dimanche 19 septembre 2010

Les druzes israéliens

A l'occasion de la tenue, en juillet 2010, du premier congrès de la diaspora druze au liban, j'ai participé, le 21 juillet 2010, à un débat sur France 24 sur les enjeux politiques de la présence d'une délégation des druzes israéliens.


mardi 10 novembre 2009

Les dessous de la formation d'un gouvernement au Liban

Depuis la fin des élections législatives libanaises en juin dernier, remportée numériquement par le mouvement du 14 mars, mais consacrant dans la réalité une représentation communautaire équitable à l'exception des partis chrétiens, les principales forces politiques du pays ont passé cinq mois de discussions, qui devront aboutir rapidement à la formation d'un gouvernement d'union nationale.

Cette heureuse issue serait due à un accord entre le Premier ministre désigné, Saad Hariri et le Courant Patriotique Libre de Michel Aoun. Ce dernier parait le grand gagnant de ce long bras de fer qui a opposé majorité et opposition : Malgré sa semi-défaite aux législatives de juin, il représente électoralement une majorité relative des chrétiens Libanais.

L'inexistence d'une majorité parlementaire

Les élections législatives libanaises, en dépit du caractère confessionnel de la représentation parlementaire, se sont tenues sur la base d'une confrontation entre majorité, incarnée par le mouvement du 14 mars qui regroupe principalement le Courant du Futur de Saad Hariri, le Parti Socialiste Progressiste de Walid Joumblattainsi que le groupe chrétien Kornet Chehwane (ensemble hétérogène chrétien regroupant en plus de quelques personnalités indépendantes, les Forces Libanaises de Samir Geagea et les Phalanges de Amine Gémayel) et l'opposition incarnée par le tandem chiite Hezbollah-Amal et le Courant Patriotique Libre du Général Michel Aoun. Le résultat des élections qui se sont tenues sur la base de la petite circonscription du canton a été soldé sur une légère avancée du mouvement du 14 Mars.

Cette victoire relative n'a pas permis pour autant à la majorité de former un gouvernement : le Liban, qui est considéré comme une démocratie confessionnelle, est géré par une politique de consensus. Aucune formation politique n'a pu imposer un système hégémonique au détriment des autres forces politiques.

Deux exemples contemporains illustrent cette spécificité : Le premier exemple concerne la stratégie des Forces Libanaises, qui ont essayé, dans les années 80, avec l'aide d'Israël, de créer un État protégé par une puissance régionale. Cette entreprise hégémonique a été l'une des causes de la perpétuation de la guerre civile libanaise.

L'autre exemple, plus récent et plus ambigu, concerne la gestion du pays par le mouvement du « 14 Mars » sans prendre en compte les aspirations et les craintes d'une partie de la population : il s'agit de la manière dont la majorité parlementaire a essayé, depuis 2005, avec le soutien des occidentaux, d'imposer l'application de larésolution 1559, notamment son volet concernant le désarmement du bras armé du Hezbollah.

Cette hégémonie relative, n'a pas seulement échoué : elle a provoqué des tensions communautaires qui ont culminé dans un conflit armé qui a failli provoquer une guerre intercommunautaire. La conséquence principale de la mini guerre civile de mai 2008, à laquelle les accords de Doha ont mis fin, a été une restructuration des forces politiques du pays avec une fragmentation de la majorité parlementaire, qui malgré sa victoire, a perdu son principal pilier druze, Walid Joumblatt, au lendemain des législatives de juin 2009.

En effet, le leader druze, connu pour sa stratégie de changement d'alliance en fonction de la situation géopolitique régionale et internationale, a quitté progressivement la majorité en adoptant un discours consensuel au niveau national et hostile à Israël.

D'un autre côté, malgré un échec relatif, le Courant Patriotique Libre reste la première force politique chrétienne, ce qui prive la majorité d'une base populaire intercommunautaire. Réduite à sa composante sunnite, la majorité parlementaire est en réalité une force communautaire, incapable, à elle seule, de faire fonctionner le système libanais

La nécessité d'un gouvernement d'union nationale

Avec dix-huit communautés confessionnelles, le Liban ne peut être géré que par un consensus entre les communautés qui le composent. Ce système de gouvernance, caractérisé par un clientélisme économique et une souveraineté limitée, a, depuis toujours, favorisé l'ingérence et l'influence des puissances régionales et internationales. Pour que la classe politique libanaise accepte l'idée d'un gouvernement d'union nationale, il a fallu une entente régionale et internationale entre les puissances dominantes qui règlent leurs litiges sur un hinterland, le Liban.

La rencontre entre le roi Abdallah d'Arabie Saoudite et le président syrien Bachar El Assad a permis un réchauffement des relations entre le Courant du Futur et le Hezbollah. De plus, le rapprochement entre la Turquie (alliée des États-Unis) et la Syrie a entrainé l'affaiblissement des tendances les plus hostiles à la participation du Hezbollah à un gouvernement d'union nationale.

Mais cette problématique géopolitique ne doit pas faire oublier les difficultés locales d'une entente commune sur un projet national. La classe politique, communautaire et néo-féodale, reproduit, depuis la création de l'entité libanaise, une confédération des communautés qui empêche la formation d'une société civile, seule capable d'édifier un État.

Le refus de reconnaître le poids grandissant du Courant Patriotique Libre réside dans l'incapacité des formations traditionnelles d'accepter un parti, qui a été construit par des dynamiques sociopolitiques contemporaines sans aucun prolongement historique avec l'ancienne bourgeoisie chrétienne.

En reconnaissant le poids politique et électoral du Général Aoun, par la conclusion d'un accord avec lui, le Premier ministre désigné a ouvert la voix à la formation d'un gouvernement d'union nationale.

Le gouvernement libanais : un conseil représentatif des communautés

Malgré la volonté des politiciens libanais de créer un gouvernement d'union nationale, le Futur nouveau né ressemble plus à un conseil intercommunautaire qu'à un gouvernement. En regardant l'organigramme prévisionnel du gouvernement, paru dans la presse libanaise, on s'aperçoit qu'il est formé par des personnalités politiques représentant des pouvoirs communautaires qui influencent largement le pouvoir exécutif sans pour autant l'intégrer. L'État, qui est censé avoir la légitimité de la violence, est prisonnier des chefs communautaires qui affaiblissent la notion de l'État et le réduit à la fonction de gestionnaire du consensus.

On ne sait pas encore quelles seraient la fonction et les réalisations de ce nouveau gouvernement, mais il sera confronté à des questions qui dépassent largement la gestion d'un pays et poserait la question du Liban en tant qu'État.

mercredi 9 septembre 2009

Les médias libanais : entre confessionnalisme et recherche de crédibilité

Médias communautaires et liberté de la presse: le communautarisme comme menace pour la liberté d’expression

La liberté d’expression dont jouit la presse libanaise est une bonne chose pour la démocratie. Par contre, comme l’a si bien dit l’ancien Premier Ministre, Selim El-Hoss : « Il y a au Liban trop de liberté et pas assez de démocratie ». Quoiqu’il en soit, le Liban compte toujours au rang des pays les plus ouverts de la région. En atteste notamment la richesse de sa presse écrite et son audiovisuel. Un autre trait significatif est la liberté de ton de plusieurs journalistes et acteurs médiatiques. Pensons particulièrement aux programmes humoristiques qui se moquent des politiques. Cette programmation, unique dans son genre au niveau régional, contribue, même si de façon relative, à la désacralisation de la classe politique.

Or, depuis l’assassinat de l’ancien Premier ministre Rafic Hariri, le Liban a assisté au développement d’un phénomène qui était auparavant limité et relativement contrôlé : le communautarisme confessionnel.

Il y a un rapport étroit entre le communautarisme et l’état de la presse dans le pays. Car la notion de média national n’existe en effet pas dans le pays. Depuis la formation du Liban, c’est la féodalité communautaire qui est le facteur déterminant dans la construction de l’État. Et aucune communauté ou parti politique n’a cherché à construire une culture nationale.

Le paysage médiatique libanais se caractérise ainsi par une mainmise des partis politiques sur les médias. La télévision et la radio de l’État, sous des prétextes économiques, ont été quasiment liquidées par des gouvernements successifs dont les membres disposent parfois, selon leur(s) appartenance(s) politique(s), de leurs organes de presse propres. Ce monopole empêche l’émergence d’une société civile dans un pays de plus en plus communautarisé, et dont le repli sur soi a remplacé le « vivre ensemble », pourtant à la base du consensus libanais.

En plus de bloquer toute tentative de construction civile et démocratique, le système médiatique communautaire est caractérisé par son extrême fragilité. Attaquer un média, c’est s’en prendre à un symbole communautaire, voir religieux. Dans la démocratie consensuelle et confessionnelle libanaise, ce genre d’attaque peut provoquer une crise grave qui peut dégénérer en guerre civile.

Le paysage médiatique libanais est le reflet de la structure politique du pays. Certes, depuis 2005, le Liban est polarisé entre une coalition gouvernementale qui a montré sa fragilité et ses divergences et une opposition de plus en plus structurée autour d’une entente entre le Hezbollah chiite et le Courant patriotique libre (CPL) du général chrétien Michel Aoun. Mais on retrouve toujours les divergences politiques et communautaires qui ont survécu aux multiples changements qu’a connus le pays.

Ainsi, la coalition du 14-Mars[1] est principalement soutenue par le premier quotidien du pays, An-Nahar, le quotidien francophone L’Orient Le Jour, ainsi évidemment que par l’organe de presse du Courant du futur, le quotidien Al-Moustaqbal. De plus, cette coalition dispose de deux chaînes qui sont la propriété de la famille Hariri : Future TV, et la chaîne d’information satellitaire internationale Ekhbariat-Al-Moustaqbal, qui a commencé à émettre en 2007.

