lundi 28 avril 2008

Retour sur le processus de Barcelone : Limites et perspectives de la coopération Euro-arabe

Article écrit en 2005 dans le cadre du séminaire "construction européenne : questions régionales", à l'Institut d'Etudes Européennes de L'Université Paris VIII.
L’économie est un langage universel qui intègre déjà les chefs d’entreprises et les acteurs de l’économie des deux rives de la méditerranée. La politique divise, la culture différencie, mais l’économie rapproche.

En 1995, le processus de Barcelone a été créé dans le but de rapprocher les deux rives de la méditerranée en utilisant comme critère de rapprochement l’économie, mais plus de dix ans après le processus, on observe des baisses des échanges commerciaux et des politiques de subventions qui, selon Amanda Daefoe, empêche une compétition équitable.

En effet, l’évaluation du processus EUROMED par les journalistes, lobbyistes et universitaires est sceptique. Les principales critiques du Partenariat EUROMED (PEM) portent sur le fait que la libéralisation économique encadrée a peu aidé les pays du sud dont les PIB atteignent à peine 18% de ceux des états de l’Union Européenne.

L’organisation des Amis de la Terre au Moyen-Orient (FoEME) met elle l’accent sur l’importance de l’agriculture, qui n’est pas régie dans ces pays par les mêmes accords commerciaux que ceux présidant à l’échange de biens manufacturés. La plupart des produits agricoles en provenance de la zone méditerranéenne, lorsqu’ils sont moins chers que les produits de l’UE, sont sujets aux restrictions de la PAC. Les barrières tarifaires des fruits et légumes varient selon les produits et les saisons, avec un prix plus élevé imposé durant les périodes où les importations communautaires sont susceptibles d’entrer en compétition avec les produits locaux.

Mais le Partenariat n’a pas simplement échoué dans le volet agricole de ses objectifs économiques. En matière de commerce et d’investissements étrangers directs (IDE), le processus de Barcelone n’a eu que peu de conséquences. Entre 1995 et 2003, la part globale de l’UE dans les importations et exportations en direction de ses partenaires méditerranéens a chuté.

Ces statistiques conduisent à une autre critique du processus de Barcelone, émise cette fois par les dirigeants des pays du sud eux-mêmes. Ceux-ci ont l’impression que l’Union européenne a laissé les pays du PEM sur le bas-côté afin de consacrer tous leurs efforts à l’élargissement vers l’est. Une remarque qui se justifie à beaucoup d’égards : l’UE a ainsi consacré une grande majorité de son aide technique et financière à aider ces futurs Etats membres. En 2003, Bruxelles attribuait environ 545 € par citoyen à chaque pays entrant alors qu’elle ne donnait que 14 € à ceux de la zone EUROMED.

Face à ce pessimisme, certains croient que la solution est bien dans la nouvelle politique européenne de voisinage (PEV). Il l’a considère comme un moyen de faire revivre le processus de Barcelone. En 2004, l’UE a offert à ses voisins l’opportunité de signer les accords de la PEV en augmentant la coopération bilatérale entre pays concernés et UE. Tous les Etats d’Euromed, excepté la Turquie désormais état candidat, ont signé les plans d’action de la PEV. La Commission espère ainsi que ces politiques bilatérales fonctionneront de concert avec le partenariat multilatéral de Barcelone pour construire une forte relation régionale.

vendredi 25 avril 2008

Refléxions sur les médias libanais

Voici quelques reflexions que j'ai écris en réponse à une série de questions qui m'ont été posées en anglais sur la l'état des médias libanais. fournisseurs d'information ou diffuseurs de propagande? Malheureusement la distance entre les deux est tellement fine surtout dans un pays dominé par des médias communautaires. Petit tour d'horizon qui pourrait engager le débat pour une réforme en profondeur.
1.) Why did you decide to engage in this area of media analysis?

Mon travail de recherche se base sur l’étude de la construction étatique libanaise entre instabilités géopolitiques et changements socio-économiques. Je pense que j’ai pu établir un lien entre le blocage politique qui s’est accentué depuis 2004 provoquant une confessionnalisation accrue de la vie politique et le système médiatique structuré autour des médias largement confessionnels. Cela m’a amené à émettre l’hypothèse que la réforme du paysage médiatique est un passage obligé pour moderniser l’état.

2.) Can you give a brief history of the development of sectarian media in Lebanon? I'm thinking particularly about LBC and its development but perhaps describe the media in general as well...

Je ne crois pas qu’on peut donner une date précise de confessionnalisation des medias. Certains analystes de la région considèrent que le Liban n’a pas été conçu en tant qu’état, mais comme une mosaïque de groupes qui ont toujours essayé de protéger leurs acquis par une aide extérieure. Le développement des moyens de communication a permis aux divers groupes de créer leurs organes de presse qui sont devenus des groupes médiatiques importants. Si on prend la principale chaîne du Pays (en termes de valeur financière), la LBC, on s’aperçoit que loin de son discours qui prône l’objectivité, a toujours appartenu à une catégorie confessionnelle distincte, à savoir la communauté maronite et plus particulièrement les forces libanaises. La fusion de la chaîne avec le groupe Rotana, ne change pas trop la donne, puisque le clientélisme qui caractérise la structure socio-économique libanaise permets un renouvellement des effectifs sur une base confessionnelle, sans que toute fois remettre en question le fonctionnement du média. Cette analyse est également valable pour les médias appartenant au chef de la majorité parlementaire Saad Hariri : le quotidien Al-Mustaqbal et la chaîne Future TV défendent presque exclusivement les intérêts d’une partie de la communauté sunnite, à savoir les sympathisants du Courant de Futur. De même, la chaîne Al-Manar, propriété du Hezbollah, ne fait pas d’ambigüité sur sa mission de défendre les intérêts du parti de Dieu et plus largement de la communauté chiite.

3.) Describe the way that sectarianism undermines journalism in Lebanon?

