lundi 10 mars 2008

Retour sur l'assassinat d'Imad Mughniyeh à Damas

Près d'un mois après l'assassinat à Damas, dans la soirée du 12 février 2008, d’Imad Mughniyeh, cet acte suscite autant de questions sur la date, l’auteur, et les conséquences d’un attentat qui intervient dans une période marquée par des bouleversements stratégiques majeurs.
Il faut préciser que la personne en question a été sacralisée tant par ses alliés que ses détracteurs. Les Iraniens et le Hezbollah ont pleuré un martyr, tandis que les Américains et les Israéliens ont toujours vu en lui la preuve d’une alliance présumée entre le fondamentalisme sunnite et l’activisme religieux chiite, principalement iranien.
Le Mossad en accusation
Selon des sources israéliennes rapportées par le quotidien koweitien Al-Qabas, l’assassinat a été préparé et exécuté par des agents du Mossad, les services secrets israéliens, qui auraient remplacé le siège de la voiture de Mughniyeh en introduisant une charge explosive de forte intensité. Le quotidien koweitien a ajouté que l’attentat s’est produit à 22h33, a proximité d’une cérémonie organisée par l’ambassade iranienne à Damas, à l’occasion du 29ème anniversaire de la révolution khomeyniste. Les auteurs opérationnels de l’attentat seraient probablement trois agents de Mossad entrés en Syrie avec de faux passeports iraniens, concluait le journal dans son édition du 18 février 2008.

Quelque soit les commanditaires de cet assassinat, on ne peut que faire le lien entre cet assassinat et les bouleversements majeurs que vit la région, de la crise du nucléaire iranien au conflit israélo-palestinien en passant par le problème libanais, et sans oublier bien sûr le bourbier irakien. Il n’est pas exagéré de lier une personne comme Mughniyeh à cette équation complexe qui regroupe les grands problèmes d’une région qui peut changer le visage du monde comme l’a rappelé, François Heisbourg dans son dernier livre sur la crise du nucléaire iranien.
Selon Alain Rodier, chargé de recherche au centre français sur le renseignement, le "renard" (le surnom de Mughniyeh) est responsable de l’organisation, de la préparation ou de l’exécution d’une dizaine des opérations les plus spectaculaires qui ont secoués la région depuis les années 80. Il est cité comme le responsable de l’attaque contre l’immeuble Drakkar qui a causé la mort de 58 soldats français et 241 marines américains le 23 octobre 1983.
Que défendait aujourd'hui Mughniyeh?
Toujours selon Alain Rodier, la position récente de Mughniyeh est difficile à définir. En 2003-2004, il aurait été vu en Irak a côté de Moqtada Al-Sadr, le leader de l’armée du Mahdi, soutenue discrètement par Téhéran. Plus surprenant encore, en janvier 2006, il aurait été vu accompagner le président iranien à Damas et s’entretenir avec Bachar Al-Assad. Certains services de renseignement avancent même la possibilité d’une rencontre discrète avec des leaders palestiniens de mouvance islamiste et marxiste.

Sur les raison de l’attentat, le Jerusalem Post a rapporté l’analyse du Sunday Times, sur la base des sources de renseignements israéliens, qui expliquait que Mughniyeh était en train de préparer la riposte contre l’attaque israélienne du site militaire syrien en septembre dernier. Le journal britannique expliquait que Mughniyeh a pu fournir au Hezbollah des missiles "Fateh 110", de fabrication iranienne, capable d’atteindre Tel-Aviv.

Certains opposants iraniens voient, derrière cet assassinat, la main du général iranien Ali Reza Asghari, disparu mystérieusement en Turquie en février 2007. Les interpellations des diplomates iraniens à Erbil en janvier 2007, l’enlèvement d’un diplomate iranien à Bagdad le 20 février de la même année, ainsi que le retrait de Larijani du poste de négociateur du nucléaire avec l’UE, laissent croire que l’assassinat de Mughniyeh serait le fruit d’une collaboration d’un général ayant déserté, ancien chef opérationnel des gardiens de la révolution au Liban dans les années 80 et fin connaisseur du nucléaire iranien, et des services secrets occidentaux principalement la CIA, qui apportent un soutien logistique au Mossad, désigné comme l’auteur présumé de cet attentat.

Une rupture entre Damas et Téhéran?

Une autre hypothèse qu’on pourrait la qualifier de propagande anti-chiite avance l’idée d’une rupture qui s’opère entre la Syrie d’une part, et l’Iran et le Hezbollah d’autre part. Cette thèse basée sur l’existence d’une commission d’enquête mixte irano-syrienne avec la participation du Hezbollah a été démentie formellement par la Syrie. Une autre thèse qui va dans le même sens, circule sur des sites Internet hostiles au Hezbollah, avance un règlement de compte interne au sein du Hezbollah. Une dernière thèse qui reprend l’idée de la faillite de l’appareil sécuritaire syrien consiste à voir une similitude entre l’assassinat de Mughniyeh et l’arrestation du terroriste Carlos au Soudan au début des années 90.

Enfin, certains sites Internet avancent une thèse qu’on peut la juger de conspirationniste, selon laquelle la Syrie aurait acheté son réintégration à la communauté internationale en délivrant Mughniyeh aux services de renseignements israéliens. Malgré le manque de fiabilité de cette thèse, elle a été relativement renforcée par les propos de l’ancien vice président syrien Abd Al Halim Khaddam, qui a déclaré au journal londonien Al-Sharq Al-Awsat que l’attentat s’est produit dans une zone contrôlée par les services de sécurité syriens.

On voit de ce qu’il advient que l’assassinat de Mughniyeh pose plus de question qu’il rapporte des réponses. L’évolution du paysage stratégique de la région que ce soit au niveau libanais, iranien, irakien ou palestinien pourrait nous apprendre encore plus sur les conséquences de cet attentat. La réponse à la traditionnelle question "à qui profite le crime", nous rapporte des demi-réponses qui doivent être éclaircies à la lumière de l’évolution de la situation du Moyen-Orient, qui est revenu au cœur de la politique internationale, et risque, en l’absence d’une réelle volonté d’apaisement, d’être le terrain du premier acte d'une troisième guerre mondiale.

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