L’opposition, quant à elle, dispose d’un certain nombre de titres de la presse écrite, comme les quotidiens Assafir et Al-Akhbar[2]. Elle bénéficie aussi du soutien de plusieurs médias audiovisuels : la chaîne Al-Manar, propriété du Hezbollah, et la chaîne NBN, qui appartient à Nabih Berri, président de l’Assemblée Nationale et chef du mouvement chiite Amal. Bien que son propriétaire, Michel Aoun, ait invité tous les citoyens libanais à souscrire à son capital, la chaîne OTV peut aussi être assimilée à une chaîne de l’opposition. Quant à la chaîne New TV, qui est de tendance communiste, elle prend clairement parti contre le gouvernement, même s’il lui arrive parfois de critiquer timidement l’opposition.

De plus, les médias arabes en général, qui emploient beaucoup de Libanais de tendances politiques différentes, pourraient influencer l’état de la presse libanaise. Ainsi, les quotidiens londoniens panarabes Al-Hayat et Al-Sharq-Al-Awsat et la chaîne saoudienne Al-Arabiya, soutiennent la coalition du 14-Mars. Tandis que le quotidien Al-Quds-Al-Arabi et la chaîne Al- Jazeera prennent plutôt parti pour les formations membres de l’opposition parlementaire, et notamment le Hezbollah.

Enfin, on observe une dérive du discours médiatique entraîné par un discours politique marqué par des accusations de toutes sortes. En l’absence d’une lecture objective de la situation politique libanaise, Il n’est ainsi pas exagéré d’affirmer que les médias libanais, qui prétendent être les leaders de la région en matière d’information, véhiculent parfois un discours de rejet de l’autre et de propagande qui a relativement contribué à l’installation d’un climat de méfiance entre les communautés.

Le paysage médiatique libanais depuis l’assassinat du Premier ministre Rafic Hariri

On a souvent dit de l’histoire du Liban qu’elle était l’histoire de ses communautés. Cette notion vaut aussi pour les médias libanais audiovisuels ou écrits. Car, après une courte période de stabilité chéhabiste[3] et la création d’une chaîne publique (Télé Liban), la guerre civile qui a éclaté en 1975 a marqué l’avènement des médias mis au service des milices. Dès la fin de la guerre, et dans un contexte de mondialisation économique, ceux-ci prendront d’ailleurs de l’ampleur, au point d’en arriver à se transformer en véritables groupes de télévision.

Après les accords de Taëf de 1989, qui étaient en partie le résultat d’un consensus américano-syrien[4], les médias libanais se sont développés grâce aux nouvelles technologies de l’information et de communication. Cette transformation technologique, dont l’exemple le plus marquant est celui de la télévision par satellite, n’a pas permis d’opérer un changement dans la ligne éditoriale des medias libanais, restés fidèle à leurs conceptions communautaires. Dans la période post-guerre civile, le visage médiatique du pays du Cèdre a été marqué par une autocensure, particulièrement visible dès lors qu’était abordée la question de la présence syrienne au Liban. Plusieurs atteintes à la liberté d’expression ont d’ailleurs été observées pendant cette période, dont la plus emblématique fut la fermeture définitive de la chaîne Murr TV[5] (MTV).

Mais la véritable rupture dans le paysage médiatique libanais se situe au lendemain de l’adoption, par le conseil de sécurité de l’ONU, de la résolution 1559[6]. Adoptée par une majorité des membres du Conseil de Sécurité de l’ONU, afin de forcer la Syrie à changer sa politique d’ingérence dans la politique libanaise, elle a eu un effet particulièrement important sur les médias du pays, qui se diviseront vite selon qu’’ils seront favorables ou opposés à cette résolution.

L’attentat suicide qui a coûté la vie à l’ancien Premier ministre libanais, Rafic Hariri, présenté par une partie des Libanais comme une conséquence de la crise politique engendrée par la résolution 1559, a aggravé la division des médias libanais, devenus de véritables organes de propagande des deux camps qui se sont constitués après le renouvellement, imposé par la Syrie, du mandat de l’ancien Président de la République Emile Lahoud. Cette crise politique, qui a duré plus de trois ans, a été marquée par un discours médiatique propagandiste tenu par les médias appartenant aux divers protagonistes libanais. Les chaînes appartenant à la famille Hariri, ne tenant pas compte du principe de la présomption d’innocence, n’ont pas hésité à accuser certaines formations de l’opposition de complicité dans les attentats qui ont secoué le pays. D’un autre côté, les médias de l’opposition ont également véhiculé un discours au moins tout aussi dangereux, accusant la coalition du 14-Mars d’être des agents à la solde des États-Unis et d’Israël.

Il convient de noter, par ailleurs, que le traitement partial de l’information par les chaînes libanaises a été un vecteur de développement du secteur audiovisuel. Les bailleurs de fonds libanais, leaders politiques qui cherchent traditionnellement à augmenter leur crédibilité auprès de leur opinion publique ont développé plusieurs initiatives en ce sens. Le courant patriotique libre du Général Michel Aoun a créé sa propre chaîne, Orange TV (OTV). D’autres projets, présentés comme des initiatives privées, ont vu le jour, mais ils ont pourtant été assimilés par leurs détracteurs à des supports partisans. Ce sera d’ailleurs le cas du quotidien Al-Akhbar, qui assume clairement sa ligne éditoriale proche de l’opposition, ainsi que du site Internet d’information Now Lebanon, qui soutient la coalition du 14-Mars.

Loin pourtant de faire émerger un quelconque embryon pour une société civile, cette diversité médiatique a plutôt aggravé le confessionnalisme, augmentant le doute sur la crédibilité des chaînes libanaises.

Information ou propagande : le jeu ambigu des chaînes libanaises

En théorie, un espace médiatique marqué par la diversité des opinions exprimées est un vecteur du développement de la démocratie, et un paradis de la liberté d’expression. Mais dans la démocratie confessionnelle et consensuelle libanaise, la réalité est plus complexe.

Deux catégories de médias coexistent au pays de Cèdre

Les médias loyalistes :

Depuis la constitution de la coalition du 14-Mars, en octobre 2004, un certain nombre de médias se sont ralliés à sa stratégie et à sa vision pour l’avenir du pays.

Parmi les médias dits de la majorité, on distingue ainsi :

- La LBC : c’est l’une des importantes chaînes privées du pays, par son poids financier et sa visibilité médiatique. Créée par les Phalanges libanaises[7], elle a servi pendant la guerre civile comme organe de presse des Forces Libanaises[8]. Au début des années 90, elle est devenue une société anonyme détenue par des hommes politiques et des hommes influents, avant de fusionner, en 2004, avec la société Rotana, propriété du prince saoudien Al-Walid. Depuis la crise politique de 2004, et malgré le professionnalisme de ses journalistes, la chaîne a largement soutenu la révolution du Cèdre, et reste à ce jour le relais médiatique des chrétiens de la majorité. Après les accords de Doha de 2008, elle a relativement équilibré ses propos à l’égard de l’opposition, mais reste très influencée par les idées de la coalition du 14-Mars.

- Future TV et Ekhbariat-Al-Moustaqbal : propriété de la famille Hariri, Future TV a été créée à la fin de la guerre civile. Elle a permis à son détenteur et ancien Premier ministre, feu Rafic Hariri, d’assoir une certaine hégémonie représentative sur la communauté sunnite du pays. Mais depuis l’assassinat de ce dernier, en février 2005, elle a largement fait part au relais d’un discours anti-syrien, et a développé le culte de la personne du défunt. Lors de la mini-guerre civile[9] de mai dernier, elle a d’ailleurs été attaquée et fermée par des miliciens de l’opposition, ce qui l’a rendue encore plus hostile à l’opposition, et particulièrement au Hezbollah.

Parallèlement aux chaînes du pôle de la majorité, et en raison de la relation spécifique qui lie la famille Hariri à la famille royale saoudienne, la coalition du 14-Mars bénéficie toujours d’un soutien médiatique non négligeable de la part de plusieurs medias panarabes. Dont, notamment, les chaînes Al-Arabiya et MBC, et le quotidien londonien panarabe Al-Hayat.

Les médias de l’opposition :

Quant à l’opposition, connue sous le nom du bloc du 8-Mars, elle détient aussi un certain nombre de médias, dont le poids économique et médiatique rivalisent avec celui des médias loyalistes.

En effet, comme dans le cas de a coalition du 14 mars, l’opposition est hétéroclite, mais ses composantes ont été réunies autour de leur opposition à la résolution 1559. Elle a été renforcée par l’entente entre le Hezbollah et le Courant Patriotique Libre qui a donné au mouvement chiite une assise chrétienne

Plusieurs médias appartiennent ou soutiennent ouvertement l’opposition. On distinguera ainsi :

- Al Manar : c’est l’organe médiatique officiel du Hezbollah, que les membres de ce parti appellent aussi « media de résistance ». Il a été créé au début des années 90 afin d’accompagner le parti dans son processus de libanisation. La ligne éditoriale de la chaîne se caractérise ainsi par un islamo-nationalisme et un anti-américanisme assumés. Depuis 2004, le discours de la chaîne a suivi celui du parti qui la finance en dénonçant de plus en plus les influences étrangères dans la politique intérieure libanaise, allant jusqu'à accuser les membres de la majorité de traitrise contre la nation. Mais on peut estimer que ce discours conservateur aura plutôt été bénéfique pour la chaîne, qui a pu au fil des années acquérir une certaine notoriété, qui ira au-delà de la seule base populaire composant le Hezbollah. Son audience importante chez les populations du Moyen-Orient et du Maghreb en est la preuve. Cela dit, malgré une ligne éditoriale axée sur les notions d’intégrité du Liban et de défense des intérêts des citoyens, Al-Manar demeure une chaîne confessionnelle avant tout, dont l’objectif est de défendre les intérêts du Hezbollah et de la communauté chiite. Comme la majorité des médias du pays, elle a participé d’une forme d’aggravation du communautarisme qui, selon plusieurs observateurs, est en train de diviser irrémédiablement la population libanaise.

- La NBN : propriété du président du Parlement libanais, Nabih Berri, Sa caractéristique principale est son soutien sans faille à l’opposition, ce qui est totalement légitime et logique pour un média appartenant exclusivement à un personnage politique qui a toujours été proche de la Syrie.