Le confessionnalisme fait partie de la vie politique, sociale et économique du pays. On peut même parler des territoires libanais, où chaque territoire est dominé économiquement par un groupe ou une confession. Cette structure archaïque d’un pays qui se réclame à l’avant garde de la modernité dans la région, institutionnalise le clientélisme comme un mode de gestion des ressources humaines. Cela s’applique au journalisme, qui est au-delà d’être un métier come un autre, est un outil de Soft Power, qui permet de pérenniser le système. L’absence d’un code moderne capable de réguler le secteur de l’audiovisuel, et la quasi liquidation de la télévision publique sont des preuves irréfutables du sectarisme de l’audiovisuel libanais. La solution est à chercher dans une nouvelle loi qui impose une transparence dans l’attribution des chaînes et des médias en général et qui impose une diversification communautaire dans le conseil d’administration de chaque média. Bien entendu, cette conception est difficile à mettre en œuvre, elle nécessite le développement d’une société civile responsable, qui devrait imposer à l’exécutif des réformes draconiennes.

4.) With the headlines of civil war dominating Lebanese press, is the Lebanese press conscious of their role in driving potential warfare?

Je ne crois pas que la presse libanaise traditionnelle est consciente de sa manière de traiter l’information. D’ailleurs, je ne sais pas si on peut qualifier le contenu de la presse d’information ou de propagande. Je vous donne un exemple : parfois on entend un soit disant expert ou analyste venu décrypter une situation quelquonque, il s’avère être un militant d’un tel ou tel parti. Alexis de Tocqueville disait « les nations fatigués acceptent qu’on les dupent, pourvus qu’on les reposent ». Je crains que la classe politique libanaise, du moins à court terme, a réussi à diviser la société libanaise avec la bénédiction de la presse, qui ne fait aucun effort d’explication rationnelle. Les seules tentatives objectives sont celles du journalisme dit citoyen qui prolifère sur Internet, mais la faiblesse du réseau de télécommunication est une entrave à son développement.

5.) Have you interviewed or talked to various media-makers, and editors that are honest about trying to combat the perception of the bias in Lebanese press?

A ce stade de ma recherche, je n’ai pas encore contacté les acteurs de la presse libanaise, que ce soit les décideurs ou les journalistes. Mais en tant qu’observateur assidu de la presse et de la politique du pays de cèdres, je n’ai pas remarqué aucun effort de conciliation. Bien au contraire, tout est fait pour booster les stéréotypes : la presse qui soutient la majorité brandisse la menace d’un croissant chiite en oubliant que la communauté chiite est profondément ancrée dans l’histoire libanaise et ne peut en aucun cas être accusée de suivre aveuglement une prétendue géopolitique iranienne. D’un autre côté, la presse dite de l’opposition qualifie une partie des citoyens libanais comme acquis à l’idée d’un projet de remodelage du Moyen-Orient. Pour sortir de cette impasse, il est urgent de véhiculer un discours de cohésion nationale qui unissent les libanais. Les idées ne manquent pas, mais c’est la volonté des acteurs qui est la grande absente.

6.) Do journalists working for obvious sectarian-backed media outlets ever express guilt over what media critics call "biased" or "non-credible/objective" reporting? Why?

Je serais un peu dur avec mes concitoyens en affirmant qu’on a toujours refusé au Liban de faire une autocritique de notre propre histoire. L’exemple le plus marquant est l’occultation de dix-sept ans de guerre civile dont on a rejeté la responsabilité sur les autres. Pour répondre à votre question, les journalistes libanais trouvent toujours des justifications pour leurs analyses en utilisant des arguments puisée dans une littérature stratégique qui privilégie une analyse ethnocentrique, en oubliant au passage, un fait historique, celui de l’harmonie qui régnait entre les communautés libanaises pendant plusieurs siècles.

7.) How can media shape the role of national identity?

La télévision publique libanaise, seul media censé véhiculer une culture nationale, a été démantelée par les gouvernements successifs. Il est totalement improbable d’envisager que des médias communautaires puisse faire émerger une conscience nationale. Or, l’identité nationale libanaise existe, du moins sociologiquement. Les acteurs du paysage médiatique, s’ils ont la volonté, pourraient développer les ingrédients de cette identité collective. Avec le développement d’Internet, un grand espace a été récemment occupé par un journalisme dit citoyen, qui, de plus en plus, met en échec les médias traditionnels. Ce phénomène très visible en occident, commence à se développer au Moyen-Orient et particulièrement au Liban. On peut espérer que cette nouvelle forme du journalisme pourrait sérieusement modifier le caractère confessionnel du paysage médiatique libanais. De plus, la rupture qui s’opère entre les dirigeants et la population aura comme conséquence, à long terme, la création d’une société civile seule capable de moderniser l’état.

8.) Can "pan-Arab" media play the role of pushing local media to be more responsible with their local reporting?

Les chaînes satellitaires panarabes ont révolutionné le paysage médiatique de la région et ont bousculé plusieurs pratiques de journalisme, en exportant parfois des méthodes occidentales. Je pense particulièrement à certains journalistes d’Al-Jazeera qui ont commencé leurs carrières à la chaîne britannique BBC. Plusieurs journalistes libanais travaillent actuellement dans ces chaînes, certains d’entre eux avait déjà travaillé dans des médias libanais. On n’a pas assez d’éléments pour juger l’objectivité de ces journalistes, mais on peut constater une diversité d’opinion présente dans ces médias. Sociologiquement parlant, si ont se retrouve dans un milieu pluriculturel, on fait un effort d’adaptation et on accepte l’autre. Appliqué aux médias, cette conception pourra être bénéfique et contribuer à un changement dans le traitement de l’information. L’absorption des médias libanais par des groupes panarabes pourrait être une solution logique, à condition d’être accompagnée par une régulation de l’espace médiatique de la région garantissant l’expression libre de tous les groupes de population.

9.) What are the bright spots with regards to Lebanese media offerings?

