samedi 15 mars 2008

Sortir la presse libanaise de l'archaisme communautariste

Comment le communautarisme de mise au Liban se répercute sur la presse ? Dans quelle mesure, les médias dépassent-ils leurs penchants communautaristes pour ancrer le pays dans la modernité ? Quels rôles jouent internet et les organes de presse panarabes pour sortir le Liban de l'archaisme communautaire ? Voilà autant de questions auxquelles répond Jamil Abou Assi, blogueur libanais, doctorant et assistant de recherche stagiaire au bureau Moyen-Orient de Reporters Sans Frontières (RSF) dans un entretien exclusif, accordé à APN, où il porte un regard critique sur la scène médiatique de son pays. Il estime aussi que la presse communautariste pourrait bien prospérer dans le monde arabe faute d'un système politique adéquat dans la région.

APN : Vous estimez que le communautarisme de la société libanaise a un impact sur le paysage médiatique du pays.
Jamil Abou Assi : Les médias libanais sont, pour la plupart, financés par des partis politiques à l'exception du quotidien An Nahar. Assafir soutient le parti social nationaliste syrien (PSNS) même si ces éditorialistes feignent l'objectivité. Al-Akhbar, créé au lendemain de l'éclatement de la guerre de juillet 2006, reflète les vues du Hezbollah. Aucun media ne transcende ces communautés même si la plupart des organes de presse emploient des journalistes issus de ses diverses communautés et déploient tous des efforts dans ce sens. Les sunnites lisent Al Mustaqbal, les partisans de Michel Aoun lisent un site en ligne http://www.tayyar.org/, propriété du courant patriotique libre, le parti du Général Aoun. La chaîne NTV, d'obédience communiste, critique tout le monde et feint d'avoir un programme national mais reste clairement favorable à l'opposition libanaise. La ligne éditoriale est toujours dominée par les idées du courant ou du parti qui soutient le journal en question.Le fait que la chaîne de télévision nationale libanaise ne diffuse plus que des programmes des années 70 et 80, à la seule exception des bulletins d'informations, en dit long sur la prédominance des autres médias. La classe politique libanaise, constituée de partis ayant chacun leur organe de presse, refuse d'investir dans un projet national commun que pourrait être cette chaîne de télévision. Il est donc légitime de se demander s'il existe dans ce pays un réel projet national. Visiblement, la réponse est négative pour la classe politique.
APN : Quel rôle devrait jouer les médias dans ce contexte ?
JAA : Et c'est là que doivent néanmoins intervenir les médias dont le rôle est de véhiculer une culture nationale laïque puisque c'est la seule voie de sortie de la crise pour le pays or à ce jour, ils font tout le contraire.La solution serait de créer de nouveaux médias et à cet égard internet constitue une véritable aubaine. D'ailleurs, de plus en plus de sites contestent cet ordre médiatique au Liban. Je pense à Libnannews, yalibnan, iloubnan ou encore alalmana qui veulent sortir le pays du système communautaire archaïque pour l'ancrer dans la modernité.
APN : Le communautarisme que l'on observe dans le paysage médiatique libanais épargne-t-il les autres pays arabes ?
JAA : Ce phénomène se retrouve aussi en Irak où cohabitent des médias chiites, sunnites et kurdes. Dans les pays où coexistent plusieurs communautés religieuses ou confessionnelles, les médias communautaristes ont une bonne espérance de vie mais pas seulement. Avec la mondialisation et l'individualisation qu'elle renforce, où chacun réclame ses droits, il est probable que l'on assiste à une prolifération de médias communautaristes. Paradoxalement et parallèlement, sur le plan régional on assiste à l'émergence des médias panarabes qui, comme Al-Jazeera, ont intégré un personnel et des contenus reflétant les opinions des différentes communautés et nationalités. Ce modèle panarabe, malgré ses insuffisances, pourrait servir de base pour affaiblir graduellement le communautarisme, qui malheureusement prospère dans une région qui n'arrive pas à créer son propre système de régulation politique.
Jamil Abou Assi est l'auteur du blog http://www.strategicwatch.blogspot.com%20/

lundi 10 mars 2008

Le Général De Gaulle et le Proche-Orient

Conférence de presse du président de la république le Général Charles De Gaulle, le 27 novembre 1967:
L’établissement, entre les deux guerres mondiales, car il faut remonter jusque là, l’établissement d’un foyer sioniste en Palestine et puis, après la deuxième guerre mondiale, l’établissement d’un Etat d’Israël, soulevaient, à l’époque, un certain nombre d’appréhensions. On pouvait se demander, en effet, et on se demandait même chez beaucoup de juifs, si l’implantation de cette communauté sur des terres qui avaient été acquises dans des conditions plus ou moins justifiables et au milieu des peuples arabes qui lui étaient foncièrement hostiles, n’allait pas entraîner d’incessants, d’interminables frictions et conflits. Certains même redoutaient que les juifs, jusqu’alors dispersés, qui étaient restés ce qu’il avaient été de tout temps, un peuple d’élite, sûr de lui-même et dominateur, n’en viennent, une fois qu’ils seraient rassemblés dans le site de leur ancienne grandeur, à changer en ambition ardente et conquérante les souhaits très émouvants qu’ils formaient depuis dix-neuf siècles : l’an prochain à Jérusalem.