- OTV (Orange TV) : créée par le Courant Patriotique Libre (CPL) du Général Michel Aoun, cette chaîne est l’une des nouvelles-nées du paysage médiatique national. Il faut d’ailleurs noter que le Général Aoun affirme pour sa part qu’elle est financée par des actions achetées par des citoyens libanais, sans que cela puisse être précisément vérifié. Cela étant dit, tout comme le discours du Général, OTV a axé sa ligne éditoriale sur la lutte contre la corruption et l’aspiration à une évolution du système politique vers une troisième République laïque. Mais cette stratégie s’est avérée avoir le plus souvent valeur d’attaque en règle contre le Courant du Futur, et contre le Président du Conseil des ministres, Fouad Sanioura. Quant à la notion de laïcité, elle a vite été diluée dans des logiques de confrontation entre le Général et ses opposants chrétiens (notamment les Forces Libanaises), relatives entre autres à la question de la défense des intérêts des chrétiens du Liban et de l’Orient. A noter enfin que l’on observe sur cette chaîne, ainsi que dans les autres organes de presse du CPL, une propension à la critique virulente du chef du Parti Socialiste Progressiste, Walid Joumblatt, notamment sur sa stratégie politique jugée pro-occidentale ainsi que sur la gestion du dossier des déplacés de la guerre civile.

- New TV : c’est la seule chaîne privée libanaise qui n’a jamais appartenu à un leader politique. D’obédience communiste, elle a largement critiqué les choix libéraux de l’ancien Premier Ministre Rafic Hariri. Depuis la crise politique de 2004, elle a soutenu l’opposition tout en la critiquant parfois. Mais son idéologie communiste et panarabe la rend plus proche de l’opposition que de la majorité. Cette relative neutralité n’a néanmoins pas permis à la New TV de se démarquer des autres chaînes communautaires. Elle a contribué, par ses critiques virulentes, à la division médiatique qui aura une part de responsabilité dans le déclenchement des événements tragiques du 7 mai 2008.

La mini guerre civile du 7 mai : une guerre médiatique qui dérape

L’ambigüité des chaînes libanaises, qui mélangent, depuis 2004 notamment, l’information et la propagande, a transformé les médias libanais en véritables armes de guerre. La preuve la plus éclatante de leur responsabilité dans le déclenchement de la guerre fut d’ailleurs cet avertissement du Premier ministre du Qatar, cheikh Hamad Ben Jassem al-Thani, lancé à l’issue de la signature des accords de Doha, le 25 mai 2008, demandant aux médias libanais de "calmer les esprits plutôt que de susciter une escalade".

Depuis longtemps et particulièrement à partir de 7 mai 2008, les médias du pays ont construit, à travers journaux télévisés, débats politiques et programmes sociétaux, une image négative de « l’autre » libanais. Cette image stéréotypée et relativement imaginaire a eu un impact non négligeable sur l’évolution de la relation intercommunautaire. C’est dans ce contexte que les locaux de la chaîne Future TV, propriété de la famille Hariri, ont été attaqués, le 9 mai 2008, par des miliciens de l’opposition. Cet acte qui a suscité de vives critiques, même dans les médias de l’opposition comme Assafir et Al-Akhbar, a fait accroître les tensions entre les communautés notamment les sunnites et les chiites.

En effet, la population sunnite du pays a parlé d’une menace chiite sur la capitale. Plusieurs responsables sunnites ont même lancé des appels pour défendre leur cité. Dans le nord du pays, notamment à Tripoli, on a parlé d’un massacre contre des sympathisants de l’opposition, sans que l’on puisse vérifier l’exactitude de ces informations. Enfin, dans la montagne druze, la coexistence druzo-chiite a été menacée par de violents combats qui ont aggravé durablement la relation entre les deux communautés.

Les médias libanais ne sont certes pas responsables de la crise politique et encore moins du déclenchement des violences du 7 mai 2008. Par contre, leur traitement partial de l’information a peut être contribué à l’accroissement des tensions communautaires.

C’est d’ailleurs dans ce contexte que le quotidien d’opposition Al-Akhbar a annoncé, dans son édition du 29 janvier 2009, la réouverture de la chaîne Murr TV (MTV). Selon lui, celle-ci sera l’un des outils médiatiques de la majorité, et notamment des partis chrétiens hostiles au général Michel Aoun. Le quotidien expliquait d’ailleurs que, sur fond de conflit financier entre les Forces Libanaises et le Président du conseil d’administration de la chaîne LBC, Pierre al-Daher, les partis politiques chrétiens de la majorité essayaient de trouver une alternative à la LBC qui soit fonction d’une ligne éditoriale non partisane et ouverte.

Libérer l’espace médiatique de la tutelle confessionnelle

Malgré quinze ans de douloureuse guerre civile, les Libanais sont plus que jamais polarisés entre deux camps, qui représentent deux visions de la construction étatique : celle du camp du 14-Mars, prônant un Liban indépendant des problèmes régionaux en s’appuyant sur une aide internationale tout en restant dans un environnement arabe ; et celle du camp dit du 8-Mars, qui envisage un Liban intégré dans un système régional dont il ne peut se dissocier.

Libérés de la lourde tutelle syrienne, les Libanais seraient pourtant bien inspirés de se libérer de la tutelle libanaise, chape de plomb religieuse et politique qui pèse lourdement sur leur avenir et sur celui de la construction étatique. Une responsabilité qui incombe plus particulièrement à la jeunesse libanaise, qui serait probablement bien inspirée de réaliser que la religion, et encore plus, la démocratie consensuelle et confessionnelle, n’a pas apporté de réponses à leurs exigences de paix et d’épanouissement au sein d’une nation stable.

Mais, de même que la tutelle politique, une autre forme de tutelle, médiatique celle-là, pèse sur les Libanais. Et elle empêche la création d’un média à même de véhiculer des idées et des principes qui permettraient la constitution d’une société civile, et l’établissement d’un état de droit basé sur une « laïcité laïcisée », libérée de tout confessionnalisme.

La télévision publique libanaise, seul media censé véhiculer une culture nationale, a été démantelée par les gouvernements successifs. Il est totalement improbable d’envisager que des médias communautaires puisse faire émerger une conscience nationale. Or, l’identité nationale libanaise existe, du moins sociologiquement. Les acteurs du paysage médiatique, s’ils en ont la volonté, pourraient développer les ingrédients de cette identité collective. Avec le développement d’Internet, un grand espace a été récemment occupé par un journalisme dit citoyen, qui, de plus en plus, met en échec les médias traditionnels. Ce phénomène très visible en Occident, commence à se développer au Moyen-Orient et particulièrement au Liban. On peut espérer que cette nouvelle forme de journalisme modifie sérieusement à terme le caractère confessionnel du paysage médiatique libanais. De plus, la rupture qui s’opère entre les dirigeants et la population aura comme conséquence, à long terme, la création d’une société civile seule capable de moderniser l’état.

D’un autre côté, ressusciter une chaîne nationale est inévitable pour un pays dont les accords de Taëf, qui ont mis fin à quinze ans de guerre civile, stipulent clairement la nécessité d’engager des moyens pour affaiblir le confessionnalisme. Or, vingt ans plus tard, la classe politique se montre toujours incapable de prendre des initiatives dans ce sens.

Pourtant la solution à cette situation pourrait être simple, et prendre la forme d’une double initiative, intérieure et extérieure. Le nouveau président de la République pourrait ainsi proposer un impôt citoyen, sous forme d’une redevance télévisuelle, afin de financer la création d’un véritable service public de l’audiovisuel. Cette action pourrait d’ailleurs être complétée par un financement européen, dans le cadre de la politique de coopération entre le Liban et l’Union Européenne. Cette caution européenne serait en effet nécessaire pour donner un gage de crédibilité à un média public dont l’une des missions serait de véhiculer des idées qui, à long terme, libèrent les Libanais de leur tutelle communautaire.



[1] Alliance de 14-Mars : Actuellement majorité parlementaire à l’Assemblée Nationale, c’est un groupe hétéroclite formé par des forces politiques hostile à la Syrie. La coalition a œuvré pour l’application de la résolution 1559, en concentrant sa stratégie sur la fin de l’ingérence syrienne et le désarmement du Hezbollah. Le discours anti-syrien de ce groupe politique a largement influencé la ligne éditoriale des médias qui ont adopté sa cause.

[2] Al-Akhbar : Créé par l’ancien éditorialiste du quotidien Assafir, feu Joseph Samaha au lendemain du déclenchement de la guerre de juillet 2006 entre Israël et le Hezbollah, il est considéré comme un quotidien d’opposition, particulièrement proche du Hezbollah.

[3] Le chehabisme : c’est la période du mandat de l’ancien président Fouad Chéhab (1958-1964), qui a appliqué le concept de neutralité positive en matière de politique étrangère tout en introduisant des réformes politiques et sociales qui ont permis au pays de connaître, sous son mandat, une stabilité politique et une croissance économique.

[4] Consensus américano-syrien : Accord tacite entre une puissance régionale (la Syrie) et une autre internationale (les Etats-Unis) qui a permis à la Syrie, en contre partie de sa participation à la guerre du Golfe (1991) de garder une tutelle sur le pays de cèdre, notamment sur sa politique étrangère. Ce consensus qui a mis fin à la guerre civile libanaise, a été rompu par l’adoption de la résolution 1559 du conseil de sécurité de l’ONU.

[5] Murr TV(MTV) : Propriété de Gabriel El-Murr, frère et adversaire du député du Metn (région Mont Liban), candidat malheureux aux législatives partielles de 2002, sa victoire a été annulée et sa chaîne (MTV) a été fermée par une décision administrative. Six ans après, c’est un amendement parlementaire qui va permettre à la chaîne de réémettre à Partir de 31 mars 2009.

[6] Résolution 1559 : Adoptée le 2 septembre 2004 par le Conseil de sécurité de l’ONU, elle stipulait le retrait de toutes les troupes étrangères du pays, le désarmement de toutes les milices et l’organisation des élections présidentielles hors de toute ingérence étrangère.

