mercredi 9 septembre 2009

Les médias libanais : entre confessionnalisme et recherche de crédibilité

Médias communautaires et liberté de la presse: le communautarisme comme menace pour la liberté d’expression

La liberté d’expression dont jouit la presse libanaise est une bonne chose pour la démocratie. Par contre, comme l’a si bien dit l’ancien Premier Ministre, Selim El-Hoss : « Il y a au Liban trop de liberté et pas assez de démocratie ». Quoiqu’il en soit, le Liban compte toujours au rang des pays les plus ouverts de la région. En atteste notamment la richesse de sa presse écrite et son audiovisuel. Un autre trait significatif est la liberté de ton de plusieurs journalistes et acteurs médiatiques. Pensons particulièrement aux programmes humoristiques qui se moquent des politiques. Cette programmation, unique dans son genre au niveau régional, contribue, même si de façon relative, à la désacralisation de la classe politique.

Or, depuis l’assassinat de l’ancien Premier ministre Rafic Hariri, le Liban a assisté au développement d’un phénomène qui était auparavant limité et relativement contrôlé : le communautarisme confessionnel.

Il y a un rapport étroit entre le communautarisme et l’état de la presse dans le pays. Car la notion de média national n’existe en effet pas dans le pays. Depuis la formation du Liban, c’est la féodalité communautaire qui est le facteur déterminant dans la construction de l’État. Et aucune communauté ou parti politique n’a cherché à construire une culture nationale.

Le paysage médiatique libanais se caractérise ainsi par une mainmise des partis politiques sur les médias. La télévision et la radio de l’État, sous des prétextes économiques, ont été quasiment liquidées par des gouvernements successifs dont les membres disposent parfois, selon leur(s) appartenance(s) politique(s), de leurs organes de presse propres. Ce monopole empêche l’émergence d’une société civile dans un pays de plus en plus communautarisé, et dont le repli sur soi a remplacé le « vivre ensemble », pourtant à la base du consensus libanais.

En plus de bloquer toute tentative de construction civile et démocratique, le système médiatique communautaire est caractérisé par son extrême fragilité. Attaquer un média, c’est s’en prendre à un symbole communautaire, voir religieux. Dans la démocratie consensuelle et confessionnelle libanaise, ce genre d’attaque peut provoquer une crise grave qui peut dégénérer en guerre civile.

Le paysage médiatique libanais est le reflet de la structure politique du pays. Certes, depuis 2005, le Liban est polarisé entre une coalition gouvernementale qui a montré sa fragilité et ses divergences et une opposition de plus en plus structurée autour d’une entente entre le Hezbollah chiite et le Courant patriotique libre (CPL) du général chrétien Michel Aoun. Mais on retrouve toujours les divergences politiques et communautaires qui ont survécu aux multiples changements qu’a connus le pays.

Ainsi, la coalition du 14-Mars[1] est principalement soutenue par le premier quotidien du pays, An-Nahar, le quotidien francophone L’Orient Le Jour, ainsi évidemment que par l’organe de presse du Courant du futur, le quotidien Al-Moustaqbal. De plus, cette coalition dispose de deux chaînes qui sont la propriété de la famille Hariri : Future TV, et la chaîne d’information satellitaire internationale Ekhbariat-Al-Moustaqbal, qui a commencé à émettre en 2007.

L’opposition, quant à elle, dispose d’un certain nombre de titres de la presse écrite, comme les quotidiens Assafir et Al-Akhbar[2]. Elle bénéficie aussi du soutien de plusieurs médias audiovisuels : la chaîne Al-Manar, propriété du Hezbollah, et la chaîne NBN, qui appartient à Nabih Berri, président de l’Assemblée Nationale et chef du mouvement chiite Amal. Bien que son propriétaire, Michel Aoun, ait invité tous les citoyens libanais à souscrire à son capital, la chaîne OTV peut aussi être assimilée à une chaîne de l’opposition. Quant à la chaîne New TV, qui est de tendance communiste, elle prend clairement parti contre le gouvernement, même s’il lui arrive parfois de critiquer timidement l’opposition.