Cependant, en dépit du flot tantôt montant tantôt descendant des malveillances qu’ils provoquaient, qu’ils suscitaient plus exactement, dans certains pays et à certaines époques, un capital considérable d’intérêt et même de sympathie s’était accumulé en leur faveur, surtout, il faut bien le dire, dans la chrétienté ; un capital qui était issu de l’immense souvenir du Testament, nourri par toutes les source d’une magnifique liturgie, entretenu par la commisération qu’inspirait leur antique malheur et que poétisait chez nous la légende du Juif errant, accru par les abominables persécutions qu’ils avaient subies pendant la deuxième guerre mondiale, et grossi depuis qu’ils avaient retrouvé une patrie, par leurs travaux constructifs et le courage de leurs soldats. C’est pourquoi, indépendamment des vastes concours en argent, en influence, en propagande, que les Israéliens recevaient des milieux juifs d’Amérique et d’Europe, beaucoup de pays, dont la France, voyaient avec satisfaction l’établissement de leur Etat sur le territoire que leur avaient reconnu les Puissances, tout en désirant qu’ils parviennent, en usant d’un peu de modestie, à trouver avec leurs voisins un modus vivendi pacifique.

Il faut dire que ces données psychologiques avaient quelque peu changé depuis 1956, à la faveur de l’expédition franco-britannique de Suez on avait vu apparaître en effet, un Etat d’Israël guerrier et résolu à s’agrandir. Ensuite, l’action qu’il menait pour doubler sa population par l’immigration de nouveaux éléments, donnait à penser que le territoire qu’il avait acquis ne lui suffirait pas longtemps et qu’il serait porté, pour l’agrandir, à saisir toute occasion qui se présenterait. C’est pourquoi, d’ailleurs, la Vème République s’était dégagée vis-à-vis d’Israël des liens spéciaux et très étroits que le régime précédent avait noués avec cet Etat, et s’était appliquée au contraire à favoriser la détente dans le Moyen-Orient. Bien sûr, nous conservions avec le gouvernement israélien des rapports cordiaux et, même, nous lui fournissions pour sa défense éventuelle, les armements qu’il demandait d’acheter. Mais, en même temps, nous lui prodiguions des avis de modération, notamment à propos des litiges qui concernaient les eaux du Jourdain ou bien des escarmouches qui opposaient périodiquement les forces des deux camps. Enfin, nous nous refusions à donner officiellement notre aval à son installation dans un quartier de Jérusalem dont il s’était emparé et nous maintenions notre ambassade à Tel-Aviv.

Une fois mis un terme à l’affaire algérienne, nous avions repris avec les peuples arabes d’Orient la même politique d’amitié, de coopération qui avaient été pendant des siècles celle de la France dans cette partie du monde et dont la raison et le sentiment font qu’elle doit être aujourd’hui une des bases fondamentales de notre politique extérieure. Bien entendu, nous ne laissions pas ignorer aux Arabes que, pour nous, l’Etat d’Israël était un fait accompli et que nous n’admettrions pas qu’il fût détruit. De sorte qu’on pouvait imaginer qu’un jour viendrait où notre pays pourrait aider directement à ce qu’une paix fût conclue et garantie en Orient, pourvu qu’aucun drame nouveau ne vînt la déchirer.

