dimanche 19 septembre 2010
Les druzes israéliens
mardi 10 novembre 2009
Les dessous de la formation d'un gouvernement au Liban
Depuis la fin des élections législatives libanaises en juin dernier, remportée numériquement par le mouvement du 14 mars, mais consacrant dans la réalité une représentation communautaire équitable à l'exception des partis chrétiens, les principales forces politiques du pays ont passé cinq mois de discussions, qui devront aboutir rapidement à la formation d'un gouvernement d'union nationale.
Cette heureuse issue serait due à un accord entre le Premier ministre désigné, Saad Hariri et le Courant Patriotique Libre de Michel Aoun. Ce dernier parait le grand gagnant de ce long bras de fer qui a opposé majorité et opposition : Malgré sa semi-défaite aux législatives de juin, il représente électoralement une majorité relative des chrétiens Libanais.
L'inexistence d'une majorité parlementaire
Les élections législatives libanaises, en dépit du caractère confessionnel de la représentation parlementaire, se sont tenues sur la base d'une confrontation entre majorité, incarnée par le mouvement du 14 mars qui regroupe principalement le Courant du Futur de Saad Hariri, le Parti Socialiste Progressiste de Walid Joumblattainsi que le groupe chrétien Kornet Chehwane (ensemble hétérogène chrétien regroupant en plus de quelques personnalités indépendantes, les Forces Libanaises de Samir Geagea et les Phalanges de Amine Gémayel) et l'opposition incarnée par le tandem chiite Hezbollah-Amal et le Courant Patriotique Libre du Général Michel Aoun. Le résultat des élections qui se sont tenues sur la base de la petite circonscription du canton a été soldé sur une légère avancée du mouvement du 14 Mars.
Cette victoire relative n'a pas permis pour autant à la majorité de former un gouvernement : le Liban, qui est considéré comme une démocratie confessionnelle, est géré par une politique de consensus. Aucune formation politique n'a pu imposer un système hégémonique au détriment des autres forces politiques.
Deux exemples contemporains illustrent cette spécificité : Le premier exemple concerne la stratégie des Forces Libanaises, qui ont essayé, dans les années 80, avec l'aide d'Israël, de créer un État protégé par une puissance régionale. Cette entreprise hégémonique a été l'une des causes de la perpétuation de la guerre civile libanaise.
L'autre exemple, plus récent et plus ambigu, concerne la gestion du pays par le mouvement du « 14 Mars » sans prendre en compte les aspirations et les craintes d'une partie de la population : il s'agit de la manière dont la majorité parlementaire a essayé, depuis 2005, avec le soutien des occidentaux, d'imposer l'application de larésolution 1559, notamment son volet concernant le désarmement du bras armé du Hezbollah.
Cette hégémonie relative, n'a pas seulement échoué : elle a provoqué des tensions communautaires qui ont culminé dans un conflit armé qui a failli provoquer une guerre intercommunautaire. La conséquence principale de la mini guerre civile de mai 2008, à laquelle les accords de Doha ont mis fin, a été une restructuration des forces politiques du pays avec une fragmentation de la majorité parlementaire, qui malgré sa victoire, a perdu son principal pilier druze, Walid Joumblatt, au lendemain des législatives de juin 2009.
En effet, le leader druze, connu pour sa stratégie de changement d'alliance en fonction de la situation géopolitique régionale et internationale, a quitté progressivement la majorité en adoptant un discours consensuel au niveau national et hostile à Israël.
D'un autre côté, malgré un échec relatif, le Courant Patriotique Libre reste la première force politique chrétienne, ce qui prive la majorité d'une base populaire intercommunautaire. Réduite à sa composante sunnite, la majorité parlementaire est en réalité une force communautaire, incapable, à elle seule, de faire fonctionner le système libanais
La nécessité d'un gouvernement d'union nationale
Avec dix-huit communautés confessionnelles, le Liban ne peut être géré que par un consensus entre les communautés qui le composent. Ce système de gouvernance, caractérisé par un clientélisme économique et une souveraineté limitée, a, depuis toujours, favorisé l'ingérence et l'influence des puissances régionales et internationales. Pour que la classe politique libanaise accepte l'idée d'un gouvernement d'union nationale, il a fallu une entente régionale et internationale entre les puissances dominantes qui règlent leurs litiges sur un hinterland, le Liban.
La rencontre entre le roi Abdallah d'Arabie Saoudite et le président syrien Bachar El Assad a permis un réchauffement des relations entre le Courant du Futur et le Hezbollah. De plus, le rapprochement entre la Turquie (alliée des États-Unis) et la Syrie a entrainé l'affaiblissement des tendances les plus hostiles à la participation du Hezbollah à un gouvernement d'union nationale.
Mais cette problématique géopolitique ne doit pas faire oublier les difficultés locales d'une entente commune sur un projet national. La classe politique, communautaire et néo-féodale, reproduit, depuis la création de l'entité libanaise, une confédération des communautés qui empêche la formation d'une société civile, seule capable d'édifier un État.
Le refus de reconnaître le poids grandissant du Courant Patriotique Libre réside dans l'incapacité des formations traditionnelles d'accepter un parti, qui a été construit par des dynamiques sociopolitiques contemporaines sans aucun prolongement historique avec l'ancienne bourgeoisie chrétienne.
En reconnaissant le poids politique et électoral du Général Aoun, par la conclusion d'un accord avec lui, le Premier ministre désigné a ouvert la voix à la formation d'un gouvernement d'union nationale.