[7] Les Phalanges libanaises : Créé en 1936 par Pierre Gemayel, le parti était jusqu’au début des années 70 le principal parti chrétien. Traditionnellement proche du pouvoir en place, il a été affaibli durant et après la guerre civile de 1975. Actuellement, il est membre de la coalition de 14-Mars et affiche clairement son hostilité à la Syrie.

[8] Les Forces Libanaises : Affaibli dans les années 90, il a émergé sur la scène chrétienne grâce à la libération de son chef Samir Gaagaa qui a intégré la coalition du 14-Mars et qui a fait du parti le principal opposant a son rival de toujours Michel Aoun.

[9] Mini-guerre civile libanaise : déclenché à la suite de la décision du Conseil des ministres libanais de licencier le chef de sécurité de l’aéroport de Beyrouth (proche du Hezbollah), elle a duré une quinzaine de jours durant lesquels des heurts ont été éclatés entre sunnites et chiites et chiites et druzes dans plusieurs régions du pays, elle a été arrêtée grâce à la signature , le 25 mai 2008, des accords de Doha, qui ont permis l’élection d’un nouveau Président de la République.

vendredi 15 mai 2009

Les druzes, une minorité électoralement visible

« Suivez la nation la plus forte, mais gardez moi dans votre cœur », disait Al-Hakim Bi Amr’llah, sixième calife fatimide, fondateur de la religion druze (1). Cette phrase, vieille d’environ huit siècles, résume à elle seule la stratégie sociale, politique et religieuse des druzes libanais. Depuis leur arrivée dans la montagne libanaise, à une époque où ils fuyaient la répression des musulmans sunnites qui les considéraient comme des hérétiques, ils ont adopté le principe de dissimulation (la « Taqiyya » (2)), qui leur a permis de vivre harmonieusement avec d’autres communautés.

Cette capacité à vivre avec des groupes sociaux qui ne partagent pas leurs convictions et leurs traditions leur a permis de se fondre dans leur environnement, au point d’y exercer leur empreinte. C’est le cas de la dynastie des Maans, qui a créé le premier pouvoir autonome dans la montagne libanaise. Par la suite, le système féodal libanais a permis l’émergence des grandes familles, qui sont toujours influentes. Actuellement, deux grandes familles règnent sur la destinée des druzes libanais : les « Arslan », et les « Joumblatt ». La famille Joumblatt, à travers son chef Walid, s’est imposée comme la représentante politique et sociale de la communauté, en échappant aux tentatives d’affaiblissement exercées à son encontre par une gestion habile du jeu politique communautaire.

En effet, ni la guerre civile de 1975, ni la mini-guerre civile de mai 2008 (3) qui accouchera des accords de Doha, n’ont affecté le poids électoral et politique du leader druze Walid Joumblatt. Fidèle à sa stratégie de changement d’alliance, il a toujours pu assurer à sa communauté et à sa formation politique (le Parti Socialiste Progressiste) une influence largement supérieure à leur poids démographique. Le rapprochement de Joumblatt avec les chrétiens hostiles à la Syrie en 2001, puis son inscription en 2004 dans les rangs de la future coalition du 14-mars, s’inscrivent dans cette démarche. Puis, après la mini-guerre civile de mai 2008, il a été le premier responsable de la majorité à tirer les leçons de l’influence grandissante du Hezbollah et de l’échec de la politique d’isolement de la Syrie.

Cette stratégie est avant tout de nature sociale et électorale. Tout d’abord, le leader druze reste attaché à l’intégrité territoriale du pays du Cèdre, et ce malgré son hostilité affichée à l’égard du Hezbollah. Il s’est ainsi fixé une ligne rouge à ne pas dépasser : celle du risque de la fragmentation du pays. La présence d’une population chiite à proximité des villages druzes dans la localité d’Aley l’a amené à entamer des discussions avec le parti de Dieu pour consolider une paix sociale qui avait été menacée par les événements de mai 2008.

La deuxième raison de ce rapprochement avec l’opposition, qui s’est faite par l’intermédiaire de Nabih Berry (4), est électorale. Walid Joumblatt veut à tout prix conserver son poids électoral lors des élections législatives du 7 juin 2009, et les tractations qui ont déjà commencé avec l’opposition ont pour objectif de maintenir l’importance politique de son groupe parlementaire, « la Rencontre Démocratique ».

La nouvelle Loi électorale, votée à la suite des accords de Doha, divise en effet le pays en petites circonscriptions, favorisant ainsi le rôle des minorités. La communauté druze, qui représente moins de 7% de la population libanaise, est très fortement soudée derrière W. Joumblatt dans la circonscription du Chouf. Elle offre donc au leader du Parti Socialiste Progressiste une victoire potentielle sans appel à cet échelon.

La grande inconnue sera donc le résultat de la circonscription d’Aley, dans laquelle s’est présenté son principal rival, Talal Arslan. Ce dernier s’est rallié à l’opposition sans toutefois entamer une division de sa communauté. Affaibli en 2005 en raison de l’accord strictement électoral conclu entre Joumblatt et le Hezbollah, il s’est retrouvé dans le Liban post-Hariri face à une troisième voie druze : le courant al-Tawhid. Dirigé par l’ancien ministre Wiam Wahhab (5), ce courant affiche clairement son soutien à la Syrie, et surtout son hostilité à l’encontre de Walid Joumblatt.

Lors de la mini-guerre civile de mai 2008, afin d’empêcher une nouvelle guerre de la montagne entre chiites et druzes, Arslan avait choisi d’appliquer une vieille stratégie sociale druze, « la protection des frères (6) », ce qui a paradoxalement renforcé la situation de son rival Joumblatt. Mais une autre grille d’analyse pourrait aussi être évoquée : les deux familles traditionnelles se sont peut-être senties menacées par le nouveau courant druze, qui reste pourtant minoritaire.

Les élections législatives du 7 juin 2009, présentées comme une manifestation de la démocratie consensuelle libanaise et comme un moment décisif pour le pays du Cèdre, sont en train de théoriser et de constitutionnaliser le consensus comme mode de gouvernement. C’est le cas de la communauté druze qui reste soudée derrière des chefs traditionnels. Ceux-ci apportent certes de la stabilité. Mais ils empêchent aussi l’édification d’un Etat de droit digne de ce nom.


(1) Antoine Isaac De Sacy, Exposé de la religion des druzes, Imprimerie Royale, Paris, 1837.
(2) Taqiyya : principe de dissimulation des croyances et des pratiques religieuses. Il a permis aux chiites et aux sectes musulmanes de cacher leurs croyances pour pouvoir vivre dans un environnement hostile.
(3) Mini-guerre civile libanaise : déclenchée à la suite de la décision du Conseil des ministres libanais de licencier le chef de sécurité de l’aéroport de Beyrouth (proche du Hezbollah), elle a duré une quinzaine de jours durant lesquels des heurts ont éclaté entre sunnites et chiites, ainsi qu’entre chiites et druzes, dans plusieurs régions du pays. Elle a cessé grâce à la signature, le 25 mai 2008, des accords de Doha, qui ont permis l’élection d’un nouveau Président de la République.
(4) Nabih Berry : Président de l’Assemblée nationale libanaise, et chef du mouvement Amal (parti chiite « laïc »), il est à la fois proche du Hezbollah et de Walid Joumblatt, et demeure le médiateur entre Joumblatt et l’opposition. Il est aussi le principal interlocuteur des diplomates étrangers qui veulent adresser des messages au Hezbollah.
(5) Wiam Wahhab : ancien Ministre du gouvernement d’Omar Karamé, il a créé le 26 mai 2006 le courant Al-Tawhid (terme relatif à l’unité dans la religion druze). Hostile à Joumblatt et fervent défenseur de la Syrie, son poids au sein de la communauté druze est minoritaire et sa démarche très contestée.
(6) La protection des Frères est une expression qui invite à s’unir contre un ennemi. Elle est inscrite dans sa transcription arabe « hafz al ekhwan » dans le livre de la sagesse, écrit sacré des druzes. Elle stipule l’unité sacrée des druzes, qui est la condition de la perpétuation de l’existence de leur secte.

mercredi 11 juin 2008

Le processus décisionnel de la politique nucléaire iranienne

Qui détient le pouvoir décisionnel du dossier nucléaire dans l’exécutif iranien ? Pour répondre à cette question, il faut analyser les capacités de négociation des responsables iraniens et étudier le fonctionnement du conseil de sécurité nationale, qui est depuis 2003, le principal interlocuteur de la communauté internationale sur l’épineux dossier du nucléaire.

Quoiqu’il en soit, le dossier nucléaire montre l’ambition de la république islamique à jouer un rôle considérable sur la scène régionale. Il résume à lui seul, les principales occupations de la communauté internationale vis-à-vis de l’Iran.

La stratégie adoptée par le tandem Ahmadinejad-Larijani, et depuis la démission de Larijani, par son successeur Saïd Jalili ne présente pas un changement avec celle de leurs prédécesseurs Khatami-Rohani, ni même une rupture liée à des aspects idéologiques, mais plutôt une continuité dont les modifications ont été dictées par la nouvelle donne stratégique dont a bénéficié la république islamique avec l’élimination de ses deux principaux ennemis : Saddam Hussein et les Talibans.

L’environnement stratégique de l’Iran a été le théâtre de changements politiques majeurs : Cinq états ont été créés à la frontière nord du pays avec la disparition de l’Union Soviétique au début des années 90. De plus, la guerre contre les Talibans déclenchée au lendemain du 11 septembre, suivi de la guerre d’Irak ont changé radicalement le dessein stratégique de l’environnement de la république islamique.

Malgré cette nouvelle donne, et la capacité de la diplomatie iranienne de profiter des contradictions géopolitiques, l’expérience de négociation du pouvoir en place reste limitée. En effet, l’histoire de la toute jeune république islamique dans les négociations internationales se limite à deux cas : les négociations indirectes avec Washington suite à la prise d’otage à l’ambassade américaine à Téhéran en 1980, et les pourparlers avec l’ancien régime irakien en 1988 après la fin de la guerre irano-irakienne.

