d- Les médias
Les médias constituent un maillon stratégique dans le processus de constitution de l'opinion publique. Nous intéresserons ici principalement aux médias dits de « masse » avec une ouverture vers les Nouvelles Technologies de l'Information et de la Communication(NTIC).
e- Les citoyens
Les citoyens sont au centre du concept et des enjeux liés à l'opinion publique. Paradoxalement, ils sont ceux qui accèdent le moins aux moyens d'expression et d'influence dans le domaine de l'espace public. En dehors des élections, qui sont des modes d'expression indirecte, les citoyens s'exprimaient principalement dans l'espace public à travers divers mode de manifestation, de protestation ou de soutien liés, le plus souvent, à des événements qui touche directement leurs intérêts.
Mais avec les mutations démocratiques et médiatiques intervenues, de nouveaux canaux d'expression et de participation à l'espace public voient le jour.
Sur le plan médiatique, trois éléments nouveaux accroissent les possibilités d'expression des citoyens : le développement et la diversification des moyens d’information, l'aménagement, dans les médias existant, d'émissions, de programmes ou de rubriques réservés aux citoyens, et le développement des applications liées aux NTIC, notamment les sites d'information sur Internet.
Le fait politique : de l’information à la communication
Les deux mots : information et communication sont proches l’un de l’autre, pourtant du point de vue de l’analyse sociale, la différence entre les deux notions est importante. L’information se définit en elle-même, une certaine information est émise, transmise, reçue, mais nous hésitons à parler communication s’il n’y a que transmission, même aller et retour d’une information.
Cette définition cartésienne des deux conceptions cache le fait qu’il y a une certaine corrélation entre la communication et l’information. En effet, la communication n’existe pas sans une base minimale d’information, mais elle suppose une séparation de l’information et de son contexte. Au delà de ce premier constat, nous mettons un contenu plus fort dans l’idée de la communication. Celle-ci n’est pas possible s’il n’y a pas une compréhension mutuelle entre ceux qui échangent des informations et des interprétations.
Dans une économie et une information mondialisée, la première défense contre l’idéologie qui réduit la communication à l’information de masse est une réaction humaniste qui se nourrit de la reconnaissance des diversités des informations en créant une communication objective.
Les risques de la communication politique : le transfert de légitimité du politique au médiatique
En se méfiant de la communication dans sa forme publicitaire ou électorale, les hommes politiques n’ont fait que sacraliser l’image véhiculée par les médias. En se privant des moyens autonomes de communiquer, ils reconnaissent que la vraie campagne est ailleurs, c'est-à-dire dans les médias.
Jamais notre vie publique n’a été plus médiatique, jamais pourtant l’opinion n’a eu davantage le sentiment d’être si peu entendu. La société médiatique surinforme mais elle sous-communique. La communication nécessite d’établir une relation, de créer un échange.
La communication peut être collective pour une équipe municipale, un parti, un gouvernement. L’information, par sa personnalisation même, est un exercice souvent solitaire.
Plus rien d’autre ne compte que de s’inscrire dans l’ordre médiatique, dépositaire unique de l’existence publique. La communication rapproche l’émetteur des réalités puisqu’il faut bien prendre en compte l’autre, qu’il s’agisse d’une personne ou d’un groupe.
La crédibilité des partis censés concourir, dans notre démocratie, à l’expression du suffrage universel, s’effondre parce qu’ils renient cette fonction collective au bénéfice de parcours de plus en plus individuels, jalonnés de prestations médiatiques, généralement contradictoires les unes des autres.
La société toute entière semble entrée dans le poste de télévision pour caler son comportement sur les caractéristiques de l’image : instantané, émotionnelle, irrationnelle. Les pouvoirs nationaux se dévalorisent, et les formes d’appartenances traditionnelles s’effondrent.
Les journalistes ne font plus leurs métier d’informer, ils prennent en compte la stratégie des hommes politiques, qui choisissent le moment où ils parlent ou pas, avec ou contre qui, dans quel type d’émissions.
La politique ne resteras pas seule à l’écart du grand mouvement d’adaptation, de fluidité, de mobilité qui atteint l’économie, les marchés, la consommation, l’emploi. A ce titre, la communication quitte l’effet de mode pour devenir aujourd’hui un enjeu de société.