La liberté de l’expression dont jouit la presse libanaise est une bonne chose pour la démocratie. Par contre, selon une phrase prononcée par un ancien Premier ministre, il y a au Liban trop de liberté et pas assez de démocratie. Quoiqu’il en soit, le Liban reste parmi les pays les plus ouverts de la région, en atteste la richesse de la presse écrite et audiovisuelle. Un autre trait significatif est la liberté de ton de plusieurs journalistes et acteurs médiatiques. Je pense particulièrement aux programmes humoristiques qui se moquent des politiques. Cette programmation unique dans son genre au niveau régional contribue relativement à la désacralisation de la classe politique. Enfin, la prolifération des sites Internet d’information confirme la volonté de l’émergence d’une laïcité laïcisée (selon les termes de l’historien Georges Corm) capable de faire entrer le pays dans la modernité.

10.) How will your research help to redefine the media landscape in Lebanon?

Mon travail de recherche est une tentative modeste pour sortir le pays de l’impasse. Un travail universitaire indépendant est nécessaire pour éliminer les stéréotypes communautaristes qui se développent dans le pays de cèdres. Le paysage médiatique libanais est directement lié à la question de l’identité nationale : faire évoluer les mentalités est un devoir de tout citoyen désirant la construction d’un état de droit digne de ce nom. Je ne promets pas de recettes miracles, mais le fait d’analyser objectivement l’histoire de mon pays et se remettre en question est un effort personnel qui contribue à l’édification d’une société démocratique. Reste à espérer qu’une majorité des libanais commence cet exercice pour sauver, avant qu’il soit trop tard, le pays de la désintégration.

mercredi 23 avril 2008

la communication politique ; enjeux et perspectives

- L’histoire de la communication politique
- La notion d’espace public et sa relation avec la communication politique
- Les acteurs de l'opinion publique
- Le fait politique : de l’information à la communication
- Les risques de la communication politique : le transfert de légitimité du politique au médiatique
- L’avenir de la communication politique
Le concept de communication politique
Une première conception réduisait la communication politique à la propagande ou à la communication électorale des partis politiques. Dans cette perspective, la communication politique se perçoit plus en termes de messages et d'attitudes que les politiques déploient en direction des citoyens.

Toutefois, avec le dépassement de la théorie de la « seringue hypodermique », le développement des moyens de communication de masse, de techniques de mesures de l'opinion, une plus grande part est accordée, non pas seulement aux messages délivrés, mais aussi et surtout à leur réception, en terme d'appropriation, d'indifférence ou de rejet. Dès lors, à côté de l'acteur politique, s'affirment de plus en plus, d'autres acteurs, comme les médias et le citoyen, à travers le concept d'opinion publique, mais aussi les spécialistes de disciplines diverses dont le rôle est, soit de mesurer l'opinion, à travers des sondages, soit d'orienter l'opinion publique dans un sens bien défini (spécialistes de la communication et du marketing politique).

Nous tenterons, sur la base d'une analyse sommaire du concept d'espace public auquel la communication politique est redevable, d'éléments d`explication des termes « communication » et « politique », de définir la communication politique.

La notion d’espace public et sa relation avec la communication politique

La notion d'espace public a été formalisée dans les années 60 par le philosophe allemand Jürgen Habermas (1978). L'espace public serait le cadre au sein duquel coexistent et interagissent les concepts d'Etat-social, de principe de publicité, d'opinion publique. Pour une explication détaillée de la communication politique, nous nous appuierons essentiellement sur les deux derniers, à savoir le principe de publicité et l'opinion publique.
a- Le principe de publicité
S'appuyant sur les travaux de Habermas, Alain Girod définit le principe de publicité comme le devoir qu'a l'état de rendre public, de faire connaître au public, ses actes, ses décisions, ses projets, ses délibérations, etc.…, soit directement, soit par l'intermédiaire de la presse, de façon à ce que les citoyens, dûment informés, puissent organiser un débat public dans lequel ils puissent faire publiquement usage de leur Raison.

En France, comme dans toute démocratie, le droit, pour les citoyens, d’accéder à l'information est une réalité. Elle est garantie par la Constitution. D'ailleurs, toutes les assemblées élues (Assemblée nationale, Conseil municipal, Conseil régional) garantissent le caractère public de la plupart de leurs séances.
b- L'opinion publique
La notion d'opinion publique est très complexe. Certains, comme Pierre Bourdieu considèrent qu'elle n'est qu'un « artefact » et qu'elle « n'existe pas ». D'autres, comme Habermas, pour l'avoir théorisée, ne sauraient la nier. Ce dernier, de l'opinion publique nous dit qu'elle revêt un sens différent selon qu'on la revendique en tant qu'instance critique face à la « publicité » imposée, corrélative de l'exercice du pouvoir politique et social.

Les acteurs de l'opinion publique
Les principales composantes de l'opinion publique sont : la société civile, comprenant les leaders d'opinion et les simples citoyens, les hommes politiques, les hommes des médias, les professionnels des sondages et les spécialistes en marketing et communication politique. Chacune de ces composantes a ses modes de pression, et d'expression.