De plus, les médias arabes en général, qui emploient beaucoup de Libanais de tendances politiques différentes, pourraient influencer l’état de la presse libanaise. Ainsi, les quotidiens londoniens panarabes Al-Hayat et Al-Sharq-Al-Awsat et la chaîne saoudienne Al-Arabiya, soutiennent la coalition du 14-Mars. Tandis que le quotidien Al-Quds-Al-Arabi et la chaîne Al- Jazeera prennent plutôt parti pour les formations membres de l’opposition parlementaire, et notamment le Hezbollah.

Enfin, on observe une dérive du discours médiatique entraîné par un discours politique marqué par des accusations de toutes sortes. En l’absence d’une lecture objective de la situation politique libanaise, Il n’est ainsi pas exagéré d’affirmer que les médias libanais, qui prétendent être les leaders de la région en matière d’information, véhiculent parfois un discours de rejet de l’autre et de propagande qui a relativement contribué à l’installation d’un climat de méfiance entre les communautés.

Le paysage médiatique libanais depuis l’assassinat du Premier ministre Rafic Hariri

On a souvent dit de l’histoire du Liban qu’elle était l’histoire de ses communautés. Cette notion vaut aussi pour les médias libanais audiovisuels ou écrits. Car, après une courte période de stabilité chéhabiste[3] et la création d’une chaîne publique (Télé Liban), la guerre civile qui a éclaté en 1975 a marqué l’avènement des médias mis au service des milices. Dès la fin de la guerre, et dans un contexte de mondialisation économique, ceux-ci prendront d’ailleurs de l’ampleur, au point d’en arriver à se transformer en véritables groupes de télévision.

Après les accords de Taëf de 1989, qui étaient en partie le résultat d’un consensus américano-syrien[4], les médias libanais se sont développés grâce aux nouvelles technologies de l’information et de communication. Cette transformation technologique, dont l’exemple le plus marquant est celui de la télévision par satellite, n’a pas permis d’opérer un changement dans la ligne éditoriale des medias libanais, restés fidèle à leurs conceptions communautaires. Dans la période post-guerre civile, le visage médiatique du pays du Cèdre a été marqué par une autocensure, particulièrement visible dès lors qu’était abordée la question de la présence syrienne au Liban. Plusieurs atteintes à la liberté d’expression ont d’ailleurs été observées pendant cette période, dont la plus emblématique fut la fermeture définitive de la chaîne Murr TV[5] (MTV).

Mais la véritable rupture dans le paysage médiatique libanais se situe au lendemain de l’adoption, par le conseil de sécurité de l’ONU, de la résolution 1559[6]. Adoptée par une majorité des membres du Conseil de Sécurité de l’ONU, afin de forcer la Syrie à changer sa politique d’ingérence dans la politique libanaise, elle a eu un effet particulièrement important sur les médias du pays, qui se diviseront vite selon qu’’ils seront favorables ou opposés à cette résolution.

L’attentat suicide qui a coûté la vie à l’ancien Premier ministre libanais, Rafic Hariri, présenté par une partie des Libanais comme une conséquence de la crise politique engendrée par la résolution 1559, a aggravé la division des médias libanais, devenus de véritables organes de propagande des deux camps qui se sont constitués après le renouvellement, imposé par la Syrie, du mandat de l’ancien Président de la République Emile Lahoud. Cette crise politique, qui a duré plus de trois ans, a été marquée par un discours médiatique propagandiste tenu par les médias appartenant aux divers protagonistes libanais. Les chaînes appartenant à la famille Hariri, ne tenant pas compte du principe de la présomption d’innocence, n’ont pas hésité à accuser certaines formations de l’opposition de complicité dans les attentats qui ont secoué le pays. D’un autre côté, les médias de l’opposition ont également véhiculé un discours au moins tout aussi dangereux, accusant la coalition du 14-Mars d’être des agents à la solde des États-Unis et d’Israël.