L’avenir de la communication politique
La communication politique met en scène un idéal politique explicite et assumé par les acteurs qui en sont porteurs dans l'exercice des médias et des processus de l'information et de l'échange avec les autres. Les formes et les stratégies de la communication politique visent toujours à faire partager à leurs destinataires les logiques institutionnelles de l'idéal politique dont elles se soutiennent.
La communication politique se situe par rapport à un horizon qui la rend intelligible et qui permet de comprendre les logiques auxquelles elle se réfère dans l'élaboration des discours et des images qu'elle diffuse dans l'espace public.
Structuré par notre inconscient, l'idéal politique est l'instance à laquelle nous nous référons pour comprendre et évaluer le fait politique, mais aussi pour formuler les projets politiques et les engagements auxquels nous adhérons dans nos pratiques sociales.

C'est par les formes et les pratiques de la communication que l'inconscient politique peut faire l'objet d'une connaissance et que, par conséquent, peuvent être pensées ses incidences sur la vie politique et institutionnelle. La communication politique, comme toutes les formes de communication et de représentation, donne une consistance symbolique effective, intelligible et transmissible, à l'idéal politique dont nous sommes porteurs, et qui oriente notre activité politique dans la société.

La communication politique joue, par rapport à l'idéal politique et à l'engagement, le rôle de la communication et du langage par rapport à notre inconscient singulier : elle le met en formes, et élabore les logiques par lesquelles nous pouvons nous l'approprier symboliquement et par lesquelles il est diffusé et transmis dans l'espace public.

lundi 21 avril 2008

Nicolas Sarkozy et l’Union pour la Méditerranée

Le président français, Nicolas Sarkozy, croit sincèrement à l’Union pour la Méditerranée et emploie toute son énergie pour la réalisation de ce projet. Quarante-trois chefs d’Etats et de gouvernements, représentant les pays candidats pour cette union, seront conviés à un sommet le 13 juillet 2008, et qui va probablement aboutir à une déclaration constituante de cette union. Pour donner une valeur symbolique à ce projet, il a été convenu de tenir cette conférence au Grand Palais, haut lieu de la capitale française construit en 1900, à l’occasion de l’exposition universelle.

Actuellement les préparatifs relatifs à ce projet sont pilotés, sous les regards attentifs du président de la République, dans le palais Marigny, par l’ambassadeur en charge du projet, Alain Leroy.

Qu’est-ce que l’Union pour la Méditerranée (UPM) ?
La Méditerranée se situe au cœur de la vision stratégique du nouvel exécutif français. Dans son discours de Tanger, le président français a même précisé que « la Méditerranée n’est pas le passé de l’Europe, mais son avenir ». En d’autres termes, il considère que la plupart des principaux problèmes européens ne peuvent être résolus que par une politique de concertation avec les pays du sud de la Méditerranée, ce qui l’a amené à effectuer des visites officielles à certains de ces pays.

La plupart des problèmes posés ont déjà été largement abordés : il s’agit du terrorisme, de l’immigration clandestine, des problématiques environnementales ainsi que des inégalités chroniques du PIB entre les deux rives. Plusieurs responsables politiques et chercheurs spécialistes de ces questions ont montré que la sécurité de l’Europe et son développement passe par une stabilisation politico-économique de ses voisins du Sud. Certains analystes, notamment ceux originaires des pays du Sud, ont reproché à l’Union européenne de délaisser sa frontière Sud en consacrant l’essentiel de son aide financière aux pays de l’ancien bloc de l’Est.

Au moment du lancement de l’idée, l’UPM a été critiquée par la chancelière allemande Angela Merkel, qui voyait dans le projet une politique de coopération renforcée excluant, de facto, les pays de l’union n’ayant pas de lien direct avec les états du sud de la Méditerranée. Ce différend franco-allemand a été résolu en intégrant dans le projet, la totalité des pays de l’Union européenne. L’UPM serait formée ainsi de quarante-trois pays dont la Jordanie et la Mauritanie, deux Etats non-riverains de la Méditerranée. La méfiance de la Turquie à l’égard de ce projet, considéré comme une barrière à son entrée dans l’Union européenne, a été relativement affaiblie. Elle a été associée à plusieurs grands projets économiques souhaités par le président français, Nicolas Sarkozy.