Le gouvernement libanais : un conseil représentatif des communautés
Malgré la volonté des politiciens libanais de créer un gouvernement d'union nationale, le Futur nouveau né ressemble plus à un conseil intercommunautaire qu'à un gouvernement. En regardant l'organigramme prévisionnel du gouvernement, paru dans la presse libanaise, on s'aperçoit qu'il est formé par des personnalités politiques représentant des pouvoirs communautaires qui influencent largement le pouvoir exécutif sans pour autant l'intégrer. L'État, qui est censé avoir la légitimité de la violence, est prisonnier des chefs communautaires qui affaiblissent la notion de l'État et le réduit à la fonction de gestionnaire du consensus.
On ne sait pas encore quelles seraient la fonction et les réalisations de ce nouveau gouvernement, mais il sera confronté à des questions qui dépassent largement la gestion d'un pays et poserait la question du Liban en tant qu'État.
mercredi 9 septembre 2009
Les médias libanais : entre confessionnalisme et recherche de crédibilité
Médias communautaires et liberté de la presse: le communautarisme comme menace pour la liberté d’expression
La liberté d’expression dont jouit la presse libanaise est une bonne chose pour la démocratie. Par contre, comme l’a si bien dit l’ancien Premier Ministre, Selim El-Hoss : « Il y a au Liban trop de liberté et pas assez de démocratie ». Quoiqu’il en soit, le Liban compte toujours au rang des pays les plus ouverts de la région. En atteste notamment la richesse de sa presse écrite et son audiovisuel. Un autre trait significatif est la liberté de ton de plusieurs journalistes et acteurs médiatiques. Pensons particulièrement aux programmes humoristiques qui se moquent des politiques. Cette programmation, unique dans son genre au niveau régional, contribue, même si de façon relative, à la désacralisation de la classe politique.
[1] Alliance de 14-Mars : Actuellement majorité parlementaire à l’Assemblée Nationale, c’est un groupe hétéroclite formé par des forces politiques hostile à la Syrie. La coalition a œuvré pour l’application de la résolution 1559, en concentrant sa stratégie sur la fin de l’ingérence syrienne et le désarmement du Hezbollah. Le discours anti-syrien de ce groupe politique a largement influencé la ligne éditoriale des médias qui ont adopté sa cause.
[2] Al-Akhbar : Créé par l’ancien éditorialiste du quotidien Assafir, feu Joseph Samaha au lendemain du déclenchement de la guerre de juillet 2006 entre Israël et le Hezbollah, il est considéré comme un quotidien d’opposition, particulièrement proche du Hezbollah.
[3] Le chehabisme : c’est la période du mandat de l’ancien président Fouad Chéhab (1958-1964), qui a appliqué le concept de neutralité positive en matière de politique étrangère tout en introduisant des réformes politiques et sociales qui ont permis au pays de connaître, sous son mandat, une stabilité politique et une croissance économique.
[4] Consensus américano-syrien : Accord tacite entre une puissance régionale (la Syrie) et une autre internationale (les Etats-Unis) qui a permis à la Syrie, en contre partie de sa participation à la guerre du Golfe (1991) de garder une tutelle sur le pays de cèdre, notamment sur sa politique étrangère. Ce consensus qui a mis fin à la guerre civile libanaise, a été rompu par l’adoption de la résolution 1559 du conseil de sécurité de l’ONU.
[5] Murr TV(MTV) : Propriété de Gabriel El-Murr, frère et adversaire du député du Metn (région Mont Liban), candidat malheureux aux législatives partielles de 2002, sa victoire a été annulée et sa chaîne (MTV) a été fermée par une décision administrative. Six ans après, c’est un amendement parlementaire qui va permettre à la chaîne de réémettre à Partir de 31 mars 2009.
[6] Résolution 1559 : Adoptée le 2 septembre 2004 par le Conseil de sécurité de l’ONU, elle stipulait le retrait de toutes les troupes étrangères du pays, le désarmement de toutes les milices et l’organisation des élections présidentielles hors de toute ingérence étrangère.
[7] Les Phalanges libanaises : Créé en 1936 par Pierre Gemayel, le parti était jusqu’au début des années 70 le principal parti chrétien. Traditionnellement proche du pouvoir en place, il a été affaibli durant et après la guerre civile de 1975. Actuellement, il est membre de la coalition de 14-Mars et affiche clairement son hostilité à la Syrie.
[8] Les Forces Libanaises : Affaibli dans les années 90, il a émergé sur la scène chrétienne grâce à la libération de son chef Samir Gaagaa qui a intégré la coalition du 14-Mars et qui a fait du parti le principal opposant a son rival de toujours Michel Aoun.
[9] Mini-guerre civile libanaise : déclenché à la suite de la décision du Conseil des ministres libanais de licencier le chef de sécurité de l’aéroport de Beyrouth (proche du Hezbollah), elle a duré une quinzaine de jours durant lesquels des heurts ont été éclatés entre sunnites et chiites et chiites et druzes dans plusieurs régions du pays, elle a été arrêtée grâce à la signature , le 25 mai 2008, des accords de Doha, qui ont permis l’élection d’un nouveau Président de la République.
vendredi 15 mai 2009
Les druzes, une minorité électoralement visible
mercredi 11 juin 2008
Le processus décisionnel de la politique nucléaire iranienne
Qui détient le pouvoir décisionnel du dossier nucléaire dans l’exécutif iranien ? Pour répondre à cette question, il faut analyser les capacités de négociation des responsables iraniens et étudier le fonctionnement du conseil de sécurité nationale, qui est depuis 2003, le principal interlocuteur de la communauté internationale sur l’épineux dossier du nucléaire.
