mercredi 6 février 2008

Communautarisme et liberté de la presse : le cas libanais

Depuis l’assassinat de l’ancien Premier ministre Rafic Hariri, le Liban assiste à un phénomène qui a été auparavant limité et relativement contrôlé, il s’agit du communautarisme confessionnel.
Il y a un rapport étroit entre le communautarisme et l’état de la presse dans le pays. Il faut savoir que la notion d’un média national n’existe pas dans le pays et c’est le média communautaire. Depuis la formation du Liban, c’est la féodalité communautaire qui est le facteur déterminant dans la construction de l’Etat, et aucune communauté ou parti politique n’a cherché à construire une culture nationale.

Le paysage médiatique libanais est caractérisé par la mainmise des partis politiques sur les médias. En fait, la télévision et la radio de l’Etat, sous des prétextes économiques, ont été quasiment liquidés par les gouvernements successifs dont les membres disposent, selon leur appartenance politique, de leurs propres organes de presse. Ce monopole empêche l’émergence d’une société civile dans un pays de plus en plus communautarisé, et dont le repli sur soi a remplacé le vivre ensemble, à la base du consensus libanais.

Cette configuration complexe a le mérite d’empêcher toute tentative d’atteinte à la liberté d’expression, mais elle bloque toute tentative de construction d’une société démocratique. L’ancien Premier ministre, Salim Al-Hoss disait : « Au Liban, il y a trop de libertés et pas assez de démocratie ». Aucun parti politique ne pourrait attaquer un média, parce que celui-ci représente une communauté : dans une démocratie consensuelle et confessionnelle, ce genre d’attaque peut provoquer une crise grave qui peut dégénérer en guerre civile et, c’est pour cette raison, porter atteinte à la liberté de la presse au Liban est tout simplement interdit.

La prolifération des chaînes satellitaires arabes a touché le Liban, qui a d’ailleurs influencé une grande partie de ces médias. Le paysage audiovisuel libanais ainsi que la presse écrite correspond exactement à la structure politique. Certes depuis 2005, le pays est polarisé entre une coalition gouvernementale qui a montré sa fragilité et ses divergences et une opposition de plus en plus structurée autour d’une entente entre le Hezbollah chiite et le Courant patriotique libre du général chrétien Michel Aoun, mais on retrouve toujours les divergences politiques et communautaires qui ont survécu aux multiples changements qu’a connus le pays.

La coalition du 14 mars est principalement soutenue par le premier quotidien du pays, An-Nahar, le quotidien francophone L’Orient Le Jour ainsi que l’organe de presse du Courant du futur, le quotidien Al-Moustaqbal. De plus, cette coalition dispose de deux chaînes propriétaires de la famille Hariri, Future TV et la chaîne d’information Ekhbariat-Al-Moustaqbal qui a commencé à diffuser en 2007.

L’opposition dispose aussi d’un certain nombre de médias écrits comme les quotidiens Assafir et Al-Akhbar, qui a été créé au lendemain de l’éclatement de la guerre de juillet 2006 et qui est considéré proche du Hezbollah. Elle est aussi soutenue par plusieurs médias audiovisuels : on peut citer la chaîne Al-Manar, propriété du Hezbollah, la télévision NBN, qui appartient au président de l’Assemblée nationale et chef du mouvement chiite Amal, Nabih Berri, et la chaîne OTV, propriété de Michel Aoun dont il prétend qu’elle est une société anonyme appartenant à tous les Libanais selon leur degré de participation. Quant à la chaîne New TV, qui est de tendance communiste, elle prend parti clairement contre le gouvernement même s’il lui arrive parfois de critiquer timidement l’opposition.

Une seule chaîne fait semblant d’être indépendante, il s’agit de la chaîne LBC, qui appartenait au chef des Forces libanaises dans le passé et qui a été rachetée par Rotana (groupe saoudien propriété du prince Al-Walid), ce qui lui a permis de proclamer son indépendance malgré l’ambiguïté d’une telle formule pour un média libanais d’autant que la chaîne s’est montrée hostile à l’opposition.

De plus, les médias arabes, qui emploient beaucoup des Libanais de tendances politiques différentes, pourraient influencer l’état de la presse libanaise : par exemple les quotidiens londoniens panarabes Al-Hayat et Al-Sharq-Al-Awsat ainsi que la chaîne saoudienne Al-Arabiya soutiennent la coalition du 14 mars, tandis que le quotidien Al-Quds-Al-Arabi et la chaîne Al- Jazeera prennent parti pour l’opposition, notamment le Hezbollah.

Enfin, on observe une détérioration du discours médiatique entraîné par un discours politique marqué par des accusations de toutes sortes. Il n’est pas exagéré de dire que les médias libanais, qui prétendent être les leaders de la région en matière d’information, véhiculent un discours de haine de l’autre et de propagande qui pourrait entraîner le pays dans une crise dont certains milieux diplomatiques n’hésitent pas à la qualifier d’une guerre civile silencieuse.