Les échecs de Barcelone

Le processus de Barcelone a été lancé en 1995 avec un objectif précis : utiliser l’aide publique européenne dans la résolution des conflits de la région du Proche-Orient et du Maghreb et mettre en place les bases d’une solution à l’épineuse question de l’immigration clandestine.
Loin d’atteindre ses objectifs, le processus de Barcelone n’a pas produit des effets significatifs. Certains milieux osés ont même qualifié le processus de tentative d’intégration maladroite. Quoi qu’il en soit, les raisons de cet échec sont à chercher dans la nature ambitieuse du projet et à cause de l’instabilité géopolitique de la région. L’échec de la conférence de Madrid en 1991, le blocage du traité d’Oslo en 1993, l’assassinat du Premier ministre israélien Yitzhak Rabin en 1995, la relance de l’Intifada en 2000, les événements tragiques du 11-Septembre 2001 et la guerre d’Irak en 2003 sont autant de facteurs de crises qui ont mis en échec un processus censé éradiquer ou, du moins, affaiblir les tensions politiques régionales.

Pour compléter ce schéma, il faut ajouter l’incapacité du Maroc et de l’Algérie à s’entendre sur la question du Sahara occidental, ainsi que la perception de l’opinion publique des pays de la rive Sud qui a vu dans le processus de Barcelone un énième outil de puissance de l’Union européenne, qui regroupe les anciens colonisateurs.

UPM : un renversement des objectifs
L’approche du président français s’avère réaliste ; il s’agit de renverser les objectifs de Barcelone. En d’autres termes, la stratégie française consiste à développer de grands projets économiques à forte valeur ajoutée, qui pourrait, à long terme, aboutir à une stabilisation politique.
La dépollution de la Méditerranée à l’horizon de 2020 figure en première place de la liste des programmes économiques étudiés qui contient aussi la construction d’une autoroute reliant Alexandrie à Tanger, accueillie très favorablement par l’Egypte. Par ailleurs, le gouvernement français est particulièrement attaché à la création d’un espace commun scientifique et universitaire. Enfin, la création d’une banque méditerranéenne et d’une agence de développement des petites et moyennes entreprises serait la matrice de cette nouvelle approche de coopération
Contrairement au processus de Barcelone, l’UPM devrait associer non seulement les gouvernements des pays riverains, mais aussi le secteur privé et les acteurs de la société civile. Selon l’éditorialiste britannique Patrick Seals, de multiples sources de financements sont à l’étude : les concepteurs du projet veulent associer les monarchies du Golfe, parallèlement à une participation des entreprises et des fonds communautaires européens.
Cette nouvelle coopération Euromed-Pays du Golfe donne au projet une finalité géopolitique : les concepteurs du projet, fidèle à l’héritage gaulliste de la politique étrangère française, espère à travers le développement économique, affaiblir les tensions politiques et jouer un rôle prépondérant dans la résolution des conflits du Proche-Orient. Cette approche stratégique est confirmée par les propos d’Alain Leroy, ambassadeur français en charge du dossier, dans le quotidien londonien panarabe, Al-Hayat : « les objectifs de l’UPM sont politiques, mais les motivations sont économiques. On ne peut pas attendre la résolution des conflits pour lancer des projets économiques, par contre, on peut espérer que la dynamique économique provoque une stabilité politique »
Le président français souhaite faire de l’Union pour la Méditerranée une des importantes réalisations de son quinquennat. La présidence française de l’Union européenne devrait nous montrer si la volonté politique pouvait transformer ce projet ambitieux en une réalité qui fera oublier les échecs du processus de Barcelone.

samedi 15 mars 2008

Sortir la presse libanaise de l'archaisme communautariste

Comment le communautarisme de mise au Liban se répercute sur la presse ? Dans quelle mesure, les médias dépassent-ils leurs penchants communautaristes pour ancrer le pays dans la modernité ? Quels rôles jouent internet et les organes de presse panarabes pour sortir le Liban de l'archaisme communautaire ? Voilà autant de questions auxquelles répond Jamil Abou Assi, blogueur libanais, doctorant et assistant de recherche stagiaire au bureau Moyen-Orient de Reporters Sans Frontières (RSF) dans un entretien exclusif, accordé à APN, où il porte un regard critique sur la scène médiatique de son pays. Il estime aussi que la presse communautariste pourrait bien prospérer dans le monde arabe faute d'un système politique adéquat dans la région.

