mardi 10 novembre 2009

Les dessous de la formation d'un gouvernement au Liban

Depuis la fin des élections législatives libanaises en juin dernier, remportée numériquement par le mouvement du 14 mars, mais consacrant dans la réalité une représentation communautaire équitable à l'exception des partis chrétiens, les principales forces politiques du pays ont passé cinq mois de discussions, qui devront aboutir rapidement à la formation d'un gouvernement d'union nationale.

Cette heureuse issue serait due à un accord entre le Premier ministre désigné, Saad Hariri et le Courant Patriotique Libre de Michel Aoun. Ce dernier parait le grand gagnant de ce long bras de fer qui a opposé majorité et opposition : Malgré sa semi-défaite aux législatives de juin, il représente électoralement une majorité relative des chrétiens Libanais.

L'inexistence d'une majorité parlementaire

Les élections législatives libanaises, en dépit du caractère confessionnel de la représentation parlementaire, se sont tenues sur la base d'une confrontation entre majorité, incarnée par le mouvement du 14 mars qui regroupe principalement le Courant du Futur de Saad Hariri, le Parti Socialiste Progressiste de Walid Joumblattainsi que le groupe chrétien Kornet Chehwane (ensemble hétérogène chrétien regroupant en plus de quelques personnalités indépendantes, les Forces Libanaises de Samir Geagea et les Phalanges de Amine Gémayel) et l'opposition incarnée par le tandem chiite Hezbollah-Amal et le Courant Patriotique Libre du Général Michel Aoun. Le résultat des élections qui se sont tenues sur la base de la petite circonscription du canton a été soldé sur une légère avancée du mouvement du 14 Mars.

Cette victoire relative n'a pas permis pour autant à la majorité de former un gouvernement : le Liban, qui est considéré comme une démocratie confessionnelle, est géré par une politique de consensus. Aucune formation politique n'a pu imposer un système hégémonique au détriment des autres forces politiques.

Deux exemples contemporains illustrent cette spécificité : Le premier exemple concerne la stratégie des Forces Libanaises, qui ont essayé, dans les années 80, avec l'aide d'Israël, de créer un État protégé par une puissance régionale. Cette entreprise hégémonique a été l'une des causes de la perpétuation de la guerre civile libanaise.

L'autre exemple, plus récent et plus ambigu, concerne la gestion du pays par le mouvement du « 14 Mars » sans prendre en compte les aspirations et les craintes d'une partie de la population : il s'agit de la manière dont la majorité parlementaire a essayé, depuis 2005, avec le soutien des occidentaux, d'imposer l'application de larésolution 1559, notamment son volet concernant le désarmement du bras armé du Hezbollah.

Cette hégémonie relative, n'a pas seulement échoué : elle a provoqué des tensions communautaires qui ont culminé dans un conflit armé qui a failli provoquer une guerre intercommunautaire. La conséquence principale de la mini guerre civile de mai 2008, à laquelle les accords de Doha ont mis fin, a été une restructuration des forces politiques du pays avec une fragmentation de la majorité parlementaire, qui malgré sa victoire, a perdu son principal pilier druze, Walid Joumblatt, au lendemain des législatives de juin 2009.

En effet, le leader druze, connu pour sa stratégie de changement d'alliance en fonction de la situation géopolitique régionale et internationale, a quitté progressivement la majorité en adoptant un discours consensuel au niveau national et hostile à Israël.

D'un autre côté, malgré un échec relatif, le Courant Patriotique Libre reste la première force politique chrétienne, ce qui prive la majorité d'une base populaire intercommunautaire. Réduite à sa composante sunnite, la majorité parlementaire est en réalité une force communautaire, incapable, à elle seule, de faire fonctionner le système libanais

La nécessité d'un gouvernement d'union nationale

Avec dix-huit communautés confessionnelles, le Liban ne peut être géré que par un consensus entre les communautés qui le composent. Ce système de gouvernance, caractérisé par un clientélisme économique et une souveraineté limitée, a, depuis toujours, favorisé l'ingérence et l'influence des puissances régionales et internationales. Pour que la classe politique libanaise accepte l'idée d'un gouvernement d'union nationale, il a fallu une entente régionale et internationale entre les puissances dominantes qui règlent leurs litiges sur un hinterland, le Liban.

La rencontre entre le roi Abdallah d'Arabie Saoudite et le président syrien Bachar El Assad a permis un réchauffement des relations entre le Courant du Futur et le Hezbollah. De plus, le rapprochement entre la Turquie (alliée des États-Unis) et la Syrie a entrainé l'affaiblissement des tendances les plus hostiles à la participation du Hezbollah à un gouvernement d'union nationale.

Mais cette problématique géopolitique ne doit pas faire oublier les difficultés locales d'une entente commune sur un projet national. La classe politique, communautaire et néo-féodale, reproduit, depuis la création de l'entité libanaise, une confédération des communautés qui empêche la formation d'une société civile, seule capable d'édifier un État.

Le refus de reconnaître le poids grandissant du Courant Patriotique Libre réside dans l'incapacité des formations traditionnelles d'accepter un parti, qui a été construit par des dynamiques sociopolitiques contemporaines sans aucun prolongement historique avec l'ancienne bourgeoisie chrétienne.

En reconnaissant le poids politique et électoral du Général Aoun, par la conclusion d'un accord avec lui, le Premier ministre désigné a ouvert la voix à la formation d'un gouvernement d'union nationale.

Le gouvernement libanais : un conseil représentatif des communautés

Malgré la volonté des politiciens libanais de créer un gouvernement d'union nationale, le Futur nouveau né ressemble plus à un conseil intercommunautaire qu'à un gouvernement. En regardant l'organigramme prévisionnel du gouvernement, paru dans la presse libanaise, on s'aperçoit qu'il est formé par des personnalités politiques représentant des pouvoirs communautaires qui influencent largement le pouvoir exécutif sans pour autant l'intégrer. L'État, qui est censé avoir la légitimité de la violence, est prisonnier des chefs communautaires qui affaiblissent la notion de l'État et le réduit à la fonction de gestionnaire du consensus.

On ne sait pas encore quelles seraient la fonction et les réalisations de ce nouveau gouvernement, mais il sera confronté à des questions qui dépassent largement la gestion d'un pays et poserait la question du Liban en tant qu'État.