a- Les hommes politiques
Les hommes politiques et leurs appareils structurés (les partis politiques) constituent l'une des composantes les plus importantes de l’opinion publique.
b- La société civile
La société civile regroupe l'ensemble des acteurs non engagés activement dans les logiques de conquête ou de conservation du pouvoir. Elle regroupe des organisations intervenant dans plusieurs domaines (développement, défense des droits de l'homme, défense des consommateurs), les citoyens apolitiques, les leaders d'opinion (dans les domaines associatifs, intellectuels, religieux etc.).
Les modes de communication de ces acteurs de la société civile sont divers et variés. Les organisations structurées (ONG, associations) développent une approche communicationnelle proche, en termes de supports de communication, de celle des partis politiques. En effet, elles utilisent les médias, les réunions, des campagnes d'information et de sensibilisation.
c- Les leaders d`opinion
Les leaders d’opinion sont constitués par les intellectuels, les responsables d'organisations associatives, les religieux etc.
d- Les médias
Les médias constituent un maillon stratégique dans le processus de constitution de l'opinion publique. Nous intéresserons ici principalement aux médias dits de « masse » avec une ouverture vers les Nouvelles Technologies de l'Information et de la Communication(NTIC).
e- Les citoyens
Les citoyens sont au centre du concept et des enjeux liés à l'opinion publique. Paradoxalement, ils sont ceux qui accèdent le moins aux moyens d'expression et d'influence dans le domaine de l'espace public. En dehors des élections, qui sont des modes d'expression indirecte, les citoyens s'exprimaient principalement dans l'espace public à travers divers mode de manifestation, de protestation ou de soutien liés, le plus souvent, à des événements qui touche directement leurs intérêts.
Mais avec les mutations démocratiques et médiatiques intervenues, de nouveaux canaux d'expression et de participation à l'espace public voient le jour.
Sur le plan médiatique, trois éléments nouveaux accroissent les possibilités d'expression des citoyens : le développement et la diversification des moyens d’information, l'aménagement, dans les médias existant, d'émissions, de programmes ou de rubriques réservés aux citoyens, et le développement des applications liées aux NTIC, notamment les sites d'information sur Internet.
Le fait politique : de l’information à la communication
Les deux mots : information et communication sont proches l’un de l’autre, pourtant du point de vue de l’analyse sociale, la différence entre les deux notions est importante. L’information se définit en elle-même, une certaine information est émise, transmise, reçue, mais nous hésitons à parler communication s’il n’y a que transmission, même aller et retour d’une information.
Cette définition cartésienne des deux conceptions cache le fait qu’il y a une certaine corrélation entre la communication et l’information. En effet, la communication n’existe pas sans une base minimale d’information, mais elle suppose une séparation de l’information et de son contexte. Au delà de ce premier constat, nous mettons un contenu plus fort dans l’idée de la communication. Celle-ci n’est pas possible s’il n’y a pas une compréhension mutuelle entre ceux qui échangent des informations et des interprétations.
Dans une économie et une information mondialisée, la première défense contre l’idéologie qui réduit la communication à l’information de masse est une réaction humaniste qui se nourrit de la reconnaissance des diversités des informations en créant une communication objective.
Les risques de la communication politique : le transfert de légitimité du politique au médiatique
En se méfiant de la communication dans sa forme publicitaire ou électorale, les hommes politiques n’ont fait que sacraliser l’image véhiculée par les médias. En se privant des moyens autonomes de communiquer, ils reconnaissent que la vraie campagne est ailleurs, c'est-à-dire dans les médias.
Jamais notre vie publique n’a été plus médiatique, jamais pourtant l’opinion n’a eu davantage le sentiment d’être si peu entendu. La société médiatique surinforme mais elle sous-communique. La communication nécessite d’établir une relation, de créer un échange.
La communication peut être collective pour une équipe municipale, un parti, un gouvernement. L’information, par sa personnalisation même, est un exercice souvent solitaire.
Plus rien d’autre ne compte que de s’inscrire dans l’ordre médiatique, dépositaire unique de l’existence publique. La communication rapproche l’émetteur des réalités puisqu’il faut bien prendre en compte l’autre, qu’il s’agisse d’une personne ou d’un groupe.
La crédibilité des partis censés concourir, dans notre démocratie, à l’expression du suffrage universel, s’effondre parce qu’ils renient cette fonction collective au bénéfice de parcours de plus en plus individuels, jalonnés de prestations médiatiques, généralement contradictoires les unes des autres.
La société toute entière semble entrée dans le poste de télévision pour caler son comportement sur les caractéristiques de l’image : instantané, émotionnelle, irrationnelle. Les pouvoirs nationaux se dévalorisent, et les formes d’appartenances traditionnelles s’effondrent.
Les journalistes ne font plus leurs métier d’informer, ils prennent en compte la stratégie des hommes politiques, qui choisissent le moment où ils parlent ou pas, avec ou contre qui, dans quel type d’émissions.
La politique ne resteras pas seule à l’écart du grand mouvement d’adaptation, de fluidité, de mobilité qui atteint l’économie, les marchés, la consommation, l’emploi. A ce titre, la communication quitte l’effet de mode pour devenir aujourd’hui un enjeu de société.

L’avenir de la communication politique
La communication politique met en scène un idéal politique explicite et assumé par les acteurs qui en sont porteurs dans l'exercice des médias et des processus de l'information et de l'échange avec les autres. Les formes et les stratégies de la communication politique visent toujours à faire partager à leurs destinataires les logiques institutionnelles de l'idéal politique dont elles se soutiennent.
La communication politique se situe par rapport à un horizon qui la rend intelligible et qui permet de comprendre les logiques auxquelles elle se réfère dans l'élaboration des discours et des images qu'elle diffuse dans l'espace public.
Structuré par notre inconscient, l'idéal politique est l'instance à laquelle nous nous référons pour comprendre et évaluer le fait politique, mais aussi pour formuler les projets politiques et les engagements auxquels nous adhérons dans nos pratiques sociales.

C'est par les formes et les pratiques de la communication que l'inconscient politique peut faire l'objet d'une connaissance et que, par conséquent, peuvent être pensées ses incidences sur la vie politique et institutionnelle. La communication politique, comme toutes les formes de communication et de représentation, donne une consistance symbolique effective, intelligible et transmissible, à l'idéal politique dont nous sommes porteurs, et qui oriente notre activité politique dans la société.

La communication politique joue, par rapport à l'idéal politique et à l'engagement, le rôle de la communication et du langage par rapport à notre inconscient singulier : elle le met en formes, et élabore les logiques par lesquelles nous pouvons nous l'approprier symboliquement et par lesquelles il est diffusé et transmis dans l'espace public.

lundi 21 avril 2008

Nicolas Sarkozy et l’Union pour la Méditerranée

Le président français, Nicolas Sarkozy, croit sincèrement à l’Union pour la Méditerranée et emploie toute son énergie pour la réalisation de ce projet. Quarante-trois chefs d’Etats et de gouvernements, représentant les pays candidats pour cette union, seront conviés à un sommet le 13 juillet 2008, et qui va probablement aboutir à une déclaration constituante de cette union. Pour donner une valeur symbolique à ce projet, il a été convenu de tenir cette conférence au Grand Palais, haut lieu de la capitale française construit en 1900, à l’occasion de l’exposition universelle.