Pour cela, les négociations entre l’Iran et l’UE3 (Royaume-Uni, Allemagne et France) peuvent être considérées comme l’expérience de négociation la plus importante de l’histoire de l’Iran révolutionnaire. Elles contraignent les dirigeants iraniens d’entamer une procédure de négociation plutôt complexe. C’est cette procédure qui intègre des aspects techniques, sécuritaires, politiques et stratégiques qui a provoqué des divergences entre le ministère des affaires étrangères et l’agence iranienne de l’énergie atomique. Trois aspects résument les divergences entre les deux institutions : l’autorité compétente de pilotage des négociations, la politique appliquée ainsi que les priorités de la politique nucléaire.

L’ancien négociateur en chef du dossier nucléaire, Hassan Rohani, a révélé que les divergences au sein de l’exécutif iranien se sont accrues au milieu de l’année 2003, après la demande de l’agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) d’inspecter les installations nucléaires. Alors que cette demande a été jugée par le ministère des affaires étrangères iranien comme une pression sur l’Iran de la part de la communauté internationale, l’agence iranienne de l’énergie atomique a minimisé l’impact de cette demande sur le programme nucléaire iranien. Cette différence d’interprétation a conduit à une restructuration de la procédure de négociation qui est devenue du ressort du conseil de sécurité nationale reléguant le ministère des affaires étrangères et l’agence internationale de l’énergie atomique au statut de simples acteurs.

Le conseil de sécurité national (CSN)

Le conseil de sécurité national est l’héritier du conseil suprême de la défense nationale, créé en 1979, en vertu de l’article 110 de la constitution de la république islamique. A l’époque, sept personnalités siégeaient dans cette institution :

Le président de la république
Le premier ministre
Le ministre de la défense
Le chef d’état major de l’armée
Le commandant des gardiens de la révolution
Deux conseillers du guide de la révolution

Après la mort de Khomeiny en 1989, non seulement le nom du conseil a été modifié, mais son pouvoir a été accru en intégrant douze autres personnalités. Actuellement, le CSN est constitué de dix-huit personnalités :

Le Président de la République Mahmoud Ahmadinejad
Le Président du Parlement Ali Larijani
Le Président de l’autorité judiciaire Mahmoud Hachemi Shahroudi
Le chef d’état major Atallah Salhi
Le Vice-président de la république et président de la commission du budget Farhad Rahber
Le Vice-président de la République Broïz Daoudi
Le Secrétaire Général Saïd Jalili
Le ministre des Affaires étrangères Manouchehr Mottaki
Le ministre de l’Intérieur Moustapha Bour Mohammadi
Le ministre des Renseignements Gholam Hussein Mohsenni Ijeii
Le Commandant de l’armée Mohammad Hussein Dardess
Le chef des gardiens de la révolution Mohammad Ali Jaafari
Le Président de l’assemblée des experts Hachemi Rafsanjani
Le ministre de la Défense Moustapha Mohammad Najjar
Le directeur de l’agence iranienne de l’énergie atomique Gholam Rida Agha Zadeh
Le ministre des Sciences et des Technologies Mohammad Mahdi Zahedi
Le ministre de l’Energie Broïz Fattah
Le représentant permanent de l’Iran auprès de l’ONU Jawad Zarif

Le guide de la révolution bénéficie d’un pouvoir absolu lui permettant de nommer le Secrétaire Général du conseil de sécurité national et de contrôler la désignation de la totalité des membres de ce conseil. De plus, la constitution iranienne impose l’accord du guide dans l’exécution des décisions émise par cette institution, responsable des décisions stratégiques du pays, dont le pouvoir dépasse de loin celui du parlement.

C’est ce groupe de personnalités qui gère d’une manière exclusive le dossier nucléaire en concertation avec le guide. En d’autres termes, le bureau du guide s’occupe de la planification stratégique qui sera appliquée par le conseil de sécurité nationale. Ce principe est resté le même durant les mandats de Khatami et d’Ahmadinejad, mais c’est le processus décisionnel qui a été modifié en fonction des changements de l’environnement régional du pays.

La politique nucléaire pendant le mandat Khatami :

L’analyse de cette période se base sur les déclarations de l’ancien Président Khatami et de son négociateur en chef, Hassan Rohani, ainsi que sur deux articles écrits par ce dernier sur cette question : le premier article a été publié en septembre 2005 dans le périodique iranien Rahbard , sous le titre « les défis de l’Iran et de la communauté internationale dans le dossier nucléaire », et le deuxième a été publié en hiver 2005 dans la revue américaine National Interest intitulé « nos activités nucléaires et notre relation constructive avec la communauté internationale ».

D’après les écrits et les déclarations du négociateur en chef iranien, le conseil de sécurité nationale a établit une procédure décisionnelle de quatre niveaux :

Niveau 1 : comité des affaires techniques et de négociations
Niveau 2 : comité des affaires sécuritaires et politiques
Niveau 3 : commission ministérielle chargée de la concertation avec le conseil
Niveau 4 : comité chargé de la validation de la politique nucléaire, dépendant directement du bureau du guide

Le conseil de sécurité national a chargé Hassan Rohani, homme de confiance du guide, de la concertation entre les quatre niveaux. Cette structure, qui a été créée pour répondre à la complexité des négociations avec les européens, montre bien l’affaiblissement du rôle du ministère iranien des affaires étrangères et de l’agence iranienne de l’énergie atomique dans la conduite de la politique nucléaire.

Selon Rohani, l’objectif principal de la politique nucléaire iranienne était de retarder le transfert du dossier nucléaire au conseil de sécurité de l’ONU. Cet objectif montre bien que l’Iran connaissait depuis longtemps que le dossier sera tôt ou tard repris par le conseil de sécurité de l’ONU et a articulé sa stratégie en jouant sur les contradictions entre les puissances protagonistes pour gagner du temps et obtenir des avancés sur le terrain technique.

En effet, les responsables iraniens connaissaient parfaitement les divergences d’intérêt entre les quatre acteurs majeurs du dossier nucléaire : les Etats-Unis, qui, à travers la demande du transfert de la question du nucléaire iranien, visait à affaiblir le régime iranien, se démarquait radicalement des européens qui souhaitaient bénéficier du marché iranien et des ressources pétrolières du pays. L’une des offres européennes consistait à l’arrêt de l’enrichissement de l’uranium en contre partie de l’intégration rapide de l’Iran à l’OMC (organisation mondiale du commerce). Cette offre a été jugée insuffisante principalement pour deux raisons : l’Iran considérait que, compte tenu des longues négociations du processus d’entrée à l’OMC, elle ne peut pas tirer des avantages en acceptant cette offre. De plus, l’Iran avait la volonté de continuer le processus d’enrichissement de l’uranium pour améliorer ses positions dans les négociations. Quant à la Russie, malgré son soutien relatif à l’Iran, elle a essayé de partager le marché iranien avec les européens en proposant de fournir l’uranium enrichi à la république islamique.

Parallèlement, pour essayer de semer la division au sein du conseil de sécurité de l’ONU, la république islamique a conclu des accords économiques et politiques avec la Chine dans la perspective de convaincre Pékin d’utiliser son droit de véto contre toute résolution contraignante à l’égard de l’Iran. De plus, le négociateur iranien a proposé aux européens d’associer aux négociations l’Afrique du sud et le Brésil pour affaiblir la pression diplomatique contre la république islamique. En effet, les deux pays ont toujours été intéressés par le développement d’une énergie nucléaire sur leur territoire et auront probablement intérêt de ne pas sanctionner l’Iran d’autant que la république islamique ne présente aucune menace stratégique à leur encontre.

Quoiqu’il en soit, L’Iran a accepté, à l’époque, de geler « temporairement » ses activités d’enrichissement en contre partie d’une promesse européenne de continuer les négociations jusqu'à trouver un accord permettant de satisfaire les intérêts économiques et technologiques de la république islamique. L’Iran a certes arrêté ses activités, mais seulement dans les domaines où elle a réalisé des progrès techniques. Par contre, elle a refusé d’arrêter ses activités dans les secteurs où elle a prouvé des faiblesses technologiques. Au début des négociations, l’Iran possédait 164 centrifugeuses. Ce chiffre n’a cessé de progresser avec le temps, il est passé à 500 en 2004 et à 1000 à la fin du mandat Khatami en 2005. En décembre 2007, 3000 centrifugeuses fonctionnaient à plein régime dans la république islamique.

Une seule phrase, prononcée par Rohani résume l’ambigüité de la communication du régime iranien sur le dossier nucléaire : « notre objectif était de donner une image globale de nos activités nucléaires pour empêcher le transfert du dossier au conseil de sécurité de l’ONU. Nous n’avons pas menti, mais on a communiqué tardivement nos informations ». Les tactiques iraniennes étaient bénéfiques pour le programme nucléaire. La république islamique a parfaitement évalué, pendant le mandat Khatami, la réaction de la communauté internationale sur cette question. L’Iran a lié sa relance de son activité d’enrichissement à l’échec des négociations avec les européens. L’objectif final de cette période, était d’atteindre un seuil d’enrichissement (3.5%) imposant un fait accompli : celui de la capacité du pays à maîtriser le cycle du combustible nucléaire.

La politique nucléaire pendant le mandat d’Ahmadinejad :

On peut estimer que les priorités iraniennes ont été modifiées au début du mandat du nouveau président en 2005, et cela grâce aux changements qui ont joué en faveur de la république islamique. Le sourire de Khatami et son dialogue des civilisations a été remplacé par les discours nationalistes d’Ahmadinejad.

L’exécutif iranien avait la certitude que le dossier nucléaire sera transmis devant le conseil de sécurité de l’ONU. Les responsables iraniens, convaincus du faible impact des sanctions internationales à leur encontre, ont choisi la confrontation en relançant l’activité de l’enrichissement. Un autre élément a motivé ce choix radical : posséder le cycle du combustible nucléaire est devenu une priorité stratégique pour la république islamique, qui, après les guerres d’Irak et d’Afghanistan suivies de sa relation tendue avec l’Arabie saoudite, s’est retrouvée encerclée par des puissances hostiles.