Il convient de noter, par ailleurs, que le traitement partial de l’information par les chaînes libanaises a été un vecteur de développement du secteur audiovisuel. Les bailleurs de fonds libanais, leaders politiques qui cherchent traditionnellement à augmenter leur crédibilité auprès de leur opinion publique ont développé plusieurs initiatives en ce sens. Le courant patriotique libre du Général Michel Aoun a créé sa propre chaîne, Orange TV (OTV). D’autres projets, présentés comme des initiatives privées, ont vu le jour, mais ils ont pourtant été assimilés par leurs détracteurs à des supports partisans. Ce sera d’ailleurs le cas du quotidien Al-Akhbar, qui assume clairement sa ligne éditoriale proche de l’opposition, ainsi que du site Internet d’information Now Lebanon, qui soutient la coalition du 14-Mars.

Loin pourtant de faire émerger un quelconque embryon pour une société civile, cette diversité médiatique a plutôt aggravé le confessionnalisme, augmentant le doute sur la crédibilité des chaînes libanaises.

Information ou propagande : le jeu ambigu des chaînes libanaises

En théorie, un espace médiatique marqué par la diversité des opinions exprimées est un vecteur du développement de la démocratie, et un paradis de la liberté d’expression. Mais dans la démocratie confessionnelle et consensuelle libanaise, la réalité est plus complexe.

Deux catégories de médias coexistent au pays de Cèdre

Les médias loyalistes :

Depuis la constitution de la coalition du 14-Mars, en octobre 2004, un certain nombre de médias se sont ralliés à sa stratégie et à sa vision pour l’avenir du pays.

Parmi les médias dits de la majorité, on distingue ainsi :

- La LBC : c’est l’une des importantes chaînes privées du pays, par son poids financier et sa visibilité médiatique. Créée par les Phalanges libanaises[7], elle a servi pendant la guerre civile comme organe de presse des Forces Libanaises[8]. Au début des années 90, elle est devenue une société anonyme détenue par des hommes politiques et des hommes influents, avant de fusionner, en 2004, avec la société Rotana, propriété du prince saoudien Al-Walid. Depuis la crise politique de 2004, et malgré le professionnalisme de ses journalistes, la chaîne a largement soutenu la révolution du Cèdre, et reste à ce jour le relais médiatique des chrétiens de la majorité. Après les accords de Doha de 2008, elle a relativement équilibré ses propos à l’égard de l’opposition, mais reste très influencée par les idées de la coalition du 14-Mars.

- Future TV et Ekhbariat-Al-Moustaqbal : propriété de la famille Hariri, Future TV a été créée à la fin de la guerre civile. Elle a permis à son détenteur et ancien Premier ministre, feu Rafic Hariri, d’assoir une certaine hégémonie représentative sur la communauté sunnite du pays. Mais depuis l’assassinat de ce dernier, en février 2005, elle a largement fait part au relais d’un discours anti-syrien, et a développé le culte de la personne du défunt. Lors de la mini-guerre civile[9] de mai dernier, elle a d’ailleurs été attaquée et fermée par des miliciens de l’opposition, ce qui l’a rendue encore plus hostile à l’opposition, et particulièrement au Hezbollah.

Parallèlement aux chaînes du pôle de la majorité, et en raison de la relation spécifique qui lie la famille Hariri à la famille royale saoudienne, la coalition du 14-Mars bénéficie toujours d’un soutien médiatique non négligeable de la part de plusieurs medias panarabes. Dont, notamment, les chaînes Al-Arabiya et MBC, et le quotidien londonien panarabe Al-Hayat.

Les médias de l’opposition :

Quant à l’opposition, connue sous le nom du bloc du 8-Mars, elle détient aussi un certain nombre de médias, dont le poids économique et médiatique rivalisent avec celui des médias loyalistes.

En effet, comme dans le cas de a coalition du 14 mars, l’opposition est hétéroclite, mais ses composantes ont été réunies autour de leur opposition à la résolution 1559. Elle a été renforcée par l’entente entre le Hezbollah et le Courant Patriotique Libre qui a donné au mouvement chiite une assise chrétienne

Plusieurs médias appartiennent ou soutiennent ouvertement l’opposition. On distinguera ainsi :

