vendredi 25 avril 2008

Refléxions sur les médias libanais

Voici quelques reflexions que j'ai écris en réponse à une série de questions qui m'ont été posées en anglais sur la l'état des médias libanais. fournisseurs d'information ou diffuseurs de propagande? Malheureusement la distance entre les deux est tellement fine surtout dans un pays dominé par des médias communautaires. Petit tour d'horizon qui pourrait engager le débat pour une réforme en profondeur.
1.) Why did you decide to engage in this area of media analysis?

Mon travail de recherche se base sur l’étude de la construction étatique libanaise entre instabilités géopolitiques et changements socio-économiques. Je pense que j’ai pu établir un lien entre le blocage politique qui s’est accentué depuis 2004 provoquant une confessionnalisation accrue de la vie politique et le système médiatique structuré autour des médias largement confessionnels. Cela m’a amené à émettre l’hypothèse que la réforme du paysage médiatique est un passage obligé pour moderniser l’état.

2.) Can you give a brief history of the development of sectarian media in Lebanon? I'm thinking particularly about LBC and its development but perhaps describe the media in general as well...

Je ne crois pas qu’on peut donner une date précise de confessionnalisation des medias. Certains analystes de la région considèrent que le Liban n’a pas été conçu en tant qu’état, mais comme une mosaïque de groupes qui ont toujours essayé de protéger leurs acquis par une aide extérieure. Le développement des moyens de communication a permis aux divers groupes de créer leurs organes de presse qui sont devenus des groupes médiatiques importants. Si on prend la principale chaîne du Pays (en termes de valeur financière), la LBC, on s’aperçoit que loin de son discours qui prône l’objectivité, a toujours appartenu à une catégorie confessionnelle distincte, à savoir la communauté maronite et plus particulièrement les forces libanaises. La fusion de la chaîne avec le groupe Rotana, ne change pas trop la donne, puisque le clientélisme qui caractérise la structure socio-économique libanaise permets un renouvellement des effectifs sur une base confessionnelle, sans que toute fois remettre en question le fonctionnement du média. Cette analyse est également valable pour les médias appartenant au chef de la majorité parlementaire Saad Hariri : le quotidien Al-Mustaqbal et la chaîne Future TV défendent presque exclusivement les intérêts d’une partie de la communauté sunnite, à savoir les sympathisants du Courant de Futur. De même, la chaîne Al-Manar, propriété du Hezbollah, ne fait pas d’ambigüité sur sa mission de défendre les intérêts du parti de Dieu et plus largement de la communauté chiite.

3.) Describe the way that sectarianism undermines journalism in Lebanon?

Le confessionnalisme fait partie de la vie politique, sociale et économique du pays. On peut même parler des territoires libanais, où chaque territoire est dominé économiquement par un groupe ou une confession. Cette structure archaïque d’un pays qui se réclame à l’avant garde de la modernité dans la région, institutionnalise le clientélisme comme un mode de gestion des ressources humaines. Cela s’applique au journalisme, qui est au-delà d’être un métier come un autre, est un outil de Soft Power, qui permet de pérenniser le système. L’absence d’un code moderne capable de réguler le secteur de l’audiovisuel, et la quasi liquidation de la télévision publique sont des preuves irréfutables du sectarisme de l’audiovisuel libanais. La solution est à chercher dans une nouvelle loi qui impose une transparence dans l’attribution des chaînes et des médias en général et qui impose une diversification communautaire dans le conseil d’administration de chaque média. Bien entendu, cette conception est difficile à mettre en œuvre, elle nécessite le développement d’une société civile responsable, qui devrait imposer à l’exécutif des réformes draconiennes.

4.) With the headlines of civil war dominating Lebanese press, is the Lebanese press conscious of their role in driving potential warfare?

Je ne crois pas que la presse libanaise traditionnelle est consciente de sa manière de traiter l’information. D’ailleurs, je ne sais pas si on peut qualifier le contenu de la presse d’information ou de propagande. Je vous donne un exemple : parfois on entend un soit disant expert ou analyste venu décrypter une situation quelquonque, il s’avère être un militant d’un tel ou tel parti. Alexis de Tocqueville disait « les nations fatigués acceptent qu’on les dupent, pourvus qu’on les reposent ». Je crains que la classe politique libanaise, du moins à court terme, a réussi à diviser la société libanaise avec la bénédiction de la presse, qui ne fait aucun effort d’explication rationnelle. Les seules tentatives objectives sont celles du journalisme dit citoyen qui prolifère sur Internet, mais la faiblesse du réseau de télécommunication est une entrave à son développement.

5.) Have you interviewed or talked to various media-makers, and editors that are honest about trying to combat the perception of the bias in Lebanese press?