Le processus décisionnel de la politique nucléaire iranienne, qui est devenue le pivot de la politique étrangère du pays, a été modifié pour répondre aux nouvelles configurations stratégiques. Dans un article paru le 14 octobre 2007 dans le journal panarabe Al-Hayat, Moustapha Al-Labbad, chercheur égyptien spécialiste de l’Iran, a imaginé le schéma suivant pour décrire la nouvelle procédure de gestion du dossier nucléaire.

Six comités seraient en charge de la gestion de la question nucléaire iranienne :

Le comité des affaires techniques et de négociation : il comprend le ministre des affaires étrangères Manouchehr Mottaki, le coordinateur du conseil de sécurité national vice-ministre des affaires étrangères chargé des questions internationales Abbas Arakji, le président de l’agence iranienne de l’énergie atomique Ghoulam Rida Agha Zadeh, le représentant permanent de l’Iran aux nations unis Jawad Zarif, l’ambassadeur de l’Iran auprès de l’agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) Asghar Sultaniyeh, et le ministre de l’énergie Broïz Fattah.

Le comité des affaires sécuritaires et politiques : il comprend le secrétaire général du conseil de sécurité national Saïd Jalili, le chef d’état majeur de l’armée Atallah Salhi, le ministre de l’intérieur Moustapha Bour Mohammadi, le commandant de l’armée Mohammad Hussein Dadress, le ministre de la défense Moustapha Mohammad Najjar, et le responsable de sécurité du bureau du guide Asghar Hijazi.

Le comité de concertation et de suivi : présidé par le secrétaire général du conseil de sécurité nationale Saïd Jalili, il coordonne le travail des ministères concernés par le dossier nucléaire : le ministère des Renseignements, le ministère des Affaires étrangères et le ministère des Sciences et de Technologies.

Le comité présidentiel : il comprend le président de la république Mahmoud Ahmadinejad, le vice-président de la république Broïz Daoudi, le président de la commission du budget Farhad Rahber. Ce comité est strictement consultatif et son rôle se limite à des opérations de communication dont le but étant d’adresser des messages à la communauté internationale.

Le comité des affaires régionales : ce comité serait chargé d’étudier les évolutions régionales, notamment en Irak, Syrie, Liban et les Territoires palestiniens et analyser leur impact sur le dossier nucléaire iranien : Il comprend le chef des renseignements des gardiens de la révolution, le chef de la brigade Quds (les gardiens de la révolution), le vice-ministre des affaires étrangères en charge de l’Irak, les ambassadeurs de l’Iran dans les pays arabes ainsi qu’un ensemble de chercheurs spécialistes des questions de la région.

Le comité de validation du processus décisionnel : il comprend le guide de la révolution Ali Khamenei, le directeur du bureau du guide Mohammadi Gholbaikani, le responsable de sécurité du bureau du guide Asghar Hijazi, le chef des Gardiens de la Révolution Mohammad Ali Jaafari, le président du parlement Ali Larijani, le président de l’autorité judiciaire Mahmoud Hachemi Shahroudi, le secrétaire général du conseil de sécurité national Saïd Jalili, et le président de l’assemblée des experts Hachemi Rafsandjani.

La politique nucléaire iranienne s’avère cohérente par rapport aux objectifs fixés par le gouvernement de la république islamique, à savoir : maîtriser le cycle de combustion nucléaire. Les changements survenus entre les deux mandats de Khatami et d’Ahmadinejad dans le fonctionnement et la méthode, sont plus un ajustement lié au changement de l’environnement stratégique du pays qu’une rupture idéologique entre deux stratégies différentes. La seule différence réside dans l’imprécision des calculs de l’actuel gouvernement en comparaison avec les calculs exacts de son prédécesseur.

D’un autre côté, la nomination d’un nouveau secrétaire du conseil de sécurité national n’a pas eu d’impact sur la conduite des négociations entre l’Iran et les européens. Ce changement s’explique par une campagne présidentielle prématurée sur fonds de crise économique et de tensions entre Ali Larijani et le président Mahmoud Ahmadinejad. En effet, Ali Larijani, qui vient d’être élu à la tête du parlement iranien bénéficie, en plus de la confiance du guide Ali Khamenei, d’une assise électorale dans ville de Qom, et du soutien de son clergé qui a toujours beaucoup d’influence sur la conduite de la politique du pays. De plus, face à un Ahmadinejad affaibli par l’échec de sa politique économique, on assiste à l’émergence de Mohammad Qalibaf, le maire de Téhéran, un conservateur pragmatique qui pourrait s’allier à Larijani et briguer un mandat présidentiel lors des élections de 2009. Ce changement à la tête de l’exécutif iranien pourrait mettre les bases d’un compromis avec les européens sur la question du nucléaire.

vendredi 16 mai 2008

Le début de la fin de la classe politique libanaise

Le pays du Cèdre sombre depuis le 7 mai dans une guerre civile qui rappelle les moments les plus sombres de son histoire. Comme d’habitude, la classe politique libanaise est assez habile dans la qualification de ces actes: en atteste l’occultation du mot guerre dans les bouches des acteurs de ce conflit qui a coûté la vie à 80 libanais et blessé 250 autres.
Après une semaine de conflit, il est certes difficile de préciser les responsabilités, mais une analyse systémique de la crise permet de dessiner une perspective de la situation future de l’Etat libanais.
L'affontement politique actuel ne peut se résumer à duel entre pro et antisyriens
Il est impératif de détruire certaines idées reçues qui ont animé les analyses de la situation libanaise: les deux acteurs du conflit ont toujours été présentés dans les médias comme des partisans et des opposants à la Syrie.
C’est loin d’être une vérité absolue pour la simple raison que l’opposition (la coalition du 8 mars) réunit en son sein des partisans de la Syrie et un opposant traditionnel au régime syrien, le général Michel Aoun. D’un autre côté, la coalition au pouvoir qui se dit anti-syrienne a toujours été l’un des alliés de la Syrie avant 2004.
Il est plus judicieux de présenter les camps au Liban par rapport à leur divergence sur la résolution 1559 du Conseil de sécurité, qui a stipulé le retrait de toutes les forces étrangères du pays (comprendre la Syrie) et le désarmement des milices (les formations palestiniennes et le Hezbollah).
Une autre idée qui doit être revisitée est celle du concept de "majorité" libanaise: la coalition du 14 mars a pu obtenir une majorité lors des législatives 2005 grâce à son alliance avec le Hezbollah qui a opté pour une stratégie plutôt ambigüe: il a conclu un accord avec le leader druze Walid Joumblatt et les forces libanaises dans la circonscription de Baabda (au sud de Mont-Liban), et un autre accord avec Michel Aoun dans la circonscription du (au nord du Mont-Liban).
Par la suite, l’entente entre le Hezbollah et le Courant patriotique libre a fait basculer le Hezbollah dans l’opposition, ce qui met en cause le concept même de la majorité qui s’est retrouvée confrontée à une crise institutionnelle avec la démission des ministres chiites, provoquant la paralysie du gouvernement.
Les raisons libano-libanaises du blocage politique sont anciennes
La crise libanaise a certes des intersections régionales et internationales, mais cela ne doit pas occulter les raisons libano-libanaises de ce blocage. La classe politique dans son ensemble a toujours affaibli l’Etat, déjà depuis la création de l’entité libanaise par un émir druze au XVe siècle, l’histoire libanaise a été l’histoire des communautés libanaises, qui ont acquis chacune leurs droits civiques et politiques au fur et à mesure de leur évolution.
La communauté druze s’est imposée avec la politique de l’émir Fakhr Eddine II, qui a pu obtenir de l’empire ottoman l’autonomie du Mont-Liban. Les maronites, à travers le patriarche Al-Howayek ont obtenu, lors du traité de Versailles, la création du grand Liban, et les sunnites, à travers le pacte national ont obtenu le partage du pouvoir après l’indépendance.
Ce cheminement historique nous conduit à la communauté chiite, qui n’a cessé d’évoluer depuis 1991 sur l’échiquier politique libanais, en réclamant un partage du pouvoir qui correspond à la nouvelle donne stratégique, politique et démographique du pays.
La crise libanaise et sa perpétuation doit être lue dans l’incapacité des acteurs politiques à s’entendre, ou plutôt accepter cette nouvelle structuration qui nécessite, ni plus ni moins, une nouvelle constitution.
Cette crise interne a été amplifiée par l’instabilité de l’environnement régional libanais marqué par le conflit israélo-palestinien, la guerre d’Irak et la question du nucléaire iranien. La politique étrangère libanaise (si elle existe), s’est retrouvée confrontée à un ensemble de crises qui ont provoqué la scission entre la coalition de 14 mars et l’opposition sur la question des armes du Hezbollah.
Mais cette question qui a suscité tant de divisions n’est que la partie émergente d’un iceberg: la politique régionale post-guerre d’Irak 2003.
En effet, le Liban est le miroir de son environnement, et la crise libanaise n’est autre que la confrontation de deux projets régionaux, dont dépend le dessein stratégique de la zone.
Il s’agit de l’avenir de la relation entre les pays arabes et Israël et le sort des refugiés palestiniens: c’est cette question qui est au cœur des divergences régionales qui s’expriment dans un état tampon libanais. Lequel a aussi ses propres problèmes, comme sa politique étrangère et la question de son identité.
L’encerclement intérieur et extérieur du Hezbollah
Le Liban vivait depuis plusieurs mois une sorte de guerre civile silencieuse rythmée par des accusations de tout genre qui ont attisé la tension entre les communautés, et poussé la population à se réarmer massivement. Les scènes de combats de rue étaient prévisibles, mais c’est l’élément déclencheur qui était la principale inconnue.
En effet, le Hezbollah s’est retrouvé encerclé de l’intérieur et de l’extérieur. Et c’est pour cette raison qu’il a décidé de protéger son armement par la force: la focalisation de la majorité sur l’arsenal de Hezbollah a été sentie par le Parti de Dieu comme une violation de la déclaration du gouvernement qui a légitimé la résistance, ce qui a déclenché la crise qui a amené le Parti de Dieu a demandé, tantôt des législatives anticipées, tantôt un gouvernement d’union nationale avant l’élection d’un nouveau Président.
Au niveau international, plusieurs facteurs montrent l’affaiblissement et l’encerclement du Hezbollah: l’affaiblissement du gouvernement Olmert pourrait provoquer des élections anticipées qui pourraient bénéficier à Benjamin Netanyahou, qui pourrait lancer une offensive contre le Hezbollah et le Hamas.
D’un autre côté, les législatives iraniennes ont montré des fractures au sein des conservateurs, et l’apparition de deux figures pragmatiques, Larijani et Kalibaf, qui pourraient être tentés de négocier sérieusement avec les Etats-Unis.
Enfin, les révélations sur un présumé programme nucléaire syrien et les négociations secrètes israélo-syriennes mettent le Parti de Dieu dans une position délicate au niveau régional. L’ensemble de tous ces éléments seront à l’origine de la tentative du Hezbollah de protéger à tout prix son armement, et négocier le cas échéant une nouvelle donne politique dans le pays.
L’action militaire du Hezbollah: suicide ou dérapage contrôlé?
La stratégie militaire du Hezbollah depuis les incidents du 7 mai, qui a consisté à occuper une position et la donner à l’armée libanaise, montre une certaine logique du Parti de Dieu. Ce dernier voulait imposer par la force une nouvelle donne, sans pour autant contrôler militairement les territoires acquis.
Les combats à Beyrouth ou à Tripoli confirment cette stratégie qui, au premier abord, s’avère être une action concertée avec l’armée qui essaye, tant bien que mal, de protéger son unité.
Pourtant certains faits montrent un dérapage qui n’est pas totalement contrôlé, ce qui pose beaucoup des questions sur un mouvement très organisé comme le Hezbollah.
L’attaque des locaux de la télévision Future TV, le quotidien Al-Mustaqbal et Radio Orient, propriété du chef de la majorité, Saad Hariri, pourrait être un facteur de dérapage et une première dans un conflit interlibanais. On peut même dire que cet incident pourrait changer la perception de la rue arabe sur le Parti de Dieu, qui sera probablement présenté, non sans raison, comme un parti qui essaye de faire taire les médias de ses adversaires.
De plus, les opérations militaires dans les zones de populations druzes, fief historique du leader druze Walid Joumblatt, ont été présentées, surtout par la presse de l’opposition, comme un message adressé a Joumblatt sur la capacité de Hezbollah d’affaiblir l’emprise du leader druze sur sa communauté.
Les avis divergent quant au résultat de ces opérations militaires, et Joumblatt, en fin stratège, a pu déléguer la gestion de ce dossier à son rival historique Talal Arselan, qui ne peut pas tirer un grand profit de sa situation et pour cause, la communauté druze est très soudée en temps de crise.
En effet, Talal Arselan ne peut pas assumer devant l’histoire sa responsabilité dans la division de la communauté qui est régie par des codes religieux et féodaux qui caractérisent sa structuration et qui empêchent les druzes de s’émanciper de leurs leaders traditionnels.
Cet état de fait montre la faute impardonnable de Nasrallah qui, malgré son intelligence politique, n’a pas pu analyser l’histoire de la communauté druze, en croyant qu’il peut affaiblir Joumblatt, ce qui n’est pas le cas.
De plus, toute la classe politique, notamment les sunnites et les chiites, seront les responsables de la rupture qui va s’accroître entre les sunnites et les chiites, une rupture initiée par la guerre d’Irak de 2003, et qui atteint son paroxysme dans le dernier bastion du vivre ensemble dans la région, Le Liban.
C’est là que réside le principal échec de la classe politique libanaise, ce qui pourrait conduire à son affaiblissement progressif voir sa disparition.
Une troisième république laïque seule solution au conflit libanais
Tous les indices du terrain et des négociations entre les acteurs libanais et leurs alliés régionaux et internationaux montrent qu’on s’achemine vers un nouvel accord de Taëf sous l’égide du Qatar qui va présider le comité de la Ligue arabe, qui sera en charge de la concertation entre la coalition de 14 mars et l’opposition.
On peut avancer qu’il y aura une solution qui pourrait résoudre temporairement la crise libanaise en instituant des nouvelles règles de partage de pouvoir, mais cette solution ne sera jamais définitive.
Aucune personnalité politique ne sortira indemne de cette expérience: la coalition du 14 mars, notamment le Courant du futur et le Parti socialiste progressiste de Walid Joumblatt sont affaiblis et décrédibilisés au yeux de leurs opinions.
Les responsables chiites porteront la responsabilité de la division entre les chiites et les sunnites, malgré une responsabilité sunnite dans cette rupture.
Le communautarisme risque de s’amplifier avec une rupture presque irrémédiable entre communautés. La communauté chrétienne, elle est déjà affaiblie, et malgré le calme précaire qui règne dans les régions chrétiennes, elle est profondément divisée.
Ce constat pessimiste nous ramène à parier sur un phénomène de destruction constructive : Si les libanais prennent conscience de cette nouvelle donne inédite dans l’histoire du pays (affaiblissement de la totalité de la classe politique), ils pourront alors imposer un changement radical de la constitution et bâtir un Etat laïc seul capable de faire oublier les blessures communautaires, car qu’on le veuille ou non, à défaut de vouloir vivre ensemble, les Libanais sont condamnés à vivre ensemble.