- Al Manar : c’est l’organe médiatique officiel du Hezbollah, que les membres de ce parti appellent aussi « media de résistance ». Il a été créé au début des années 90 afin d’accompagner le parti dans son processus de libanisation. La ligne éditoriale de la chaîne se caractérise ainsi par un islamo-nationalisme et un anti-américanisme assumés. Depuis 2004, le discours de la chaîne a suivi celui du parti qui la finance en dénonçant de plus en plus les influences étrangères dans la politique intérieure libanaise, allant jusqu'à accuser les membres de la majorité de traitrise contre la nation. Mais on peut estimer que ce discours conservateur aura plutôt été bénéfique pour la chaîne, qui a pu au fil des années acquérir une certaine notoriété, qui ira au-delà de la seule base populaire composant le Hezbollah. Son audience importante chez les populations du Moyen-Orient et du Maghreb en est la preuve. Cela dit, malgré une ligne éditoriale axée sur les notions d’intégrité du Liban et de défense des intérêts des citoyens, Al-Manar demeure une chaîne confessionnelle avant tout, dont l’objectif est de défendre les intérêts du Hezbollah et de la communauté chiite. Comme la majorité des médias du pays, elle a participé d’une forme d’aggravation du communautarisme qui, selon plusieurs observateurs, est en train de diviser irrémédiablement la population libanaise.

- La NBN : propriété du président du Parlement libanais, Nabih Berri, Sa caractéristique principale est son soutien sans faille à l’opposition, ce qui est totalement légitime et logique pour un média appartenant exclusivement à un personnage politique qui a toujours été proche de la Syrie.

- OTV (Orange TV) : créée par le Courant Patriotique Libre (CPL) du Général Michel Aoun, cette chaîne est l’une des nouvelles-nées du paysage médiatique national. Il faut d’ailleurs noter que le Général Aoun affirme pour sa part qu’elle est financée par des actions achetées par des citoyens libanais, sans que cela puisse être précisément vérifié. Cela étant dit, tout comme le discours du Général, OTV a axé sa ligne éditoriale sur la lutte contre la corruption et l’aspiration à une évolution du système politique vers une troisième République laïque. Mais cette stratégie s’est avérée avoir le plus souvent valeur d’attaque en règle contre le Courant du Futur, et contre le Président du Conseil des ministres, Fouad Sanioura. Quant à la notion de laïcité, elle a vite été diluée dans des logiques de confrontation entre le Général et ses opposants chrétiens (notamment les Forces Libanaises), relatives entre autres à la question de la défense des intérêts des chrétiens du Liban et de l’Orient. A noter enfin que l’on observe sur cette chaîne, ainsi que dans les autres organes de presse du CPL, une propension à la critique virulente du chef du Parti Socialiste Progressiste, Walid Joumblatt, notamment sur sa stratégie politique jugée pro-occidentale ainsi que sur la gestion du dossier des déplacés de la guerre civile.

- New TV : c’est la seule chaîne privée libanaise qui n’a jamais appartenu à un leader politique. D’obédience communiste, elle a largement critiqué les choix libéraux de l’ancien Premier Ministre Rafic Hariri. Depuis la crise politique de 2004, elle a soutenu l’opposition tout en la critiquant parfois. Mais son idéologie communiste et panarabe la rend plus proche de l’opposition que de la majorité. Cette relative neutralité n’a néanmoins pas permis à la New TV de se démarquer des autres chaînes communautaires. Elle a contribué, par ses critiques virulentes, à la division médiatique qui aura une part de responsabilité dans le déclenchement des événements tragiques du 7 mai 2008.

La mini guerre civile du 7 mai : une guerre médiatique qui dérape

L’ambigüité des chaînes libanaises, qui mélangent, depuis 2004 notamment, l’information et la propagande, a transformé les médias libanais en véritables armes de guerre. La preuve la plus éclatante de leur responsabilité dans le déclenchement de la guerre fut d’ailleurs cet avertissement du Premier ministre du Qatar, cheikh Hamad Ben Jassem al-Thani, lancé à l’issue de la signature des accords de Doha, le 25 mai 2008, demandant aux médias libanais de "calmer les esprits plutôt que de susciter une escalade".

Depuis longtemps et particulièrement à partir de 7 mai 2008, les médias du pays ont construit, à travers journaux télévisés, débats politiques et programmes sociétaux, une image négative de « l’autre » libanais. Cette image stéréotypée et relativement imaginaire a eu un impact non négligeable sur l’évolution de la relation intercommunautaire. C’est dans ce contexte que les locaux de la chaîne Future TV, propriété de la famille Hariri, ont été attaqués, le 9 mai 2008, par des miliciens de l’opposition. Cet acte qui a suscité de vives critiques, même dans les médias de l’opposition comme Assafir et Al-Akhbar, a fait accroître les tensions entre les communautés notamment les sunnites et les chiites.