Quoiqu’il en soit, le dossier nucléaire montre l’ambition de la république islamique à jouer un rôle considérable sur la scène régionale. Il résume à lui seul, les principales occupations de la communauté internationale vis-à-vis de l’Iran.
La stratégie adoptée par le tandem Ahmadinejad-Larijani, et depuis la démission de Larijani, par son successeur Saïd Jalili ne présente pas un changement avec celle de leurs prédécesseurs Khatami-Rohani, ni même une rupture liée à des aspects idéologiques, mais plutôt une continuité dont les modifications ont été dictées par la nouvelle donne stratégique dont a bénéficié la république islamique avec l’élimination de ses deux principaux ennemis : Saddam Hussein et les Talibans.
L’environnement stratégique de l’Iran a été le théâtre de changements politiques majeurs : Cinq états ont été créés à la frontière nord du pays avec la disparition de l’Union Soviétique au début des années 90. De plus, la guerre contre les Talibans déclenchée au lendemain du 11 septembre, suivi de la guerre d’Irak ont changé radicalement le dessein stratégique de l’environnement de la république islamique.
Malgré cette nouvelle donne, et la capacité de la diplomatie iranienne de profiter des contradictions géopolitiques, l’expérience de négociation du pouvoir en place reste limitée. En effet, l’histoire de la toute jeune république islamique dans les négociations internationales se limite à deux cas : les négociations indirectes avec Washington suite à la prise d’otage à l’ambassade américaine à Téhéran en 1980, et les pourparlers avec l’ancien régime irakien en 1988 après la fin de la guerre irano-irakienne.
Pour cela, les négociations entre l’Iran et l’UE3 (Royaume-Uni, Allemagne et France) peuvent être considérées comme l’expérience de négociation la plus importante de l’histoire de l’Iran révolutionnaire. Elles contraignent les dirigeants iraniens d’entamer une procédure de négociation plutôt complexe. C’est cette procédure qui intègre des aspects techniques, sécuritaires, politiques et stratégiques qui a provoqué des divergences entre le ministère des affaires étrangères et l’agence iranienne de l’énergie atomique. Trois aspects résument les divergences entre les deux institutions : l’autorité compétente de pilotage des négociations, la politique appliquée ainsi que les priorités de la politique nucléaire.
L’ancien négociateur en chef du dossier nucléaire, Hassan Rohani, a révélé que les divergences au sein de l’exécutif iranien se sont accrues au milieu de l’année 2003, après la demande de l’agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) d’inspecter les installations nucléaires. Alors que cette demande a été jugée par le ministère des affaires étrangères iranien comme une pression sur l’Iran de la part de la communauté internationale, l’agence iranienne de l’énergie atomique a minimisé l’impact de cette demande sur le programme nucléaire iranien. Cette différence d’interprétation a conduit à une restructuration de la procédure de négociation qui est devenue du ressort du conseil de sécurité nationale reléguant le ministère des affaires étrangères et l’agence internationale de l’énergie atomique au statut de simples acteurs.
Le conseil de sécurité national (CSN)
Le conseil de sécurité national est l’héritier du conseil suprême de la défense nationale, créé en 1979, en vertu de l’article 110 de la constitution de la république islamique. A l’époque, sept personnalités siégeaient dans cette institution :
Le président de la république
Le premier ministre
Le ministre de la défense
Le chef d’état major de l’armée
Le commandant des gardiens de la révolution
Deux conseillers du guide de la révolution
Après la mort de Khomeiny en 1989, non seulement le nom du conseil a été modifié, mais son pouvoir a été accru en intégrant douze autres personnalités. Actuellement, le CSN est constitué de dix-huit personnalités :
Le Président de la République Mahmoud Ahmadinejad
Le Président du Parlement Ali Larijani
Le Président de l’autorité judiciaire Mahmoud Hachemi Shahroudi
Le chef d’état major Atallah Salhi
Le Vice-président de la république et président de la commission du budget Farhad Rahber
Le Vice-président de la République Broïz Daoudi
Le Secrétaire Général Saïd Jalili
Le ministre des Affaires étrangères Manouchehr Mottaki
Le ministre de l’Intérieur Moustapha Bour Mohammadi
Le ministre des Renseignements Gholam Hussein Mohsenni Ijeii
Le Commandant de l’armée Mohammad Hussein Dardess
Le chef des gardiens de la révolution Mohammad Ali Jaafari
Le Président de l’assemblée des experts Hachemi Rafsanjani
Le ministre de la Défense Moustapha Mohammad Najjar
Le directeur de l’agence iranienne de l’énergie atomique Gholam Rida Agha Zadeh
Le ministre des Sciences et des Technologies Mohammad Mahdi Zahedi
Le ministre de l’Energie Broïz Fattah
Le représentant permanent de l’Iran auprès de l’ONU Jawad Zarif
Le guide de la révolution bénéficie d’un pouvoir absolu lui permettant de nommer le Secrétaire Général du conseil de sécurité national et de contrôler la désignation de la totalité des membres de ce conseil. De plus, la constitution iranienne impose l’accord du guide dans l’exécution des décisions émise par cette institution, responsable des décisions stratégiques du pays, dont le pouvoir dépasse de loin celui du parlement.