Actuellement les préparatifs relatifs à ce projet sont pilotés, sous les regards attentifs du président de la République, dans le palais Marigny, par l’ambassadeur en charge du projet, Alain Leroy.

Qu’est-ce que l’Union pour la Méditerranée (UPM) ?
La Méditerranée se situe au cœur de la vision stratégique du nouvel exécutif français. Dans son discours de Tanger, le président français a même précisé que « la Méditerranée n’est pas le passé de l’Europe, mais son avenir ». En d’autres termes, il considère que la plupart des principaux problèmes européens ne peuvent être résolus que par une politique de concertation avec les pays du sud de la Méditerranée, ce qui l’a amené à effectuer des visites officielles à certains de ces pays.

La plupart des problèmes posés ont déjà été largement abordés : il s’agit du terrorisme, de l’immigration clandestine, des problématiques environnementales ainsi que des inégalités chroniques du PIB entre les deux rives. Plusieurs responsables politiques et chercheurs spécialistes de ces questions ont montré que la sécurité de l’Europe et son développement passe par une stabilisation politico-économique de ses voisins du Sud. Certains analystes, notamment ceux originaires des pays du Sud, ont reproché à l’Union européenne de délaisser sa frontière Sud en consacrant l’essentiel de son aide financière aux pays de l’ancien bloc de l’Est.

Au moment du lancement de l’idée, l’UPM a été critiquée par la chancelière allemande Angela Merkel, qui voyait dans le projet une politique de coopération renforcée excluant, de facto, les pays de l’union n’ayant pas de lien direct avec les états du sud de la Méditerranée. Ce différend franco-allemand a été résolu en intégrant dans le projet, la totalité des pays de l’Union européenne. L’UPM serait formée ainsi de quarante-trois pays dont la Jordanie et la Mauritanie, deux Etats non-riverains de la Méditerranée. La méfiance de la Turquie à l’égard de ce projet, considéré comme une barrière à son entrée dans l’Union européenne, a été relativement affaiblie. Elle a été associée à plusieurs grands projets économiques souhaités par le président français, Nicolas Sarkozy.

Les échecs de Barcelone

Le processus de Barcelone a été lancé en 1995 avec un objectif précis : utiliser l’aide publique européenne dans la résolution des conflits de la région du Proche-Orient et du Maghreb et mettre en place les bases d’une solution à l’épineuse question de l’immigration clandestine.
Loin d’atteindre ses objectifs, le processus de Barcelone n’a pas produit des effets significatifs. Certains milieux osés ont même qualifié le processus de tentative d’intégration maladroite. Quoi qu’il en soit, les raisons de cet échec sont à chercher dans la nature ambitieuse du projet et à cause de l’instabilité géopolitique de la région. L’échec de la conférence de Madrid en 1991, le blocage du traité d’Oslo en 1993, l’assassinat du Premier ministre israélien Yitzhak Rabin en 1995, la relance de l’Intifada en 2000, les événements tragiques du 11-Septembre 2001 et la guerre d’Irak en 2003 sont autant de facteurs de crises qui ont mis en échec un processus censé éradiquer ou, du moins, affaiblir les tensions politiques régionales.

Pour compléter ce schéma, il faut ajouter l’incapacité du Maroc et de l’Algérie à s’entendre sur la question du Sahara occidental, ainsi que la perception de l’opinion publique des pays de la rive Sud qui a vu dans le processus de Barcelone un énième outil de puissance de l’Union européenne, qui regroupe les anciens colonisateurs.

UPM : un renversement des objectifs
L’approche du président français s’avère réaliste ; il s’agit de renverser les objectifs de Barcelone. En d’autres termes, la stratégie française consiste à développer de grands projets économiques à forte valeur ajoutée, qui pourrait, à long terme, aboutir à une stabilisation politique.
La dépollution de la Méditerranée à l’horizon de 2020 figure en première place de la liste des programmes économiques étudiés qui contient aussi la construction d’une autoroute reliant Alexandrie à Tanger, accueillie très favorablement par l’Egypte. Par ailleurs, le gouvernement français est particulièrement attaché à la création d’un espace commun scientifique et universitaire. Enfin, la création d’une banque méditerranéenne et d’une agence de développement des petites et moyennes entreprises serait la matrice de cette nouvelle approche de coopération
Contrairement au processus de Barcelone, l’UPM devrait associer non seulement les gouvernements des pays riverains, mais aussi le secteur privé et les acteurs de la société civile. Selon l’éditorialiste britannique Patrick Seals, de multiples sources de financements sont à l’étude : les concepteurs du projet veulent associer les monarchies du Golfe, parallèlement à une participation des entreprises et des fonds communautaires européens.
Cette nouvelle coopération Euromed-Pays du Golfe donne au projet une finalité géopolitique : les concepteurs du projet, fidèle à l’héritage gaulliste de la politique étrangère française, espère à travers le développement économique, affaiblir les tensions politiques et jouer un rôle prépondérant dans la résolution des conflits du Proche-Orient. Cette approche stratégique est confirmée par les propos d’Alain Leroy, ambassadeur français en charge du dossier, dans le quotidien londonien panarabe, Al-Hayat : « les objectifs de l’UPM sont politiques, mais les motivations sont économiques. On ne peut pas attendre la résolution des conflits pour lancer des projets économiques, par contre, on peut espérer que la dynamique économique provoque une stabilité politique »
Le président français souhaite faire de l’Union pour la Méditerranée une des importantes réalisations de son quinquennat. La présidence française de l’Union européenne devrait nous montrer si la volonté politique pouvait transformer ce projet ambitieux en une réalité qui fera oublier les échecs du processus de Barcelone.

samedi 15 mars 2008

Sortir la presse libanaise de l'archaisme communautariste

Comment le communautarisme de mise au Liban se répercute sur la presse ? Dans quelle mesure, les médias dépassent-ils leurs penchants communautaristes pour ancrer le pays dans la modernité ? Quels rôles jouent internet et les organes de presse panarabes pour sortir le Liban de l'archaisme communautaire ? Voilà autant de questions auxquelles répond Jamil Abou Assi, blogueur libanais, doctorant et assistant de recherche stagiaire au bureau Moyen-Orient de Reporters Sans Frontières (RSF) dans un entretien exclusif, accordé à APN, où il porte un regard critique sur la scène médiatique de son pays. Il estime aussi que la presse communautariste pourrait bien prospérer dans le monde arabe faute d'un système politique adéquat dans la région.