En effet, la population sunnite du pays a parlé d’une menace chiite sur la capitale. Plusieurs responsables sunnites ont même lancé des appels pour défendre leur cité. Dans le nord du pays, notamment à Tripoli, on a parlé d’un massacre contre des sympathisants de l’opposition, sans que l’on puisse vérifier l’exactitude de ces informations. Enfin, dans la montagne druze, la coexistence druzo-chiite a été menacée par de violents combats qui ont aggravé durablement la relation entre les deux communautés.

Les médias libanais ne sont certes pas responsables de la crise politique et encore moins du déclenchement des violences du 7 mai 2008. Par contre, leur traitement partial de l’information a peut être contribué à l’accroissement des tensions communautaires.

C’est d’ailleurs dans ce contexte que le quotidien d’opposition Al-Akhbar a annoncé, dans son édition du 29 janvier 2009, la réouverture de la chaîne Murr TV (MTV). Selon lui, celle-ci sera l’un des outils médiatiques de la majorité, et notamment des partis chrétiens hostiles au général Michel Aoun. Le quotidien expliquait d’ailleurs que, sur fond de conflit financier entre les Forces Libanaises et le Président du conseil d’administration de la chaîne LBC, Pierre al-Daher, les partis politiques chrétiens de la majorité essayaient de trouver une alternative à la LBC qui soit fonction d’une ligne éditoriale non partisane et ouverte.

Libérer l’espace médiatique de la tutelle confessionnelle

Malgré quinze ans de douloureuse guerre civile, les Libanais sont plus que jamais polarisés entre deux camps, qui représentent deux visions de la construction étatique : celle du camp du 14-Mars, prônant un Liban indépendant des problèmes régionaux en s’appuyant sur une aide internationale tout en restant dans un environnement arabe ; et celle du camp dit du 8-Mars, qui envisage un Liban intégré dans un système régional dont il ne peut se dissocier.

Libérés de la lourde tutelle syrienne, les Libanais seraient pourtant bien inspirés de se libérer de la tutelle libanaise, chape de plomb religieuse et politique qui pèse lourdement sur leur avenir et sur celui de la construction étatique. Une responsabilité qui incombe plus particulièrement à la jeunesse libanaise, qui serait probablement bien inspirée de réaliser que la religion, et encore plus, la démocratie consensuelle et confessionnelle, n’a pas apporté de réponses à leurs exigences de paix et d’épanouissement au sein d’une nation stable.

Mais, de même que la tutelle politique, une autre forme de tutelle, médiatique celle-là, pèse sur les Libanais. Et elle empêche la création d’un média à même de véhiculer des idées et des principes qui permettraient la constitution d’une société civile, et l’établissement d’un état de droit basé sur une « laïcité laïcisée », libérée de tout confessionnalisme.

La télévision publique libanaise, seul media censé véhiculer une culture nationale, a été démantelée par les gouvernements successifs. Il est totalement improbable d’envisager que des médias communautaires puisse faire émerger une conscience nationale. Or, l’identité nationale libanaise existe, du moins sociologiquement. Les acteurs du paysage médiatique, s’ils en ont la volonté, pourraient développer les ingrédients de cette identité collective. Avec le développement d’Internet, un grand espace a été récemment occupé par un journalisme dit citoyen, qui, de plus en plus, met en échec les médias traditionnels. Ce phénomène très visible en Occident, commence à se développer au Moyen-Orient et particulièrement au Liban. On peut espérer que cette nouvelle forme de journalisme modifie sérieusement à terme le caractère confessionnel du paysage médiatique libanais. De plus, la rupture qui s’opère entre les dirigeants et la population aura comme conséquence, à long terme, la création d’une société civile seule capable de moderniser l’état.