APN : Vous estimez que le communautarisme de la société libanaise a un impact sur le paysage médiatique du pays.
Jamil Abou Assi : Les médias libanais sont, pour la plupart, financés par des partis politiques à l'exception du quotidien An Nahar. Assafir soutient le parti social nationaliste syrien (PSNS) même si ces éditorialistes feignent l'objectivité. Al-Akhbar, créé au lendemain de l'éclatement de la guerre de juillet 2006, reflète les vues du Hezbollah. Aucun media ne transcende ces communautés même si la plupart des organes de presse emploient des journalistes issus de ses diverses communautés et déploient tous des efforts dans ce sens. Les sunnites lisent Al Mustaqbal, les partisans de Michel Aoun lisent un site en ligne http://www.tayyar.org/, propriété du courant patriotique libre, le parti du Général Aoun. La chaîne NTV, d'obédience communiste, critique tout le monde et feint d'avoir un programme national mais reste clairement favorable à l'opposition libanaise. La ligne éditoriale est toujours dominée par les idées du courant ou du parti qui soutient le journal en question.Le fait que la chaîne de télévision nationale libanaise ne diffuse plus que des programmes des années 70 et 80, à la seule exception des bulletins d'informations, en dit long sur la prédominance des autres médias. La classe politique libanaise, constituée de partis ayant chacun leur organe de presse, refuse d'investir dans un projet national commun que pourrait être cette chaîne de télévision. Il est donc légitime de se demander s'il existe dans ce pays un réel projet national. Visiblement, la réponse est négative pour la classe politique.
APN : Quel rôle devrait jouer les médias dans ce contexte ?
JAA : Et c'est là que doivent néanmoins intervenir les médias dont le rôle est de véhiculer une culture nationale laïque puisque c'est la seule voie de sortie de la crise pour le pays or à ce jour, ils font tout le contraire.La solution serait de créer de nouveaux médias et à cet égard internet constitue une véritable aubaine. D'ailleurs, de plus en plus de sites contestent cet ordre médiatique au Liban. Je pense à Libnannews, yalibnan, iloubnan ou encore alalmana qui veulent sortir le pays du système communautaire archaïque pour l'ancrer dans la modernité.
APN : Le communautarisme que l'on observe dans le paysage médiatique libanais épargne-t-il les autres pays arabes ?
JAA : Ce phénomène se retrouve aussi en Irak où cohabitent des médias chiites, sunnites et kurdes. Dans les pays où coexistent plusieurs communautés religieuses ou confessionnelles, les médias communautaristes ont une bonne espérance de vie mais pas seulement. Avec la mondialisation et l'individualisation qu'elle renforce, où chacun réclame ses droits, il est probable que l'on assiste à une prolifération de médias communautaristes. Paradoxalement et parallèlement, sur le plan régional on assiste à l'émergence des médias panarabes qui, comme Al-Jazeera, ont intégré un personnel et des contenus reflétant les opinions des différentes communautés et nationalités. Ce modèle panarabe, malgré ses insuffisances, pourrait servir de base pour affaiblir graduellement le communautarisme, qui malheureusement prospère dans une région qui n'arrive pas à créer son propre système de régulation politique.
Jamil Abou Assi est l'auteur du blog http://www.strategicwatch.blogspot.com%20/