C’est ce groupe de personnalités qui gère d’une manière exclusive le dossier nucléaire en concertation avec le guide. En d’autres termes, le bureau du guide s’occupe de la planification stratégique qui sera appliquée par le conseil de sécurité nationale. Ce principe est resté le même durant les mandats de Khatami et d’Ahmadinejad, mais c’est le processus décisionnel qui a été modifié en fonction des changements de l’environnement régional du pays.
La politique nucléaire pendant le mandat Khatami :
L’analyse de cette période se base sur les déclarations de l’ancien Président Khatami et de son négociateur en chef, Hassan Rohani, ainsi que sur deux articles écrits par ce dernier sur cette question : le premier article a été publié en septembre 2005 dans le périodique iranien Rahbard , sous le titre « les défis de l’Iran et de la communauté internationale dans le dossier nucléaire », et le deuxième a été publié en hiver 2005 dans la revue américaine National Interest intitulé « nos activités nucléaires et notre relation constructive avec la communauté internationale ».
D’après les écrits et les déclarations du négociateur en chef iranien, le conseil de sécurité nationale a établit une procédure décisionnelle de quatre niveaux :
Niveau 1 : comité des affaires techniques et de négociations
Niveau 2 : comité des affaires sécuritaires et politiques
Niveau 3 : commission ministérielle chargée de la concertation avec le conseil
Niveau 4 : comité chargé de la validation de la politique nucléaire, dépendant directement du bureau du guide
Le conseil de sécurité national a chargé Hassan Rohani, homme de confiance du guide, de la concertation entre les quatre niveaux. Cette structure, qui a été créée pour répondre à la complexité des négociations avec les européens, montre bien l’affaiblissement du rôle du ministère iranien des affaires étrangères et de l’agence iranienne de l’énergie atomique dans la conduite de la politique nucléaire.
Selon Rohani, l’objectif principal de la politique nucléaire iranienne était de retarder le transfert du dossier nucléaire au conseil de sécurité de l’ONU. Cet objectif montre bien que l’Iran connaissait depuis longtemps que le dossier sera tôt ou tard repris par le conseil de sécurité de l’ONU et a articulé sa stratégie en jouant sur les contradictions entre les puissances protagonistes pour gagner du temps et obtenir des avancés sur le terrain technique.
En effet, les responsables iraniens connaissaient parfaitement les divergences d’intérêt entre les quatre acteurs majeurs du dossier nucléaire : les Etats-Unis, qui, à travers la demande du transfert de la question du nucléaire iranien, visait à affaiblir le régime iranien, se démarquait radicalement des européens qui souhaitaient bénéficier du marché iranien et des ressources pétrolières du pays. L’une des offres européennes consistait à l’arrêt de l’enrichissement de l’uranium en contre partie de l’intégration rapide de l’Iran à l’OMC (organisation mondiale du commerce). Cette offre a été jugée insuffisante principalement pour deux raisons : l’Iran considérait que, compte tenu des longues négociations du processus d’entrée à l’OMC, elle ne peut pas tirer des avantages en acceptant cette offre. De plus, l’Iran avait la volonté de continuer le processus d’enrichissement de l’uranium pour améliorer ses positions dans les négociations. Quant à la Russie, malgré son soutien relatif à l’Iran, elle a essayé de partager le marché iranien avec les européens en proposant de fournir l’uranium enrichi à la république islamique.
Parallèlement, pour essayer de semer la division au sein du conseil de sécurité de l’ONU, la république islamique a conclu des accords économiques et politiques avec la Chine dans la perspective de convaincre Pékin d’utiliser son droit de véto contre toute résolution contraignante à l’égard de l’Iran. De plus, le négociateur iranien a proposé aux européens d’associer aux négociations l’Afrique du sud et le Brésil pour affaiblir la pression diplomatique contre la république islamique. En effet, les deux pays ont toujours été intéressés par le développement d’une énergie nucléaire sur leur territoire et auront probablement intérêt de ne pas sanctionner l’Iran d’autant que la république islamique ne présente aucune menace stratégique à leur encontre.
Quoiqu’il en soit, L’Iran a accepté, à l’époque, de geler « temporairement » ses activités d’enrichissement en contre partie d’une promesse européenne de continuer les négociations jusqu'à trouver un accord permettant de satisfaire les intérêts économiques et technologiques de la république islamique. L’Iran a certes arrêté ses activités, mais seulement dans les domaines où elle a réalisé des progrès techniques. Par contre, elle a refusé d’arrêter ses activités dans les secteurs où elle a prouvé des faiblesses technologiques. Au début des négociations, l’Iran possédait 164 centrifugeuses. Ce chiffre n’a cessé de progresser avec le temps, il est passé à 500 en 2004 et à 1000 à la fin du mandat Khatami en 2005. En décembre 2007, 3000 centrifugeuses fonctionnaient à plein régime dans la république islamique.
Une seule phrase, prononcée par Rohani résume l’ambigüité de la communication du régime iranien sur le dossier nucléaire : « notre objectif était de donner une image globale de nos activités nucléaires pour empêcher le transfert du dossier au conseil de sécurité de l’ONU. Nous n’avons pas menti, mais on a communiqué tardivement nos informations ». Les tactiques iraniennes étaient bénéfiques pour le programme nucléaire. La république islamique a parfaitement évalué, pendant le mandat Khatami, la réaction de la communauté internationale sur cette question. L’Iran a lié sa relance de son activité d’enrichissement à l’échec des négociations avec les européens. L’objectif final de cette période, était d’atteindre un seuil d’enrichissement (3.5%) imposant un fait accompli : celui de la capacité du pays à maîtriser le cycle du combustible nucléaire.