Hélas ! Le drame est venu. Il avait été préparé par une tension très grande et constante qui résultait du sort scandaleux des réfugiés en Jordanie, et aussi d’une menace de destruction prodiguée contre Israël. Le 22 mai, l’affaire d’Aqaba, fâcheusement créée par l’Egypte, allait offrir un prétexte à ceux qui rêvaient d’en découdre. Pour éviter les hostilités, la France avait, dès le 24 mai, proposé aux trois autres grandes puissances d’interdire, conjointement avec elle, à chacune des deux parties d’entamer le combat. Le 2 juin, le gouvernement français avait officiellement déclaré, qu’éventuellement, il donnerait tort à quiconque entamerait le premier l’action des armes, et c’est ce que j’avais moi-même, le 24 mai dernier, déclaré à Monsieur Eban, ministre des Affaires étrangères d’Israël, que je voyais à Paris. “Si Israël est attaqué”, lui dis-je alors en substance, “nous ne le laisserons pas détruire, mais si vous attaquez, nous condamnerons votre initiative. Certes, malgré l’infériorité numérique de votre population, étant donné que vous êtes beaucoup mieux organisés, beaucoup plus rassemblés, beaucoup mieux armés que les Arabes, je ne doute pas que le cas échéant, vous remporteriez des succès militaires, mais ensuite, vous vous trouveriez engagés sur le terrain et au point de vue international, dans des difficultés grandissantes, d’autant plus que la guerre en Orient ne peut pas manquer d’augmenter dans le monde une tension déplorable et d’avoir des conséquences très malencontreuses pour beaucoup de pays, si bien que ce serait à vous, devenus des conquérants, qu’on en imputerait peu à peu les inconvénients.”

On sait que la voix de la France n’a pas été entendue. Israël, ayant attaqué, s’est emparé, en six jours de combat, des objectifs qu’il voulait atteindre. Maintenant, il organise sur les territoires qu’il a pris l’occupation qui ne peut aller sans oppression, répression, expulsions, et il s’y manifeste contre lui une résistance, qu’à son tour il qualifie de terrorisme. Il est vrai que les deux belligérants observent, pour le moment, d’une manière plus ou moins précaire et irrégulière, le cessez-le-feu prescrit par les Nations unies, mais il est bien évident que le conflit n’est que suspendu et qu’il ne peut y avoir de solution sauf par la voie internationale.

Un règlement dans cette voie, à moins que les Nations unies ne déchirent elles-mêmes leur propre charte, doit avoir pour base l’évacuation des territoires qui ont été pris par la force, la fin de toute belligérance et la reconnaissance réciproque de chacun des Etats en cause par tous les autres. Après quoi, par des décisions des Nations unies, en présence et sous la garantie de leurs forces, il serait probablement possible d’arrêter le tracé précis des frontières, les conditions de la vie et de la sécurité des deux côtés, le sort des réfugiés et des minorités et les modalités de la libre navigation pour tous, notamment dans le golfe d’Aqaba et dans le canal de Suez. Suivant la France, dans cette hypothèse, Jérusalem devrait recevoir un statut international. Pour qu’un tel règlement puisse être mis en oeuvre, il faudrait qu’il y eût l’accord des grandes puissances (qui entraînerait ipso facto celui des Nations unies) et, si un tel accord voyait le jour, la France est d’avance disposée à prêter sur place son concours politique, économique et militaire, pour que cet accord soit effectivement appliqué.
Mais on ne voit pas comment un accord quelconque pourrait naître non point fictivement sur quelque formule creuse, mais effectivement pour une action commune, tant que l’une des plus grandes des quatre ne se sera pas dégagée de la guerre odieuse qu’elle mène ailleurs. Car tout se tient dans le monde d’aujourd’hui. Sans le drame du Vietnam, le conflit entre Israël et les Arabes ne serait pas devenu ce qu’il est et si, demain, l’Asie du Sud-Est voyait renaître la paix, le Moyen-Orient l’aurait bientôt recouvrée à la faveur de la détente générale qui suivrait un pareil événement.

Retour sur l'assassinat d'Imad Mughniyeh à Damas

Près d'un mois après l'assassinat à Damas, dans la soirée du 12 février 2008, d’Imad Mughniyeh, cet acte suscite autant de questions sur la date, l’auteur, et les conséquences d’un attentat qui intervient dans une période marquée par des bouleversements stratégiques majeurs.
Il faut préciser que la personne en question a été sacralisée tant par ses alliés que ses détracteurs. Les Iraniens et le Hezbollah ont pleuré un martyr, tandis que les Américains et les Israéliens ont toujours vu en lui la preuve d’une alliance présumée entre le fondamentalisme sunnite et l’activisme religieux chiite, principalement iranien.
Le Mossad en accusation
Selon des sources israéliennes rapportées par le quotidien koweitien Al-Qabas, l’assassinat a été préparé et exécuté par des agents du Mossad, les services secrets israéliens, qui auraient remplacé le siège de la voiture de Mughniyeh en introduisant une charge explosive de forte intensité. Le quotidien koweitien a ajouté que l’attentat s’est produit à 22h33, a proximité d’une cérémonie organisée par l’ambassade iranienne à Damas, à l’occasion du 29ème anniversaire de la révolution khomeyniste. Les auteurs opérationnels de l’attentat seraient probablement trois agents de Mossad entrés en Syrie avec de faux passeports iraniens, concluait le journal dans son édition du 18 février 2008.

