Malgré une médiatisation du dossier du nucléaire iranien et l’importance de la question religieuse chiite dans l’avenir du Moyen-Orient, une radiographie globale du chiisme intégrant l’Asie centrale et l’Asie du sud est nécessaire afin de confirmer ou non la réalité de l’existence d’un arc chiite regroupant toutes les tendances politico-religieuses de cette branche de la religion musulmane.
L’instabilité dans l’Asie centrale et l’Asie du sud ne portant pas un caractère essentiellement religieux, la question chiite dans ces régions doit être abordée sous l’angle de la politique étrangère iranienne. En effet, la politique étrangère iranienne en Asie centrale est décisive. Elle représente deux des cinq piliers de la politique régionale développée par l’Iran, les trois autres étant le Golfe persique, le Moyen-Orient arabe et le sous-continent indien.
Placée sur la sellette par le dossier nucléaire, la République islamique mise sur l’amitié développée, au gré de sa politique étrangère, avec certains alliés stratégiques, Russie et Chine en tête. Partenaires traditionnels de Téhéran munis d’un droit de veto à l’ONU, ces deux pays exhortent le régime iranien à coopérer avec la communauté internationale. Pourtant, Moscou et Pékin restent réticents à toute forme de sanctions à l’encontre de l’Iran. La raison est bien évidemment à chercher dans les accords militaires, commerciaux ou stratégiques qui nouent la République islamique à ses partenaires russe et chinois. Une coopération renforcée qui n’est pas sans déplaire à Washington, qui n’a pas manqué d’appeler le 21 avril 2006, par la voix de son sous-secrétaire d’Etat Nicolas Burns, la Russie à appliquer un embargo sur les ventes d’armes à l’Iran, si Téhéran ne renonce pas à son programme d’armement nucléaire.
Parmi les multiples directions de la politique régionale de la République islamique, il y a bien sûr le Moyen-Orient arabe et particulièrement l’Irak, pays voisin pour le meilleur et pour le pire. L’instable Etat irakien occupe une place centrale dans l’échiquier diplomatique de Téhéran. Si, de la chute de Saddam Hussein jusqu’à l’élection d’Ahmadinejad, il y avait un double, voire un triple jeu iranien qui consistait à financer en Irak une chose et son contraire, à condition que ce soit chiite, le constat en Iran même de l’impasse de la politique confessionnaliste menée par l’ayatollah Sistani et l’émergence d’Ahmadinejad ont changé la donne. Aujourd’hui, le jeune chef radical chiite Moqtada al-Sadr, dont le parti s’est imposé aux termes des élections irakiennes du 15 décembre dernier, est devenu un enjeu majeur de la politique irakienne de Téhéran.
S’agissant de l’Azerbaïdjan, si les trois rencontres au sommet, en 2005, entre le président azerbaïdjanais Ilham Aliev et son homologue iranien ont signé une coopération plus étroite et irréfutable entre l’Iran et l’Azerbaïdjan, les deux pays restent profondément divisés, notamment sur le statut de la Caspienne. Une mésentente cordiale qui tranche avec l’amitié à contre-courant qui lie Téhéran à Erevan la catholique, plus qu’à Bakou la chiite.
Plus au nord encore, côté russe, l’entente stratégique entre l’Iran et la Russie, fondée sur des intérêts convergents et caractérisée par une asymétrie de puissance, permet à Moscou de ne pas s’engager systématiquement aux côtés de Téhéran et de jouer un rôle ambivalent. Toutefois, la République islamique dispose d’arguments de poids à avancer sur la table des discussions bilatérales, en cas de différends, à savoir la coopération militaire et nucléaire civile, mais aussi la contribution iranienne à la stabilité régionale caucasienne et centrasiatique.
En Asie centrale justement, le Tadjikistan n’est pas indifférent à Téhéran. Avec l’élection d’Ahmadinejad, on pouvait craindre à Douchanbe que l’essor actuel de la coopération bilatérale entre les deux pays ne soit compromis par le retour d’une politique idéologique militante de la part de la République islamique. Sept mois plus tard, les doutes étaient dissipés tandis que le président tadjik Emomali Rahmonov effectuait une visite officielle à Téhéran. Une visite qui semble confirmer la tendance au rapprochement entre les deux républiques persanophones.
Plus à l’est, la Chine, importatrice nette de pétrole, s’est imposée en quelques années comme un partenaire central pour l’Iran. Les deux républiques, l’une populaire, l’autre islamique, ont joué la carte du commerce bilatéral (9,5 milliards de dollars en 2005). En développant ses liens économiques avec Pékin, le régime iranien a aussi cherché à s’assurer le soutien politique de la Chine et à s’abriter sous son parapluie diplomatique. Mais ce dernier n’est en aucune manière infaillible.
Concernant le réchauffement récent des relations entre New Delhi et Téhéran, qui n’a pas manqué d’attirer l’attention, voire les foudres de Washington, il ne doit pas faire éclipser le dossier du nucléaire iranien qui plane comme une épée de Damoclès sur la coopération indo-iranienne.
Voisin direct, le Pakistan n’en finit pas, lui, de susciter l’inquiétude de Téhéran. Au lendemain de la visite du président américain George W. Bush au Pakistan les 3 et 4 mars 2006, l’ambassadeur pakistanais en Iran avait bien qualifié les relations entre le Pakistan et l’Iran d’« excellentes, fraternelles et spéciales ». Mais cette déclaration n’a pourtant pas suffi à dissiper la méfiance mutuelle entre les deux pays. Sur le plan intérieur pakistanais, la communauté chiite minoritaire dans le pays a fait la une de l’actualité : lors d’un affrontement entre des groupes sunnites et chiites pour le contrôle d’un mausolée de la zone tribale d’Orakzai, dans le nord-ouest du Pakistan le 7 octobre 2006, Sayyed Qabool Shah, un haut dignitaire chiite, a été tué par deux assaillants dans la Province-Frontière du Nord-Ouest (NWFP, Pakistan), a rapporté la chaîne privée "Geo TV".
La politique étrangère iranienne en Asie s’apparente plus à un réalisme stratégique qu’à une exportation de la révolution islamique, la thèse de l’arc chiite perd de fiabilité en raison de la complexité des relations internationales et plus particulièrement des relations entre l’Iran et son environnement stratégique. De plus, comme toutes les composantes de l’islam, le chiisme, loin d’être homogène, est structuré selon des schémas sociopolitiques propres à chaque pays ou groupe.
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