mardi 29 avril 2008

La dynamique chiite en Irak

Déclarée dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, la guerre d’Irak de 2003 a bouleversé la donne stratégique dans la région du proche orient. En effet, en écartant Saddam Hussein sous prétexte de l’utilisation des armes de destruction massive, les Etats-Unis ont rendu service à L’Iran lui donnant la libre voie pour s’émerger comme une puissance régionale.

D’autre part, les Américains, en écartant les sunnites et favorisant les chiites, majoritaires en Irak, ont augmenté les tensions entre la communauté sunnite et la communauté chiite au niveau régional ce qui a inquiété les monarchies pétrolières sunnites du golfe, pourtant alliées des Etats-Unis. Mais loin de favoriser un arc chiite, comme certains dirigeants arabes et analystes occidentaux ont essayé de le démontrer, cette guerre a profité au premier lieu aux chiites irakiens qui se sont trouvés libérés de l’hégémonie du régime baasiste irakien, et ont commencé à bâtir un nouveau Irak en essayant de respecter le choix de toutes les communautés qui forme le pays.

Du côté iranien, la chute de Saddam Hussein est perçue comme une opportunité et un défi : dans le meilleur cas, un gouvernement ami s’installera au pouvoir, islamisera la société irakienne, stabilisera le pays et aplanira les tensions avec les Etats-Unis ; au pire, le nouveau gouvernement irakien gardera ses distances vis-à-vis de Téhéran pour ne pas apparaître comme le vassal des Iraniens, sa situation continuera à se détériorer et les tensions avec les Etats-Unis iront grandissantes.

A présent, depuis la victoire de l’Alliance irakienne unifiée dominée par les chiites –frustrante pour les Américains et encourageante pour l’Iran -Téhéran voit sa position réconfortée. Au moins trois des principaux partis (PUK, SCIRI, El-Daawa) sont proches de Téhéran, et l’un d’eux, le SCIRI noue des relations intenses avec le pouvoir politique et militaire de la théocratie iranienne. En même temps, Téhéran n’a pas intérêt à adopter une position provocatrice vis-à-vis des Etats-Unis dont il s’est résigné, à contre cœur, à ne pas exiger le départ dans les plus brefs délais.

Les chiites irakiens ne constituent pas un groupe homogène. La plupart d’entre eux sont arabes mais il y a également des Kurdes de Fayli, des Turkmènes, des Perses et d’autres encore. Même parmi les Arabes, les liens tribaux et locaux jouent encore un rôle important.

Pour des raisons historiques, le qualificatif chiite a prévalu parmi les classes inférieures comme les paysans et les habitants des marais, la plupart d’entre eux quittèrent la zone rurale pour se réfugier dans les bidonvilles autour des grandes villes, mais ceci n’indique naturellement pas qu’il n’existe pas de chiites dans d’autres segments de la société.

Les chiites d’Irak n’ont jamais constitué un groupe monolithique unifié et n’ont pas été non plus isolés du reste de la société : les mariages intercommunautaires entre Chiites et sunnites dans la région de Bagdad sont plutôt la règle et pour les couches les plus séculaires de la société irakienne l’appartenance communautaire joue un rôle primordial dans l’ascension sociale. Le concept d’un Irak tripartite : sunnite, chiite et Kurde est profondément fragile, certains classifient le peuple en termes religieux chiites et Sunnites ou en termes ethniques - Kurdes et Arabes, ou - pourquoi pas en employant une terminologie de classe. Cette dernière approche semble la plus utilisée.

L’Irak ne pourrait pas être divisé en trois gros groupes de sunnites, de chiites et de Kurdes mais en entreprises familiales économiquement puissantes et quasi mafieuses dotées de canaux d’expression politique (partis ou mouvements) : l’islamisation rampante de la société s’explique par la colère montante contre cette situation.

En analysant l’Irak de cette façon, on comprend facilement le mouvement de Muqtada El Sadr. Néanmoins, l’islamisation de la société irakienne pendant les dernières années de Saddam Hussein et la méfiance des clans dominants de Tikrit contre la majorité chiite, contribua à consolider la prise de conscience chiite. Mais cette prise de conscience n’était nullement contradictoire avec le nationalisme ou le patriotisme irakien comme cela a été démontré pendant la longue guerre contre l’Iran (les Iraniens sont conscients de ce sentiment et tentent d’adopter un profil bas ou au moins ne pas faire valoir la carte de la fraternité confessionnelle).

Les partis chiites irakiens et leurs politiques

L’Irak a donné naissance à plusieurs mouvements politiques chiites en réaction au communisme et à l’athéisme des années 60 et contre la dictature baasiste des années 1970. La guerre entre l’Iran et l’Irak a éloigné de plus en plus les différents groupes d’opposition en exil des affaires intérieures irakiennes et a favorisé la dépendance envers Téhéran. Avant 1980 seulement quelques petites cellules du parti de Daawa, et des autres groupuscules politiques ont survécu en Irak. A la chute de Saddam Hussein, seulement deux authentiques et influentes organisations chiites ont survécu : La Mardjaîya et le mouvement de Sadr el-Thani.