La politique nucléaire pendant le mandat d’Ahmadinejad :
On peut estimer que les priorités iraniennes ont été modifiées au début du mandat du nouveau président en 2005, et cela grâce aux changements qui ont joué en faveur de la république islamique. Le sourire de Khatami et son dialogue des civilisations a été remplacé par les discours nationalistes d’Ahmadinejad.
L’exécutif iranien avait la certitude que le dossier nucléaire sera transmis devant le conseil de sécurité de l’ONU. Les responsables iraniens, convaincus du faible impact des sanctions internationales à leur encontre, ont choisi la confrontation en relançant l’activité de l’enrichissement. Un autre élément a motivé ce choix radical : posséder le cycle du combustible nucléaire est devenu une priorité stratégique pour la république islamique, qui, après les guerres d’Irak et d’Afghanistan suivies de sa relation tendue avec l’Arabie saoudite, s’est retrouvée encerclée par des puissances hostiles.
Le processus décisionnel de la politique nucléaire iranienne, qui est devenue le pivot de la politique étrangère du pays, a été modifié pour répondre aux nouvelles configurations stratégiques. Dans un article paru le 14 octobre 2007 dans le journal panarabe Al-Hayat, Moustapha Al-Labbad, chercheur égyptien spécialiste de l’Iran, a imaginé le schéma suivant pour décrire la nouvelle procédure de gestion du dossier nucléaire.
Six comités seraient en charge de la gestion de la question nucléaire iranienne :
Le comité des affaires techniques et de négociation : il comprend le ministre des affaires étrangères Manouchehr Mottaki, le coordinateur du conseil de sécurité national vice-ministre des affaires étrangères chargé des questions internationales Abbas Arakji, le président de l’agence iranienne de l’énergie atomique Ghoulam Rida Agha Zadeh, le représentant permanent de l’Iran aux nations unis Jawad Zarif, l’ambassadeur de l’Iran auprès de l’agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) Asghar Sultaniyeh, et le ministre de l’énergie Broïz Fattah.
Le comité des affaires sécuritaires et politiques : il comprend le secrétaire général du conseil de sécurité national Saïd Jalili, le chef d’état majeur de l’armée Atallah Salhi, le ministre de l’intérieur Moustapha Bour Mohammadi, le commandant de l’armée Mohammad Hussein Dadress, le ministre de la défense Moustapha Mohammad Najjar, et le responsable de sécurité du bureau du guide Asghar Hijazi.
Le comité de concertation et de suivi : présidé par le secrétaire général du conseil de sécurité nationale Saïd Jalili, il coordonne le travail des ministères concernés par le dossier nucléaire : le ministère des Renseignements, le ministère des Affaires étrangères et le ministère des Sciences et de Technologies.
Le comité présidentiel : il comprend le président de la république Mahmoud Ahmadinejad, le vice-président de la république Broïz Daoudi, le président de la commission du budget Farhad Rahber. Ce comité est strictement consultatif et son rôle se limite à des opérations de communication dont le but étant d’adresser des messages à la communauté internationale.
Le comité des affaires régionales : ce comité serait chargé d’étudier les évolutions régionales, notamment en Irak, Syrie, Liban et les Territoires palestiniens et analyser leur impact sur le dossier nucléaire iranien : Il comprend le chef des renseignements des gardiens de la révolution, le chef de la brigade Quds (les gardiens de la révolution), le vice-ministre des affaires étrangères en charge de l’Irak, les ambassadeurs de l’Iran dans les pays arabes ainsi qu’un ensemble de chercheurs spécialistes des questions de la région.
Le comité de validation du processus décisionnel : il comprend le guide de la révolution Ali Khamenei, le directeur du bureau du guide Mohammadi Gholbaikani, le responsable de sécurité du bureau du guide Asghar Hijazi, le chef des Gardiens de la Révolution Mohammad Ali Jaafari, le président du parlement Ali Larijani, le président de l’autorité judiciaire Mahmoud Hachemi Shahroudi, le secrétaire général du conseil de sécurité national Saïd Jalili, et le président de l’assemblée des experts Hachemi Rafsandjani.
La politique nucléaire iranienne s’avère cohérente par rapport aux objectifs fixés par le gouvernement de la république islamique, à savoir : maîtriser le cycle de combustion nucléaire. Les changements survenus entre les deux mandats de Khatami et d’Ahmadinejad dans le fonctionnement et la méthode, sont plus un ajustement lié au changement de l’environnement stratégique du pays qu’une rupture idéologique entre deux stratégies différentes. La seule différence réside dans l’imprécision des calculs de l’actuel gouvernement en comparaison avec les calculs exacts de son prédécesseur.