lundi 10 mars 2008

Le Général De Gaulle et le Proche-Orient

Conférence de presse du président de la république le Général Charles De Gaulle, le 27 novembre 1967:
L’établissement, entre les deux guerres mondiales, car il faut remonter jusque là, l’établissement d’un foyer sioniste en Palestine et puis, après la deuxième guerre mondiale, l’établissement d’un Etat d’Israël, soulevaient, à l’époque, un certain nombre d’appréhensions. On pouvait se demander, en effet, et on se demandait même chez beaucoup de juifs, si l’implantation de cette communauté sur des terres qui avaient été acquises dans des conditions plus ou moins justifiables et au milieu des peuples arabes qui lui étaient foncièrement hostiles, n’allait pas entraîner d’incessants, d’interminables frictions et conflits. Certains même redoutaient que les juifs, jusqu’alors dispersés, qui étaient restés ce qu’il avaient été de tout temps, un peuple d’élite, sûr de lui-même et dominateur, n’en viennent, une fois qu’ils seraient rassemblés dans le site de leur ancienne grandeur, à changer en ambition ardente et conquérante les souhaits très émouvants qu’ils formaient depuis dix-neuf siècles : l’an prochain à Jérusalem.

Cependant, en dépit du flot tantôt montant tantôt descendant des malveillances qu’ils provoquaient, qu’ils suscitaient plus exactement, dans certains pays et à certaines époques, un capital considérable d’intérêt et même de sympathie s’était accumulé en leur faveur, surtout, il faut bien le dire, dans la chrétienté ; un capital qui était issu de l’immense souvenir du Testament, nourri par toutes les source d’une magnifique liturgie, entretenu par la commisération qu’inspirait leur antique malheur et que poétisait chez nous la légende du Juif errant, accru par les abominables persécutions qu’ils avaient subies pendant la deuxième guerre mondiale, et grossi depuis qu’ils avaient retrouvé une patrie, par leurs travaux constructifs et le courage de leurs soldats. C’est pourquoi, indépendamment des vastes concours en argent, en influence, en propagande, que les Israéliens recevaient des milieux juifs d’Amérique et d’Europe, beaucoup de pays, dont la France, voyaient avec satisfaction l’établissement de leur Etat sur le territoire que leur avaient reconnu les Puissances, tout en désirant qu’ils parviennent, en usant d’un peu de modestie, à trouver avec leurs voisins un modus vivendi pacifique.

Il faut dire que ces données psychologiques avaient quelque peu changé depuis 1956, à la faveur de l’expédition franco-britannique de Suez on avait vu apparaître en effet, un Etat d’Israël guerrier et résolu à s’agrandir. Ensuite, l’action qu’il menait pour doubler sa population par l’immigration de nouveaux éléments, donnait à penser que le territoire qu’il avait acquis ne lui suffirait pas longtemps et qu’il serait porté, pour l’agrandir, à saisir toute occasion qui se présenterait. C’est pourquoi, d’ailleurs, la Vème République s’était dégagée vis-à-vis d’Israël des liens spéciaux et très étroits que le régime précédent avait noués avec cet Etat, et s’était appliquée au contraire à favoriser la détente dans le Moyen-Orient. Bien sûr, nous conservions avec le gouvernement israélien des rapports cordiaux et, même, nous lui fournissions pour sa défense éventuelle, les armements qu’il demandait d’acheter. Mais, en même temps, nous lui prodiguions des avis de modération, notamment à propos des litiges qui concernaient les eaux du Jourdain ou bien des escarmouches qui opposaient périodiquement les forces des deux camps. Enfin, nous nous refusions à donner officiellement notre aval à son installation dans un quartier de Jérusalem dont il s’était emparé et nous maintenions notre ambassade à Tel-Aviv.

Une fois mis un terme à l’affaire algérienne, nous avions repris avec les peuples arabes d’Orient la même politique d’amitié, de coopération qui avaient été pendant des siècles celle de la France dans cette partie du monde et dont la raison et le sentiment font qu’elle doit être aujourd’hui une des bases fondamentales de notre politique extérieure. Bien entendu, nous ne laissions pas ignorer aux Arabes que, pour nous, l’Etat d’Israël était un fait accompli et que nous n’admettrions pas qu’il fût détruit. De sorte qu’on pouvait imaginer qu’un jour viendrait où notre pays pourrait aider directement à ce qu’une paix fût conclue et garantie en Orient, pourvu qu’aucun drame nouveau ne vînt la déchirer.