Politiquement, l’unité des chiites dépend actuellement du degré de coopération entre Sistani et Muqtada ; les autres partis chiites, islamistes et séculaires, sont de moindre importance, bien qu’ils fournissent des cadres expérimentés et entretiennent des structures partisanes. Les plus importants parmi ces derniers sont le Parti de l’Appel islamique (Daawa) et le Conseil Suprême de la Révolution islamique en Irak (CSRII), tous deux entretiennent des relations avec l’Iran. Le CSRII formait dès sa naissance un projet iranien et avait fonctionné comme un front d’organisations et de groupes islamistes, y compris des sunnites. Mais à la fin, il est devenu une entreprise exclusivement chiite dominée par l’influente famille irakienne d’Al-Hakim. Ce Conseil avait accès au noyau du pouvoir politique iranien. Deux membres de la direction de ce même Conseil – Ali Al-Taskhiri et Mahmud Al-Hashimi Al-Shahroudi – travaillent pour le bureau des dirigeants suprêmes de la République islamique d’Iran; le réfugié irakien Shahroudi a même été nommé par Khamenei au poste de ministre de la justice iranienne. D’autres organisations d’importance plus limitée existent dont l’Organisation de l’Action islamique (Munazzamat Al-Amal Al-Islami), corps politique représentant des familles cléricales des Modarresi, Chirazis et le Hizbullah Irakien. Ce groupe dirigé par Abdalkarim Abu l-Hatim Al- Muhammadawi a été le dernier mouvement de résistance des marécages du sud irakien.

Une autre organisation locale, Al Fadhilah (La Vertu) basé a Basra a réussi à imposer l’application stricte des lois islamiques parmi la population. Muhammad Ya’qubi de Najaf, un partisan de Muqtada-père, dont la popularité a chuté à cause de sa persistance à se placer en successeur choisi de Muhammad Sadiq, a fondé ce parti.

Le parti de la Daawa (Appel islamique) est le plus ancien parti islamiste chiite irakien qui a éclaté en plusieurs branches dans les années 1980-90, depuis que plusieurs figures influentes ont divergé avec les Iraniens sur des questions théologiques et politiques. La Daawa a subi de fortes pressions iraniennes pour rejoindre le Conseil Suprême de la Révolution Islamique en Irak (CSRII), mais la plupart des branches ont résisté. Ses branches au Liban et au Koweït ont été impliquées dans des activités terroristes contre le régime de Saddam dans les années 80.

La décennie suivante, certaines branches installées en Europe furent séduites par les principes démocratiques, mais le parti garde son cap islamiste et d’éminents membres comme Al-Jaafari insistent sur le rôle de l’islam dans la vie publique. Ces organisations en exil ne semblent pas encore unies avec ce qui subsiste de la Daawa, ils roulent chacun pour leurs propres intérêts au sein de l’Alliance irakienne unifiée.

L’Alliance irakienne unifiée (liste 169) est une vague structure, impulsée par la Daawa et le Conseil Suprême de la Révolution Islamique en Iran, regroupant des partis séculiers et chiites islamistes. La liste se réfère souvent à Sistani même si le guide essaie de garder son impartialité (de toute façon, il ne pourra pas voter puisque il ne jouit pas de la citoyenneté Irakienne).

A la base de la formation de cette liste, l’opposant de longue date Ahmad Chalabi qui a réussi à forger une alliance entre tous les partis impliqués, y compris le tonitruant Muqtada Al-Sadr opposé à toutes élections tant que l’occupation continue, mais qui ne s’est pas opposé à ce que ses partisans puissent former leur propre liste et participer au vote. Le 23 février 2005 la répartition des sièges des chiites islamistes au sein de l’Alliance irakienne unifiée était comme suit : le Conseil Suprême de la Révolution Islamique en Irak : 18, le Parti de la Daawa islamique : 15, le Parti de la Daawa islamique/Irak : 9, le Parti de la Vertu islamique : 9, le Conseil islamique chiite : 13, les Kurdes de Fayli : 4, le courant Al-Sadr a obtenu 21 sièges. Ce qui offre à l’Alliance un score de 89 sur 140 sièges. Cela ne leur donne pas une majorité mais en fait un bloc très puissant qui pourra, grâce à une alliance, diriger l’Assemblée nationale irakienne.

Comme on peut le constater clairement la question principale est de savoir dans quelle mesure ces groupes peuvent cohabiter ensemble et comment peuvent-ils faire converger leurs points de vues sur certains problèmes fondamentaux telle que la Constitution.

Le risque le plus probable c’est l’apparition de divergences entre ces différents groupes ou à l’intérieur des parties entre radicaux et pragmatiques. Les protagonistes en sont conscients. C’est là que Sistani apparaît dans son rôle d’arbitre et de modérateur pour aplanir les dissensions et imposer le compromis. Mais les pragmatistes au sein de la Daawa et du Conseil Suprême comme Ahmad Chalabi joueront le rôle de fédérateur et qui avec l’appui de Sistani pourront diriger ensemble l’Alliance irakienne unifiée. En cas de succès, l’Alliance serait la seule force capable d’impliquer les trois courants de l’islamisme chiite: le courant irakien incarné dans le parti de la Daawa/Irak et les deux courants en exil: le courant pro-occidental (Jafari, Ahmad Chalabi) et le courant pro-iranien (le Conseil Suprême de la Révolution Islamique en Irak). En d’autres termes, l’Alliance pourra entretenir de bonnes relations avec les deux principaux adversaires de la région: les Etats-Unis et l’Iran. Tous deux, en effet, et pour différentes raisons sont indisposés face à l’imprévisible pouvoir de l’Ayatollah Seyyed Ali Hussaini Sistani, un des plus importants leaders du chiisme mondial sinon le plus important.

Le rapport des chiites irakiens à l’Iran et leurs relation avec les Etats-Unis

Une des plus étonnantes coalitions scellées après l’invasion de l’Irak était celle liant les Américains au CSRII. Elle a été facilitée par l’acte de libération de l’Irak de 1998 et le climat plus libéral suivant l’élection du Président Khatami en 1997.

Néanmoins elle remonte au début des années 1990 avec les contacts du CSRII et du Congrès national irakien (CNI) d’Ahmad Chalabi. Khamenei, le leader de la révolution iranienne avait personnellement accepté la participation du CSRII au (CNI) d’Ahmed Chalabi parrainé par les Etats-Unis et la coopération croissante entre le CSRII et les Américains. En fin de compte, le CSRII est parvenu à se frayer une petite voie entre les Américains et les Iraniens en manœuvrant prudemment et de plus en plus indépendamment de Téhéran.

Un processus similaire de distanciation vis-à-vis de Téhéran s’est mis en place au Liban dans les organisations politiques chiites où des ONG iraniennes se sont totalement « libanisées » au fil des années.

Les relations de Téhéran avec le grand Ayatollah Fadhlallah en sont une parfaite illustration. Cette distanciation a été observée même parmi les alliés les plus étroits de Téhéran comme le Hezbollah libanais. Téhéran est consciente qu’elle ne possède plus qu’une faible marge de manœuvre sur le CSRII même si elle peut compter sur ses réseaux et les relations tissées entre les services de sécurité dirigés par Khamenei et des dirigeants du CSRII dont les services de renseignement et de sécurité étaient jusqu’à très récemment dirigés par un personnel iranien.

Son aile militaire, la brigade Badr (Faylaq Badr) a été entraînée, équipée et dirigée par les gardiens de la révolution iranienne (les pasdarans). Les membres de la brigade Badr sont déjà volontaires dans les forces irakiennes de sécurité et certains avancent même l’idée d’une intégration totale de la brigade Badr dans l’armée irakienne.

Selon le chercheur Walter Posch, une emprise des cadres du CSRII et de la brigade Badr aura comme conséquence l’irakisation de ces organismes plutôt qu’une iranisation des institutions irakiennes.

Ceci ne correspond pas totalement à la vision américaine quant au futur appareil de sécurité irakien. Les Américains semblent plutôt compter sur les ex-baasistes que sur les chiites radicaux. En juillet 2003, Ahmad Chalabi, suivant les directives américaines, s’est rapproché des membres des départements «Turquie» et «Iran» des Mokhabarats ; le notoire appareil de sécurité du parti Baas.

Les mois suivants Iyad Allawi recrutait d’ex-officiers Baasistes dans l’armée et les autres services de sécurité. Même au plus haut de l’embrasement de la crise de Nadjaf, le gouvernement irakien a plutôt préféré attaquer l’Iran pour ses immixtions sournoises dans les affaires irakiennes et le CSRII accusé d’être à la solde de l’Iran que l’armée du Mahdi de Muqtada. Depuis, Sha’lan, le ministre de la défense et Shahwani le directeur des Mukhabarat ont accentué leurs critiques de la politique de Téhéran, alors que leur objectif était de diminuer les chances de succès du CSRII aux élections à venir.

Vu la situation actuelle en Irak, les Etats-Unis et l’Iran sont confrontés à deux réalités. Quelque soit la future armée, celle-ci serait fortement constituée de conscrits et d’officiers d’origine chiite dont une partie proviendrait de la brigade Badr, une des rares organisations ayant acquis une expérience militaire. Etant donné les résultats des élections, les Etats-Unis devront se résigner à accepter un rôle accru des cadres du CSRII et de la Daawa dans les ministères.

L’Iran dépourvu de ses leviers, au sein des plus hauts cadres de l’une ou l’autre partie, continuera à apporter son aide matérielle et financière aux services sociaux chiites ce qui lui permettra de restaurer son image et créer de nouveaux liens avec les chiites irakiens sur des bases nouvelles.

D’une manière générale, sur une projection à long terme, les chiites continueront à jouer un rôle important dans la politique irakienne en gardant une certaine autonomie vis-à-vis de l’Iran en raison des divergences des priorités des deux peuples où le facteur national prime sur la fraternité religieuse. De plus, la divergence théologique entre Sistani et le clergé iranien rend difficile une certaine alliance chiite à grande échelle.