D’un autre côté, la nomination d’un nouveau secrétaire du conseil de sécurité national n’a pas eu d’impact sur la conduite des négociations entre l’Iran et les européens. Ce changement s’explique par une campagne présidentielle prématurée sur fonds de crise économique et de tensions entre Ali Larijani et le président Mahmoud Ahmadinejad. En effet, Ali Larijani, qui vient d’être élu à la tête du parlement iranien bénéficie, en plus de la confiance du guide Ali Khamenei, d’une assise électorale dans ville de Qom, et du soutien de son clergé qui a toujours beaucoup d’influence sur la conduite de la politique du pays. De plus, face à un Ahmadinejad affaibli par l’échec de sa politique économique, on assiste à l’émergence de Mohammad Qalibaf, le maire de Téhéran, un conservateur pragmatique qui pourrait s’allier à Larijani et briguer un mandat présidentiel lors des élections de 2009. Ce changement à la tête de l’exécutif iranien pourrait mettre les bases d’un compromis avec les européens sur la question du nucléaire.
vendredi 16 mai 2008
Le début de la fin de la classe politique libanaise
Par la suite, l’entente entre le Hezbollah et le Courant patriotique libre a fait basculer le Hezbollah dans l’opposition, ce qui met en cause le concept même de la majorité qui s’est retrouvée confrontée à une crise institutionnelle avec la démission des ministres chiites, provoquant la paralysie du gouvernement.
Il s’agit de l’avenir de la relation entre les pays arabes et Israël et le sort des refugiés palestiniens: c’est cette question qui est au cœur des divergences régionales qui s’expriment dans un état tampon libanais. Lequel a aussi ses propres problèmes, comme sa politique étrangère et la question de son identité.
Pourtant certains faits montrent un dérapage qui n’est pas totalement contrôlé, ce qui pose beaucoup des questions sur un mouvement très organisé comme le Hezbollah.
mardi 29 avril 2008
La dynamique chiite en Irak
D’autre part, les Américains, en écartant les sunnites et favorisant les chiites, majoritaires en Irak, ont augmenté les tensions entre la communauté sunnite et la communauté chiite au niveau régional ce qui a inquiété les monarchies pétrolières sunnites du golfe, pourtant alliées des Etats-Unis. Mais loin de favoriser un arc chiite, comme certains dirigeants arabes et analystes occidentaux ont essayé de le démontrer, cette guerre a profité au premier lieu aux chiites irakiens qui se sont trouvés libérés de l’hégémonie du régime baasiste irakien, et ont commencé à bâtir un nouveau Irak en essayant de respecter le choix de toutes les communautés qui forme le pays.
Du côté iranien, la chute de Saddam Hussein est perçue comme une opportunité et un défi : dans le meilleur cas, un gouvernement ami s’installera au pouvoir, islamisera la société irakienne, stabilisera le pays et aplanira les tensions avec les Etats-Unis ; au pire, le nouveau gouvernement irakien gardera ses distances vis-à-vis de Téhéran pour ne pas apparaître comme le vassal des Iraniens, sa situation continuera à se détériorer et les tensions avec les Etats-Unis iront grandissantes.
A présent, depuis la victoire de l’Alliance irakienne unifiée dominée par les chiites –frustrante pour les Américains et encourageante pour l’Iran -Téhéran voit sa position réconfortée. Au moins trois des principaux partis (PUK, SCIRI, El-Daawa) sont proches de Téhéran, et l’un d’eux, le SCIRI noue des relations intenses avec le pouvoir politique et militaire de la théocratie iranienne. En même temps, Téhéran n’a pas intérêt à adopter une position provocatrice vis-à-vis des Etats-Unis dont il s’est résigné, à contre cœur, à ne pas exiger le départ dans les plus brefs délais.
Les chiites irakiens ne constituent pas un groupe homogène. La plupart d’entre eux sont arabes mais il y a également des Kurdes de Fayli, des Turkmènes, des Perses et d’autres encore. Même parmi les Arabes, les liens tribaux et locaux jouent encore un rôle important.
Pour des raisons historiques, le qualificatif chiite a prévalu parmi les classes inférieures comme les paysans et les habitants des marais, la plupart d’entre eux quittèrent la zone rurale pour se réfugier dans les bidonvilles autour des grandes villes, mais ceci n’indique naturellement pas qu’il n’existe pas de chiites dans d’autres segments de la société.
Les chiites d’Irak n’ont jamais constitué un groupe monolithique unifié et n’ont pas été non plus isolés du reste de la société : les mariages intercommunautaires entre Chiites et sunnites dans la région de Bagdad sont plutôt la règle et pour les couches les plus séculaires de la société irakienne l’appartenance communautaire joue un rôle primordial dans l’ascension sociale. Le concept d’un Irak tripartite : sunnite, chiite et Kurde est profondément fragile, certains classifient le peuple en termes religieux chiites et Sunnites ou en termes ethniques - Kurdes et Arabes, ou - pourquoi pas en employant une terminologie de classe. Cette dernière approche semble la plus utilisée.
L’Irak ne pourrait pas être divisé en trois gros groupes de sunnites, de chiites et de Kurdes mais en entreprises familiales économiquement puissantes et quasi mafieuses dotées de canaux d’expression politique (partis ou mouvements) : l’islamisation rampante de la société s’explique par la colère montante contre cette situation.
En analysant l’Irak de cette façon, on comprend facilement le mouvement de Muqtada El Sadr. Néanmoins, l’islamisation de la société irakienne pendant les dernières années de Saddam Hussein et la méfiance des clans dominants de Tikrit contre la majorité chiite, contribua à consolider la prise de conscience chiite. Mais cette prise de conscience n’était nullement contradictoire avec le nationalisme ou le patriotisme irakien comme cela a été démontré pendant la longue guerre contre l’Iran (les Iraniens sont conscients de ce sentiment et tentent d’adopter un profil bas ou au moins ne pas faire valoir la carte de la fraternité confessionnelle).