Hélas ! Le drame est venu. Il avait été préparé par une tension très grande et constante qui résultait du sort scandaleux des réfugiés en Jordanie, et aussi d’une menace de destruction prodiguée contre Israël. Le 22 mai, l’affaire d’Aqaba, fâcheusement créée par l’Egypte, allait offrir un prétexte à ceux qui rêvaient d’en découdre. Pour éviter les hostilités, la France avait, dès le 24 mai, proposé aux trois autres grandes puissances d’interdire, conjointement avec elle, à chacune des deux parties d’entamer le combat. Le 2 juin, le gouvernement français avait officiellement déclaré, qu’éventuellement, il donnerait tort à quiconque entamerait le premier l’action des armes, et c’est ce que j’avais moi-même, le 24 mai dernier, déclaré à Monsieur Eban, ministre des Affaires étrangères d’Israël, que je voyais à Paris. “Si Israël est attaqué”, lui dis-je alors en substance, “nous ne le laisserons pas détruire, mais si vous attaquez, nous condamnerons votre initiative. Certes, malgré l’infériorité numérique de votre population, étant donné que vous êtes beaucoup mieux organisés, beaucoup plus rassemblés, beaucoup mieux armés que les Arabes, je ne doute pas que le cas échéant, vous remporteriez des succès militaires, mais ensuite, vous vous trouveriez engagés sur le terrain et au point de vue international, dans des difficultés grandissantes, d’autant plus que la guerre en Orient ne peut pas manquer d’augmenter dans le monde une tension déplorable et d’avoir des conséquences très malencontreuses pour beaucoup de pays, si bien que ce serait à vous, devenus des conquérants, qu’on en imputerait peu à peu les inconvénients.”

On sait que la voix de la France n’a pas été entendue. Israël, ayant attaqué, s’est emparé, en six jours de combat, des objectifs qu’il voulait atteindre. Maintenant, il organise sur les territoires qu’il a pris l’occupation qui ne peut aller sans oppression, répression, expulsions, et il s’y manifeste contre lui une résistance, qu’à son tour il qualifie de terrorisme. Il est vrai que les deux belligérants observent, pour le moment, d’une manière plus ou moins précaire et irrégulière, le cessez-le-feu prescrit par les Nations unies, mais il est bien évident que le conflit n’est que suspendu et qu’il ne peut y avoir de solution sauf par la voie internationale.

Un règlement dans cette voie, à moins que les Nations unies ne déchirent elles-mêmes leur propre charte, doit avoir pour base l’évacuation des territoires qui ont été pris par la force, la fin de toute belligérance et la reconnaissance réciproque de chacun des Etats en cause par tous les autres. Après quoi, par des décisions des Nations unies, en présence et sous la garantie de leurs forces, il serait probablement possible d’arrêter le tracé précis des frontières, les conditions de la vie et de la sécurité des deux côtés, le sort des réfugiés et des minorités et les modalités de la libre navigation pour tous, notamment dans le golfe d’Aqaba et dans le canal de Suez. Suivant la France, dans cette hypothèse, Jérusalem devrait recevoir un statut international. Pour qu’un tel règlement puisse être mis en oeuvre, il faudrait qu’il y eût l’accord des grandes puissances (qui entraînerait ipso facto celui des Nations unies) et, si un tel accord voyait le jour, la France est d’avance disposée à prêter sur place son concours politique, économique et militaire, pour que cet accord soit effectivement appliqué.
Mais on ne voit pas comment un accord quelconque pourrait naître non point fictivement sur quelque formule creuse, mais effectivement pour une action commune, tant que l’une des plus grandes des quatre ne se sera pas dégagée de la guerre odieuse qu’elle mène ailleurs. Car tout se tient dans le monde d’aujourd’hui. Sans le drame du Vietnam, le conflit entre Israël et les Arabes ne serait pas devenu ce qu’il est et si, demain, l’Asie du Sud-Est voyait renaître la paix, le Moyen-Orient l’aurait bientôt recouvrée à la faveur de la détente générale qui suivrait un pareil événement.