Quelque soit les commanditaires de cet assassinat, on ne peut que faire le lien entre cet assassinat et les bouleversements majeurs que vit la région, de la crise du nucléaire iranien au conflit israélo-palestinien en passant par le problème libanais, et sans oublier bien sûr le bourbier irakien. Il n’est pas exagéré de lier une personne comme Mughniyeh à cette équation complexe qui regroupe les grands problèmes d’une région qui peut changer le visage du monde comme l’a rappelé, François Heisbourg dans son dernier livre sur la crise du nucléaire iranien.
Selon Alain Rodier, chargé de recherche au centre français sur le renseignement, le "renard" (le surnom de Mughniyeh) est responsable de l’organisation, de la préparation ou de l’exécution d’une dizaine des opérations les plus spectaculaires qui ont secoués la région depuis les années 80. Il est cité comme le responsable de l’attaque contre l’immeuble Drakkar qui a causé la mort de 58 soldats français et 241 marines américains le 23 octobre 1983.
Que défendait aujourd'hui Mughniyeh?
Toujours selon Alain Rodier, la position récente de Mughniyeh est difficile à définir. En 2003-2004, il aurait été vu en Irak a côté de Moqtada Al-Sadr, le leader de l’armée du Mahdi, soutenue discrètement par Téhéran. Plus surprenant encore, en janvier 2006, il aurait été vu accompagner le président iranien à Damas et s’entretenir avec Bachar Al-Assad. Certains services de renseignement avancent même la possibilité d’une rencontre discrète avec des leaders palestiniens de mouvance islamiste et marxiste.

Sur les raison de l’attentat, le Jerusalem Post a rapporté l’analyse du Sunday Times, sur la base des sources de renseignements israéliens, qui expliquait que Mughniyeh était en train de préparer la riposte contre l’attaque israélienne du site militaire syrien en septembre dernier. Le journal britannique expliquait que Mughniyeh a pu fournir au Hezbollah des missiles "Fateh 110", de fabrication iranienne, capable d’atteindre Tel-Aviv.

Certains opposants iraniens voient, derrière cet assassinat, la main du général iranien Ali Reza Asghari, disparu mystérieusement en Turquie en février 2007. Les interpellations des diplomates iraniens à Erbil en janvier 2007, l’enlèvement d’un diplomate iranien à Bagdad le 20 février de la même année, ainsi que le retrait de Larijani du poste de négociateur du nucléaire avec l’UE, laissent croire que l’assassinat de Mughniyeh serait le fruit d’une collaboration d’un général ayant déserté, ancien chef opérationnel des gardiens de la révolution au Liban dans les années 80 et fin connaisseur du nucléaire iranien, et des services secrets occidentaux principalement la CIA, qui apportent un soutien logistique au Mossad, désigné comme l’auteur présumé de cet attentat.

Une rupture entre Damas et Téhéran?

Une autre hypothèse qu’on pourrait la qualifier de propagande anti-chiite avance l’idée d’une rupture qui s’opère entre la Syrie d’une part, et l’Iran et le Hezbollah d’autre part. Cette thèse basée sur l’existence d’une commission d’enquête mixte irano-syrienne avec la participation du Hezbollah a été démentie formellement par la Syrie. Une autre thèse qui va dans le même sens, circule sur des sites Internet hostiles au Hezbollah, avance un règlement de compte interne au sein du Hezbollah. Une dernière thèse qui reprend l’idée de la faillite de l’appareil sécuritaire syrien consiste à voir une similitude entre l’assassinat de Mughniyeh et l’arrestation du terroriste Carlos au Soudan au début des années 90.

Enfin, certains sites Internet avancent une thèse qu’on peut la juger de conspirationniste, selon laquelle la Syrie aurait acheté son réintégration à la communauté internationale en délivrant Mughniyeh aux services de renseignements israéliens. Malgré le manque de fiabilité de cette thèse, elle a été relativement renforcée par les propos de l’ancien vice président syrien Abd Al Halim Khaddam, qui a déclaré au journal londonien Al-Sharq Al-Awsat que l’attentat s’est produit dans une zone contrôlée par les services de sécurité syriens.

On voit de ce qu’il advient que l’assassinat de Mughniyeh pose plus de question qu’il rapporte des réponses. L’évolution du paysage stratégique de la région que ce soit au niveau libanais, iranien, irakien ou palestinien pourrait nous apprendre encore plus sur les conséquences de cet attentat. La réponse à la traditionnelle question "à qui profite le crime", nous rapporte des demi-réponses qui doivent être éclaircies à la lumière de l’évolution de la situation du Moyen-Orient, qui est revenu au cœur de la politique internationale, et risque, en l’absence d’une réelle volonté d’apaisement, d’être le terrain du premier acte d'une troisième guerre mondiale.