Les partis chiites irakiens et leurs politiques
L’Irak a donné naissance à plusieurs mouvements politiques chiites en réaction au communisme et à l’athéisme des années 60 et contre la dictature baasiste des années 1970. La guerre entre l’Iran et l’Irak a éloigné de plus en plus les différents groupes d’opposition en exil des affaires intérieures irakiennes et a favorisé la dépendance envers Téhéran. Avant 1980 seulement quelques petites cellules du parti de Daawa, et des autres groupuscules politiques ont survécu en Irak. A la chute de Saddam Hussein, seulement deux authentiques et influentes organisations chiites ont survécu : La Mardjaîya et le mouvement de Sadr el-Thani.
Politiquement, l’unité des chiites dépend actuellement du degré de coopération entre Sistani et Muqtada ; les autres partis chiites, islamistes et séculaires, sont de moindre importance, bien qu’ils fournissent des cadres expérimentés et entretiennent des structures partisanes. Les plus importants parmi ces derniers sont le Parti de l’Appel islamique (Daawa) et le Conseil Suprême de la Révolution islamique en Irak (CSRII), tous deux entretiennent des relations avec l’Iran. Le CSRII formait dès sa naissance un projet iranien et avait fonctionné comme un front d’organisations et de groupes islamistes, y compris des sunnites. Mais à la fin, il est devenu une entreprise exclusivement chiite dominée par l’influente famille irakienne d’Al-Hakim. Ce Conseil avait accès au noyau du pouvoir politique iranien. Deux membres de la direction de ce même Conseil – Ali Al-Taskhiri et Mahmud Al-Hashimi Al-Shahroudi – travaillent pour le bureau des dirigeants suprêmes de la République islamique d’Iran; le réfugié irakien Shahroudi a même été nommé par Khamenei au poste de ministre de la justice iranienne. D’autres organisations d’importance plus limitée existent dont l’Organisation de l’Action islamique (Munazzamat Al-Amal Al-Islami), corps politique représentant des familles cléricales des Modarresi, Chirazis et le Hizbullah Irakien. Ce groupe dirigé par Abdalkarim Abu l-Hatim Al- Muhammadawi a été le dernier mouvement de résistance des marécages du sud irakien.
Une autre organisation locale, Al Fadhilah (La Vertu) basé a Basra a réussi à imposer l’application stricte des lois islamiques parmi la population. Muhammad Ya’qubi de Najaf, un partisan de Muqtada-père, dont la popularité a chuté à cause de sa persistance à se placer en successeur choisi de Muhammad Sadiq, a fondé ce parti.
Le parti de la Daawa (Appel islamique) est le plus ancien parti islamiste chiite irakien qui a éclaté en plusieurs branches dans les années 1980-90, depuis que plusieurs figures influentes ont divergé avec les Iraniens sur des questions théologiques et politiques. La Daawa a subi de fortes pressions iraniennes pour rejoindre le Conseil Suprême de la Révolution Islamique en Irak (CSRII), mais la plupart des branches ont résisté. Ses branches au Liban et au Koweït ont été impliquées dans des activités terroristes contre le régime de Saddam dans les années 80.
La décennie suivante, certaines branches installées en Europe furent séduites par les principes démocratiques, mais le parti garde son cap islamiste et d’éminents membres comme Al-Jaafari insistent sur le rôle de l’islam dans la vie publique. Ces organisations en exil ne semblent pas encore unies avec ce qui subsiste de la Daawa, ils roulent chacun pour leurs propres intérêts au sein de l’Alliance irakienne unifiée.
L’Alliance irakienne unifiée (liste 169) est une vague structure, impulsée par la Daawa et le Conseil Suprême de la Révolution Islamique en Iran, regroupant des partis séculiers et chiites islamistes. La liste se réfère souvent à Sistani même si le guide essaie de garder son impartialité (de toute façon, il ne pourra pas voter puisque il ne jouit pas de la citoyenneté Irakienne).
A la base de la formation de cette liste, l’opposant de longue date Ahmad Chalabi qui a réussi à forger une alliance entre tous les partis impliqués, y compris le tonitruant Muqtada Al-Sadr opposé à toutes élections tant que l’occupation continue, mais qui ne s’est pas opposé à ce que ses partisans puissent former leur propre liste et participer au vote. Le 23 février 2005 la répartition des sièges des chiites islamistes au sein de l’Alliance irakienne unifiée était comme suit : le Conseil Suprême de la Révolution Islamique en Irak : 18, le Parti de la Daawa islamique : 15, le Parti de la Daawa islamique/Irak : 9, le Parti de la Vertu islamique : 9, le Conseil islamique chiite : 13, les Kurdes de Fayli : 4, le courant Al-Sadr a obtenu 21 sièges. Ce qui offre à l’Alliance un score de 89 sur 140 sièges. Cela ne leur donne pas une majorité mais en fait un bloc très puissant qui pourra, grâce à une alliance, diriger l’Assemblée nationale irakienne.
Comme on peut le constater clairement la question principale est de savoir dans quelle mesure ces groupes peuvent cohabiter ensemble et comment peuvent-ils faire converger leurs points de vues sur certains problèmes fondamentaux telle que la Constitution.