APN : Vous estimez que le communautarisme de la société libanaise a un impact sur le paysage médiatique du pays.
Jamil Abou Assi : Les médias libanais sont, pour la plupart, financés par des partis politiques à l'exception du quotidien An Nahar. Assafir soutient le parti social nationaliste syrien (PSNS) même si ces éditorialistes feignent l'objectivité. Al-Akhbar, créé au lendemain de l'éclatement de la guerre de juillet 2006, reflète les vues du Hezbollah. Aucun media ne transcende ces communautés même si la plupart des organes de presse emploient des journalistes issus de ses diverses communautés et déploient tous des efforts dans ce sens. Les sunnites lisent Al Mustaqbal, les partisans de Michel Aoun lisent un site en ligne http://www.tayyar.org/, propriété du courant patriotique libre, le parti du Général Aoun. La chaîne NTV, d'obédience communiste, critique tout le monde et feint d'avoir un programme national mais reste clairement favorable à l'opposition libanaise. La ligne éditoriale est toujours dominée par les idées du courant ou du parti qui soutient le journal en question.Le fait que la chaîne de télévision nationale libanaise ne diffuse plus que des programmes des années 70 et 80, à la seule exception des bulletins d'informations, en dit long sur la prédominance des autres médias. La classe politique libanaise, constituée de partis ayant chacun leur organe de presse, refuse d'investir dans un projet national commun que pourrait être cette chaîne de télévision. Il est donc légitime de se demander s'il existe dans ce pays un réel projet national. Visiblement, la réponse est négative pour la classe politique.
APN : Quel rôle devrait jouer les médias dans ce contexte ?
JAA : Et c'est là que doivent néanmoins intervenir les médias dont le rôle est de véhiculer une culture nationale laïque puisque c'est la seule voie de sortie de la crise pour le pays or à ce jour, ils font tout le contraire.La solution serait de créer de nouveaux médias et à cet égard internet constitue une véritable aubaine. D'ailleurs, de plus en plus de sites contestent cet ordre médiatique au Liban. Je pense à Libnannews, yalibnan, iloubnan ou encore alalmana qui veulent sortir le pays du système communautaire archaïque pour l'ancrer dans la modernité.
APN : Le communautarisme que l'on observe dans le paysage médiatique libanais épargne-t-il les autres pays arabes ?
JAA : Ce phénomène se retrouve aussi en Irak où cohabitent des médias chiites, sunnites et kurdes. Dans les pays où coexistent plusieurs communautés religieuses ou confessionnelles, les médias communautaristes ont une bonne espérance de vie mais pas seulement. Avec la mondialisation et l'individualisation qu'elle renforce, où chacun réclame ses droits, il est probable que l'on assiste à une prolifération de médias communautaristes. Paradoxalement et parallèlement, sur le plan régional on assiste à l'émergence des médias panarabes qui, comme Al-Jazeera, ont intégré un personnel et des contenus reflétant les opinions des différentes communautés et nationalités. Ce modèle panarabe, malgré ses insuffisances, pourrait servir de base pour affaiblir graduellement le communautarisme, qui malheureusement prospère dans une région qui n'arrive pas à créer son propre système de régulation politique.
Jamil Abou Assi est l'auteur du blog http://www.strategicwatch.blogspot.com%20/

lundi 10 mars 2008

Le Général De Gaulle et le Proche-Orient

Conférence de presse du président de la république le Général Charles De Gaulle, le 27 novembre 1967:
L’établissement, entre les deux guerres mondiales, car il faut remonter jusque là, l’établissement d’un foyer sioniste en Palestine et puis, après la deuxième guerre mondiale, l’établissement d’un Etat d’Israël, soulevaient, à l’époque, un certain nombre d’appréhensions. On pouvait se demander, en effet, et on se demandait même chez beaucoup de juifs, si l’implantation de cette communauté sur des terres qui avaient été acquises dans des conditions plus ou moins justifiables et au milieu des peuples arabes qui lui étaient foncièrement hostiles, n’allait pas entraîner d’incessants, d’interminables frictions et conflits. Certains même redoutaient que les juifs, jusqu’alors dispersés, qui étaient restés ce qu’il avaient été de tout temps, un peuple d’élite, sûr de lui-même et dominateur, n’en viennent, une fois qu’ils seraient rassemblés dans le site de leur ancienne grandeur, à changer en ambition ardente et conquérante les souhaits très émouvants qu’ils formaient depuis dix-neuf siècles : l’an prochain à Jérusalem.

Cependant, en dépit du flot tantôt montant tantôt descendant des malveillances qu’ils provoquaient, qu’ils suscitaient plus exactement, dans certains pays et à certaines époques, un capital considérable d’intérêt et même de sympathie s’était accumulé en leur faveur, surtout, il faut bien le dire, dans la chrétienté ; un capital qui était issu de l’immense souvenir du Testament, nourri par toutes les source d’une magnifique liturgie, entretenu par la commisération qu’inspirait leur antique malheur et que poétisait chez nous la légende du Juif errant, accru par les abominables persécutions qu’ils avaient subies pendant la deuxième guerre mondiale, et grossi depuis qu’ils avaient retrouvé une patrie, par leurs travaux constructifs et le courage de leurs soldats. C’est pourquoi, indépendamment des vastes concours en argent, en influence, en propagande, que les Israéliens recevaient des milieux juifs d’Amérique et d’Europe, beaucoup de pays, dont la France, voyaient avec satisfaction l’établissement de leur Etat sur le territoire que leur avaient reconnu les Puissances, tout en désirant qu’ils parviennent, en usant d’un peu de modestie, à trouver avec leurs voisins un modus vivendi pacifique.