A ce stade de ma recherche, je n’ai pas encore contacté les acteurs de la presse libanaise, que ce soit les décideurs ou les journalistes. Mais en tant qu’observateur assidu de la presse et de la politique du pays de cèdres, je n’ai pas remarqué aucun effort de conciliation. Bien au contraire, tout est fait pour booster les stéréotypes : la presse qui soutient la majorité brandisse la menace d’un croissant chiite en oubliant que la communauté chiite est profondément ancrée dans l’histoire libanaise et ne peut en aucun cas être accusée de suivre aveuglement une prétendue géopolitique iranienne. D’un autre côté, la presse dite de l’opposition qualifie une partie des citoyens libanais comme acquis à l’idée d’un projet de remodelage du Moyen-Orient. Pour sortir de cette impasse, il est urgent de véhiculer un discours de cohésion nationale qui unissent les libanais. Les idées ne manquent pas, mais c’est la volonté des acteurs qui est la grande absente.

6.) Do journalists working for obvious sectarian-backed media outlets ever express guilt over what media critics call "biased" or "non-credible/objective" reporting? Why?

Je serais un peu dur avec mes concitoyens en affirmant qu’on a toujours refusé au Liban de faire une autocritique de notre propre histoire. L’exemple le plus marquant est l’occultation de dix-sept ans de guerre civile dont on a rejeté la responsabilité sur les autres. Pour répondre à votre question, les journalistes libanais trouvent toujours des justifications pour leurs analyses en utilisant des arguments puisée dans une littérature stratégique qui privilégie une analyse ethnocentrique, en oubliant au passage, un fait historique, celui de l’harmonie qui régnait entre les communautés libanaises pendant plusieurs siècles.

7.) How can media shape the role of national identity?

La télévision publique libanaise, seul media censé véhiculer une culture nationale, a été démantelée par les gouvernements successifs. Il est totalement improbable d’envisager que des médias communautaires puisse faire émerger une conscience nationale. Or, l’identité nationale libanaise existe, du moins sociologiquement. Les acteurs du paysage médiatique, s’ils ont la volonté, pourraient développer les ingrédients de cette identité collective. Avec le développement d’Internet, un grand espace a été récemment occupé par un journalisme dit citoyen, qui, de plus en plus, met en échec les médias traditionnels. Ce phénomène très visible en occident, commence à se développer au Moyen-Orient et particulièrement au Liban. On peut espérer que cette nouvelle forme du journalisme pourrait sérieusement modifier le caractère confessionnel du paysage médiatique libanais. De plus, la rupture qui s’opère entre les dirigeants et la population aura comme conséquence, à long terme, la création d’une société civile seule capable de moderniser l’état.

8.) Can "pan-Arab" media play the role of pushing local media to be more responsible with their local reporting?

Les chaînes satellitaires panarabes ont révolutionné le paysage médiatique de la région et ont bousculé plusieurs pratiques de journalisme, en exportant parfois des méthodes occidentales. Je pense particulièrement à certains journalistes d’Al-Jazeera qui ont commencé leurs carrières à la chaîne britannique BBC. Plusieurs journalistes libanais travaillent actuellement dans ces chaînes, certains d’entre eux avait déjà travaillé dans des médias libanais. On n’a pas assez d’éléments pour juger l’objectivité de ces journalistes, mais on peut constater une diversité d’opinion présente dans ces médias. Sociologiquement parlant, si ont se retrouve dans un milieu pluriculturel, on fait un effort d’adaptation et on accepte l’autre. Appliqué aux médias, cette conception pourra être bénéfique et contribuer à un changement dans le traitement de l’information. L’absorption des médias libanais par des groupes panarabes pourrait être une solution logique, à condition d’être accompagnée par une régulation de l’espace médiatique de la région garantissant l’expression libre de tous les groupes de population.

9.) What are the bright spots with regards to Lebanese media offerings?

La liberté de l’expression dont jouit la presse libanaise est une bonne chose pour la démocratie. Par contre, selon une phrase prononcée par un ancien Premier ministre, il y a au Liban trop de liberté et pas assez de démocratie. Quoiqu’il en soit, le Liban reste parmi les pays les plus ouverts de la région, en atteste la richesse de la presse écrite et audiovisuelle. Un autre trait significatif est la liberté de ton de plusieurs journalistes et acteurs médiatiques. Je pense particulièrement aux programmes humoristiques qui se moquent des politiques. Cette programmation unique dans son genre au niveau régional contribue relativement à la désacralisation de la classe politique. Enfin, la prolifération des sites Internet d’information confirme la volonté de l’émergence d’une laïcité laïcisée (selon les termes de l’historien Georges Corm) capable de faire entrer le pays dans la modernité.

10.) How will your research help to redefine the media landscape in Lebanon?

Mon travail de recherche est une tentative modeste pour sortir le pays de l’impasse. Un travail universitaire indépendant est nécessaire pour éliminer les stéréotypes communautaristes qui se développent dans le pays de cèdres. Le paysage médiatique libanais est directement lié à la question de l’identité nationale : faire évoluer les mentalités est un devoir de tout citoyen désirant la construction d’un état de droit digne de ce nom. Je ne promets pas de recettes miracles, mais le fait d’analyser objectivement l’histoire de mon pays et se remettre en question est un effort personnel qui contribue à l’édification d’une société démocratique. Reste à espérer qu’une majorité des libanais commence cet exercice pour sauver, avant qu’il soit trop tard, le pays de la désintégration.

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