D’un autre côté, ressusciter une chaîne nationale est inévitable pour un pays dont les accords de Taëf, qui ont mis fin à quinze ans de guerre civile, stipulent clairement la nécessité d’engager des moyens pour affaiblir le confessionnalisme. Or, vingt ans plus tard, la classe politique se montre toujours incapable de prendre des initiatives dans ce sens.

Pourtant la solution à cette situation pourrait être simple, et prendre la forme d’une double initiative, intérieure et extérieure. Le nouveau président de la République pourrait ainsi proposer un impôt citoyen, sous forme d’une redevance télévisuelle, afin de financer la création d’un véritable service public de l’audiovisuel. Cette action pourrait d’ailleurs être complétée par un financement européen, dans le cadre de la politique de coopération entre le Liban et l’Union Européenne. Cette caution européenne serait en effet nécessaire pour donner un gage de crédibilité à un média public dont l’une des missions serait de véhiculer des idées qui, à long terme, libèrent les Libanais de leur tutelle communautaire.



[1] Alliance de 14-Mars : Actuellement majorité parlementaire à l’Assemblée Nationale, c’est un groupe hétéroclite formé par des forces politiques hostile à la Syrie. La coalition a œuvré pour l’application de la résolution 1559, en concentrant sa stratégie sur la fin de l’ingérence syrienne et le désarmement du Hezbollah. Le discours anti-syrien de ce groupe politique a largement influencé la ligne éditoriale des médias qui ont adopté sa cause.

[2] Al-Akhbar : Créé par l’ancien éditorialiste du quotidien Assafir, feu Joseph Samaha au lendemain du déclenchement de la guerre de juillet 2006 entre Israël et le Hezbollah, il est considéré comme un quotidien d’opposition, particulièrement proche du Hezbollah.

[3] Le chehabisme : c’est la période du mandat de l’ancien président Fouad Chéhab (1958-1964), qui a appliqué le concept de neutralité positive en matière de politique étrangère tout en introduisant des réformes politiques et sociales qui ont permis au pays de connaître, sous son mandat, une stabilité politique et une croissance économique.

[4] Consensus américano-syrien : Accord tacite entre une puissance régionale (la Syrie) et une autre internationale (les Etats-Unis) qui a permis à la Syrie, en contre partie de sa participation à la guerre du Golfe (1991) de garder une tutelle sur le pays de cèdre, notamment sur sa politique étrangère. Ce consensus qui a mis fin à la guerre civile libanaise, a été rompu par l’adoption de la résolution 1559 du conseil de sécurité de l’ONU.

[5] Murr TV(MTV) : Propriété de Gabriel El-Murr, frère et adversaire du député du Metn (région Mont Liban), candidat malheureux aux législatives partielles de 2002, sa victoire a été annulée et sa chaîne (MTV) a été fermée par une décision administrative. Six ans après, c’est un amendement parlementaire qui va permettre à la chaîne de réémettre à Partir de 31 mars 2009.

[6] Résolution 1559 : Adoptée le 2 septembre 2004 par le Conseil de sécurité de l’ONU, elle stipulait le retrait de toutes les troupes étrangères du pays, le désarmement de toutes les milices et l’organisation des élections présidentielles hors de toute ingérence étrangère.

[7] Les Phalanges libanaises : Créé en 1936 par Pierre Gemayel, le parti était jusqu’au début des années 70 le principal parti chrétien. Traditionnellement proche du pouvoir en place, il a été affaibli durant et après la guerre civile de 1975. Actuellement, il est membre de la coalition de 14-Mars et affiche clairement son hostilité à la Syrie.

[8] Les Forces Libanaises : Affaibli dans les années 90, il a émergé sur la scène chrétienne grâce à la libération de son chef Samir Gaagaa qui a intégré la coalition du 14-Mars et qui a fait du parti le principal opposant a son rival de toujours Michel Aoun.

[9] Mini-guerre civile libanaise : déclenché à la suite de la décision du Conseil des ministres libanais de licencier le chef de sécurité de l’aéroport de Beyrouth (proche du Hezbollah), elle a duré une quinzaine de jours durant lesquels des heurts ont été éclatés entre sunnites et chiites et chiites et druzes dans plusieurs régions du pays, elle a été arrêtée grâce à la signature , le 25 mai 2008, des accords de Doha, qui ont permis l’élection d’un nouveau Président de la République.