Il faut dire que ces données psychologiques avaient quelque peu changé depuis 1956, à la faveur de l’expédition franco-britannique de Suez on avait vu apparaître en effet, un Etat d’Israël guerrier et résolu à s’agrandir. Ensuite, l’action qu’il menait pour doubler sa population par l’immigration de nouveaux éléments, donnait à penser que le territoire qu’il avait acquis ne lui suffirait pas longtemps et qu’il serait porté, pour l’agrandir, à saisir toute occasion qui se présenterait. C’est pourquoi, d’ailleurs, la Vème République s’était dégagée vis-à-vis d’Israël des liens spéciaux et très étroits que le régime précédent avait noués avec cet Etat, et s’était appliquée au contraire à favoriser la détente dans le Moyen-Orient. Bien sûr, nous conservions avec le gouvernement israélien des rapports cordiaux et, même, nous lui fournissions pour sa défense éventuelle, les armements qu’il demandait d’acheter. Mais, en même temps, nous lui prodiguions des avis de modération, notamment à propos des litiges qui concernaient les eaux du Jourdain ou bien des escarmouches qui opposaient périodiquement les forces des deux camps. Enfin, nous nous refusions à donner officiellement notre aval à son installation dans un quartier de Jérusalem dont il s’était emparé et nous maintenions notre ambassade à Tel-Aviv.

Une fois mis un terme à l’affaire algérienne, nous avions repris avec les peuples arabes d’Orient la même politique d’amitié, de coopération qui avaient été pendant des siècles celle de la France dans cette partie du monde et dont la raison et le sentiment font qu’elle doit être aujourd’hui une des bases fondamentales de notre politique extérieure. Bien entendu, nous ne laissions pas ignorer aux Arabes que, pour nous, l’Etat d’Israël était un fait accompli et que nous n’admettrions pas qu’il fût détruit. De sorte qu’on pouvait imaginer qu’un jour viendrait où notre pays pourrait aider directement à ce qu’une paix fût conclue et garantie en Orient, pourvu qu’aucun drame nouveau ne vînt la déchirer.

Hélas ! Le drame est venu. Il avait été préparé par une tension très grande et constante qui résultait du sort scandaleux des réfugiés en Jordanie, et aussi d’une menace de destruction prodiguée contre Israël. Le 22 mai, l’affaire d’Aqaba, fâcheusement créée par l’Egypte, allait offrir un prétexte à ceux qui rêvaient d’en découdre. Pour éviter les hostilités, la France avait, dès le 24 mai, proposé aux trois autres grandes puissances d’interdire, conjointement avec elle, à chacune des deux parties d’entamer le combat. Le 2 juin, le gouvernement français avait officiellement déclaré, qu’éventuellement, il donnerait tort à quiconque entamerait le premier l’action des armes, et c’est ce que j’avais moi-même, le 24 mai dernier, déclaré à Monsieur Eban, ministre des Affaires étrangères d’Israël, que je voyais à Paris. “Si Israël est attaqué”, lui dis-je alors en substance, “nous ne le laisserons pas détruire, mais si vous attaquez, nous condamnerons votre initiative. Certes, malgré l’infériorité numérique de votre population, étant donné que vous êtes beaucoup mieux organisés, beaucoup plus rassemblés, beaucoup mieux armés que les Arabes, je ne doute pas que le cas échéant, vous remporteriez des succès militaires, mais ensuite, vous vous trouveriez engagés sur le terrain et au point de vue international, dans des difficultés grandissantes, d’autant plus que la guerre en Orient ne peut pas manquer d’augmenter dans le monde une tension déplorable et d’avoir des conséquences très malencontreuses pour beaucoup de pays, si bien que ce serait à vous, devenus des conquérants, qu’on en imputerait peu à peu les inconvénients.”

On sait que la voix de la France n’a pas été entendue. Israël, ayant attaqué, s’est emparé, en six jours de combat, des objectifs qu’il voulait atteindre. Maintenant, il organise sur les territoires qu’il a pris l’occupation qui ne peut aller sans oppression, répression, expulsions, et il s’y manifeste contre lui une résistance, qu’à son tour il qualifie de terrorisme. Il est vrai que les deux belligérants observent, pour le moment, d’une manière plus ou moins précaire et irrégulière, le cessez-le-feu prescrit par les Nations unies, mais il est bien évident que le conflit n’est que suspendu et qu’il ne peut y avoir de solution sauf par la voie internationale.

Un règlement dans cette voie, à moins que les Nations unies ne déchirent elles-mêmes leur propre charte, doit avoir pour base l’évacuation des territoires qui ont été pris par la force, la fin de toute belligérance et la reconnaissance réciproque de chacun des Etats en cause par tous les autres. Après quoi, par des décisions des Nations unies, en présence et sous la garantie de leurs forces, il serait probablement possible d’arrêter le tracé précis des frontières, les conditions de la vie et de la sécurité des deux côtés, le sort des réfugiés et des minorités et les modalités de la libre navigation pour tous, notamment dans le golfe d’Aqaba et dans le canal de Suez. Suivant la France, dans cette hypothèse, Jérusalem devrait recevoir un statut international. Pour qu’un tel règlement puisse être mis en oeuvre, il faudrait qu’il y eût l’accord des grandes puissances (qui entraînerait ipso facto celui des Nations unies) et, si un tel accord voyait le jour, la France est d’avance disposée à prêter sur place son concours politique, économique et militaire, pour que cet accord soit effectivement appliqué.
Mais on ne voit pas comment un accord quelconque pourrait naître non point fictivement sur quelque formule creuse, mais effectivement pour une action commune, tant que l’une des plus grandes des quatre ne se sera pas dégagée de la guerre odieuse qu’elle mène ailleurs. Car tout se tient dans le monde d’aujourd’hui. Sans le drame du Vietnam, le conflit entre Israël et les Arabes ne serait pas devenu ce qu’il est et si, demain, l’Asie du Sud-Est voyait renaître la paix, le Moyen-Orient l’aurait bientôt recouvrée à la faveur de la détente générale qui suivrait un pareil événement.