Le risque le plus probable c’est l’apparition de divergences entre ces différents groupes ou à l’intérieur des parties entre radicaux et pragmatiques. Les protagonistes en sont conscients. C’est là que Sistani apparaît dans son rôle d’arbitre et de modérateur pour aplanir les dissensions et imposer le compromis. Mais les pragmatistes au sein de la Daawa et du Conseil Suprême comme Ahmad Chalabi joueront le rôle de fédérateur et qui avec l’appui de Sistani pourront diriger ensemble l’Alliance irakienne unifiée. En cas de succès, l’Alliance serait la seule force capable d’impliquer les trois courants de l’islamisme chiite: le courant irakien incarné dans le parti de la Daawa/Irak et les deux courants en exil: le courant pro-occidental (Jafari, Ahmad Chalabi) et le courant pro-iranien (le Conseil Suprême de la Révolution Islamique en Irak). En d’autres termes, l’Alliance pourra entretenir de bonnes relations avec les deux principaux adversaires de la région: les Etats-Unis et l’Iran. Tous deux, en effet, et pour différentes raisons sont indisposés face à l’imprévisible pouvoir de l’Ayatollah Seyyed Ali Hussaini Sistani, un des plus importants leaders du chiisme mondial sinon le plus important.
Le rapport des chiites irakiens à l’Iran et leurs relation avec les Etats-Unis
Une des plus étonnantes coalitions scellées après l’invasion de l’Irak était celle liant les Américains au CSRII. Elle a été facilitée par l’acte de libération de l’Irak de 1998 et le climat plus libéral suivant l’élection du Président Khatami en 1997.
Néanmoins elle remonte au début des années 1990 avec les contacts du CSRII et du Congrès national irakien (CNI) d’Ahmad Chalabi. Khamenei, le leader de la révolution iranienne avait personnellement accepté la participation du CSRII au (CNI) d’Ahmed Chalabi parrainé par les Etats-Unis et la coopération croissante entre le CSRII et les Américains. En fin de compte, le CSRII est parvenu à se frayer une petite voie entre les Américains et les Iraniens en manœuvrant prudemment et de plus en plus indépendamment de Téhéran.
Un processus similaire de distanciation vis-à-vis de Téhéran s’est mis en place au Liban dans les organisations politiques chiites où des ONG iraniennes se sont totalement « libanisées » au fil des années.
Les relations de Téhéran avec le grand Ayatollah Fadhlallah en sont une parfaite illustration. Cette distanciation a été observée même parmi les alliés les plus étroits de Téhéran comme le Hezbollah libanais. Téhéran est consciente qu’elle ne possède plus qu’une faible marge de manœuvre sur le CSRII même si elle peut compter sur ses réseaux et les relations tissées entre les services de sécurité dirigés par Khamenei et des dirigeants du CSRII dont les services de renseignement et de sécurité étaient jusqu’à très récemment dirigés par un personnel iranien.
Son aile militaire, la brigade Badr (Faylaq Badr) a été entraînée, équipée et dirigée par les gardiens de la révolution iranienne (les pasdarans). Les membres de la brigade Badr sont déjà volontaires dans les forces irakiennes de sécurité et certains avancent même l’idée d’une intégration totale de la brigade Badr dans l’armée irakienne.
Selon le chercheur Walter Posch, une emprise des cadres du CSRII et de la brigade Badr aura comme conséquence l’irakisation de ces organismes plutôt qu’une iranisation des institutions irakiennes.
Ceci ne correspond pas totalement à la vision américaine quant au futur appareil de sécurité irakien. Les Américains semblent plutôt compter sur les ex-baasistes que sur les chiites radicaux. En juillet 2003, Ahmad Chalabi, suivant les directives américaines, s’est rapproché des membres des départements «Turquie» et «Iran» des Mokhabarats ; le notoire appareil de sécurité du parti Baas.
Les mois suivants Iyad Allawi recrutait d’ex-officiers Baasistes dans l’armée et les autres services de sécurité. Même au plus haut de l’embrasement de la crise de Nadjaf, le gouvernement irakien a plutôt préféré attaquer l’Iran pour ses immixtions sournoises dans les affaires irakiennes et le CSRII accusé d’être à la solde de l’Iran que l’armée du Mahdi de Muqtada. Depuis, Sha’lan, le ministre de la défense et Shahwani le directeur des Mukhabarat ont accentué leurs critiques de la politique de Téhéran, alors que leur objectif était de diminuer les chances de succès du CSRII aux élections à venir.
Vu la situation actuelle en Irak, les Etats-Unis et l’Iran sont confrontés à deux réalités. Quelque soit la future armée, celle-ci serait fortement constituée de conscrits et d’officiers d’origine chiite dont une partie proviendrait de la brigade Badr, une des rares organisations ayant acquis une expérience militaire. Etant donné les résultats des élections, les Etats-Unis devront se résigner à accepter un rôle accru des cadres du CSRII et de la Daawa dans les ministères.
L’Iran dépourvu de ses leviers, au sein des plus hauts cadres de l’une ou l’autre partie, continuera à apporter son aide matérielle et financière aux services sociaux chiites ce qui lui permettra de restaurer son image et créer de nouveaux liens avec les chiites irakiens sur des bases nouvelles.
D’une manière générale, sur une projection à long terme, les chiites continueront à jouer un rôle important dans la politique irakienne en gardant une certaine autonomie vis-à-vis de l’Iran en raison des divergences des priorités des deux peuples où le facteur national prime sur la fraternité religieuse. De plus, la divergence théologique entre Sistani et le clergé iranien rend difficile une certaine alliance chiite à grande échelle.