Retour sur l'assassinat d'Imad Mughniyeh à Damas

Près d'un mois après l'assassinat à Damas, dans la soirée du 12 février 2008, d’Imad Mughniyeh, cet acte suscite autant de questions sur la date, l’auteur, et les conséquences d’un attentat qui intervient dans une période marquée par des bouleversements stratégiques majeurs.
Il faut préciser que la personne en question a été sacralisée tant par ses alliés que ses détracteurs. Les Iraniens et le Hezbollah ont pleuré un martyr, tandis que les Américains et les Israéliens ont toujours vu en lui la preuve d’une alliance présumée entre le fondamentalisme sunnite et l’activisme religieux chiite, principalement iranien.
Le Mossad en accusation
Selon des sources israéliennes rapportées par le quotidien koweitien Al-Qabas, l’assassinat a été préparé et exécuté par des agents du Mossad, les services secrets israéliens, qui auraient remplacé le siège de la voiture de Mughniyeh en introduisant une charge explosive de forte intensité. Le quotidien koweitien a ajouté que l’attentat s’est produit à 22h33, a proximité d’une cérémonie organisée par l’ambassade iranienne à Damas, à l’occasion du 29ème anniversaire de la révolution khomeyniste. Les auteurs opérationnels de l’attentat seraient probablement trois agents de Mossad entrés en Syrie avec de faux passeports iraniens, concluait le journal dans son édition du 18 février 2008.

Quelque soit les commanditaires de cet assassinat, on ne peut que faire le lien entre cet assassinat et les bouleversements majeurs que vit la région, de la crise du nucléaire iranien au conflit israélo-palestinien en passant par le problème libanais, et sans oublier bien sûr le bourbier irakien. Il n’est pas exagéré de lier une personne comme Mughniyeh à cette équation complexe qui regroupe les grands problèmes d’une région qui peut changer le visage du monde comme l’a rappelé, François Heisbourg dans son dernier livre sur la crise du nucléaire iranien.
Selon Alain Rodier, chargé de recherche au centre français sur le renseignement, le "renard" (le surnom de Mughniyeh) est responsable de l’organisation, de la préparation ou de l’exécution d’une dizaine des opérations les plus spectaculaires qui ont secoués la région depuis les années 80. Il est cité comme le responsable de l’attaque contre l’immeuble Drakkar qui a causé la mort de 58 soldats français et 241 marines américains le 23 octobre 1983.
Que défendait aujourd'hui Mughniyeh?
Toujours selon Alain Rodier, la position récente de Mughniyeh est difficile à définir. En 2003-2004, il aurait été vu en Irak a côté de Moqtada Al-Sadr, le leader de l’armée du Mahdi, soutenue discrètement par Téhéran. Plus surprenant encore, en janvier 2006, il aurait été vu accompagner le président iranien à Damas et s’entretenir avec Bachar Al-Assad. Certains services de renseignement avancent même la possibilité d’une rencontre discrète avec des leaders palestiniens de mouvance islamiste et marxiste.

Sur les raison de l’attentat, le Jerusalem Post a rapporté l’analyse du Sunday Times, sur la base des sources de renseignements israéliens, qui expliquait que Mughniyeh était en train de préparer la riposte contre l’attaque israélienne du site militaire syrien en septembre dernier. Le journal britannique expliquait que Mughniyeh a pu fournir au Hezbollah des missiles "Fateh 110", de fabrication iranienne, capable d’atteindre Tel-Aviv.

Certains opposants iraniens voient, derrière cet assassinat, la main du général iranien Ali Reza Asghari, disparu mystérieusement en Turquie en février 2007. Les interpellations des diplomates iraniens à Erbil en janvier 2007, l’enlèvement d’un diplomate iranien à Bagdad le 20 février de la même année, ainsi que le retrait de Larijani du poste de négociateur du nucléaire avec l’UE, laissent croire que l’assassinat de Mughniyeh serait le fruit d’une collaboration d’un général ayant déserté, ancien chef opérationnel des gardiens de la révolution au Liban dans les années 80 et fin connaisseur du nucléaire iranien, et des services secrets occidentaux principalement la CIA, qui apportent un soutien logistique au Mossad, désigné comme l’auteur présumé de cet attentat.

Une rupture entre Damas et Téhéran?

Une autre hypothèse qu’on pourrait la qualifier de propagande anti-chiite avance l’idée d’une rupture qui s’opère entre la Syrie d’une part, et l’Iran et le Hezbollah d’autre part. Cette thèse basée sur l’existence d’une commission d’enquête mixte irano-syrienne avec la participation du Hezbollah a été démentie formellement par la Syrie. Une autre thèse qui va dans le même sens, circule sur des sites Internet hostiles au Hezbollah, avance un règlement de compte interne au sein du Hezbollah. Une dernière thèse qui reprend l’idée de la faillite de l’appareil sécuritaire syrien consiste à voir une similitude entre l’assassinat de Mughniyeh et l’arrestation du terroriste Carlos au Soudan au début des années 90.

Enfin, certains sites Internet avancent une thèse qu’on peut la juger de conspirationniste, selon laquelle la Syrie aurait acheté son réintégration à la communauté internationale en délivrant Mughniyeh aux services de renseignements israéliens. Malgré le manque de fiabilité de cette thèse, elle a été relativement renforcée par les propos de l’ancien vice président syrien Abd Al Halim Khaddam, qui a déclaré au journal londonien Al-Sharq Al-Awsat que l’attentat s’est produit dans une zone contrôlée par les services de sécurité syriens.

On voit de ce qu’il advient que l’assassinat de Mughniyeh pose plus de question qu’il rapporte des réponses. L’évolution du paysage stratégique de la région que ce soit au niveau libanais, iranien, irakien ou palestinien pourrait nous apprendre encore plus sur les conséquences de cet attentat. La réponse à la traditionnelle question "à qui profite le crime", nous rapporte des demi-réponses qui doivent être éclaircies à la lumière de l’évolution de la situation du Moyen-Orient, qui est revenu au cœur de la politique internationale, et risque, en l’absence d’une réelle volonté d’apaisement, d’être le terrain du premier acte d'une troisième guerre mondiale.